Gaza et Alep / Alep et Gaza – par Ziad Majed – traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 26 juillet 2014

Depuis plusieurs jours, la mort pleut depuis les avions de guerre sur la bande de Gaza, comme en 2012 et comme en 2008 et exactement de la même manière dont elle s’est abattue et ne cesse de s’abattre sur Alep, sur la Ghouta (la grande oasis qui entoure Damas), sur le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk (au sud de Damas), sur Homs, sur Saraqeb et sur maintes villes et régions syriennes depuis trois ans.

L’assassin, dans la bande de Gaza, c’est une occupation israélienne qui viole les conventions de Genève et qui utilise périodiquement le prétexte d’événements transitoires pour tenter de dissimuler une seule et même vérité, celle de la perpétuation de son occupation de ce territoire dont pourtant Israël prétend s’être retiré en 2005. Cette occupation continue, en effet, parce que le contrôle exercé par Israël sur les points de passage, le blocus israélien et le contrôle israélien des souverainetés (palestiniennes) territoriale, maritime et aérienne sont la définition même d’une occupation (simplement avec des moyens sécuritaires et administratifs différents) et parce que, du point de vue du droit international, il ne saurait y avoir eu de passage d’une situation d’ « occupation » à un autre statut en l’absence d’accord politique ou diplomatique entre les parties concernées et sans qu’aient pris fin tous les effets de l’occupation militaire. Or, ces effets sont nombreux, comme on le sait, et ils sont loin d’avoir pris fin.

Quant à l’assassin, en Syrie, c’est une occupation assadienne qui viole elle aussi les conventions de Genève et qui, contrôlant l’Etat syrien et la société syrienne depuis 1970, s’oppose à toute tentative de les libérer, transformant les territoires syriens ayant échappé à son contrôle depuis le début de la Révolution syrienne, en mars 2011 en terres brûlées où l’on enterre ses victimes, des citoyens syriens, par milliers.

Nous sommes donc en présence de deux théâtres d’opérations, l’un palestinien et l’autre syrien, où les avions de guerre attaquent au moyen de missiles ou de barils de TNT des quartiers peuplés de civils dont tant Israël que le régime syrien prétendent que des « terroristes » s’y seraient embusqués, détruisant tous les artefacts de la civilisation et provoquant quotidiennement la mort de dizaines de victimes. Dans les deux cas, la communauté internationale semble impuissante à faire cesser immédiatement le massacre, même si la diplomatie internationale connaît une activité et déploie des efforts plus importants dans le cas palestinien en raison (sans doute) de la plus grande ancienneté du problème palestinien, des longues expériences amères qu’il a alimentées et du grand nombre de résolutions de l’Onu à son sujet, dont beaucoup attendent toujours d’être mises en application.

Nous sommes également confrontés à deux tragédies, l’une palestinienne et l’autre syrienne, très semblables de par les souffrances des enfants, des femmes et des hommes dans l’une comme dans l’autre. Les victimes civiles se ressemblent toujours, si l’on fait abstraction de leur nombre (la supériorité dans ce domaine étant « encore » celle de la machine à tuer d’Assad). Mais le niveau de la solidarité humaine avec les deux peuples est inégal : s’il reste (honteusement) limité dans le cas de la Syrie, il atteint un niveau décent dans celui de la Palestine.

Je ne fais pas allusion ici à la solidarité de l’opinion publique mondiale et arabe dont on pourrait rechercher les raisons de son hésitation en ce qui concerne la Syrie et celles de sa progression, depuis de nombreuses années, en ce qui concerne la Palestine.

Je ne parle pas non plus ici de ceux qui n’ont aucunement pris la défense du régime d’Assad, qui n’ont nullement justifié ses crimes, qui n’ont pas rameuté les complots ou les craintes (injustifiées au sujet de l’opposition syrienne), qui n’ont pas mis tout le monde dans le même panier ou qui n’ont pas prétendu ne pas savoir suffisamment de choses au sujet de la Syrie pour s’abstenir d’adopter une position politique ou une position morale : ceux-là ont peut-être d’autres priorités ou d’autres choix, dont la Syrie ne fait pas partie.

Non. Je parle bien ici de ces nombreux militants des réseaux de solidarité au sein des sociétés civiles et des hommes politiques, des écrivains et des artistes qui continuent à rester muets depuis des années et dont la sortie de leur léthargie, aujourd’hui, nous rappelle qu’ils sont encore vivants et qu’ils réagissent encore lorsque des enfants meurent sous les tirs d’avions de guerre.

Ceux-là, rien n’explique mieux le fait qu’ils s’abstiennent de prendre position que leur couardise (davantage que la peur qui fait d’eux des aspirants à la capitulation). En effet, ils savent parfaitement qu’un massacre continue à être perpétré en Syrie et que ce massacre suscite des divisions aigües. Mais ils ont peur d’exprimer clairement une opinion ou une sympathie, car ils attendent que les traits du visage du vainqueur soient devenus plus clairs pour aller se ranger à son côté.

C’est précisément de ceux-là, de ceux qui sont incapables de ressentir la moindre pitié devant la dépouille mortelle d’un enfant à l’âge des roses, à Alep, mais qui versent des flots de larmes sur celle d’un enfant en tous points semblable à celui-ci dès lors que l’on en déplore la mort à Gaza que je parle.

Cela pourrait peut-être vous rendre service, si l’on mélangeait les photos, si l’on vous faisait croire que les images de la mort alépine ont été prises en réalité à Gaza et que les avions de guerre d’Assad semant la mort sont des avions de guerre israéliens.

Peut-être qu’alors, après avoir répandu vos larmes et après avoir condamné le crime, vous vous serez pour ainsi dire « mouillés ». Peut-être, après cela, vous sera-t-il impossible de recommencer à vous taire ?

Auquel cas, les victimes ne vous en voudront pas. Elles n’en voudront pas non plus à nous ni à l’expédient auquel nous aurons eu ainsi recours.

En effet, les victimes (syriennes et palestiniennes) ne se livrent quant à elles aucune concurrence.

Les seuls à se faire concurrence, ce sont ceux qui lancent des barils de TNT et des missiles d’avions (contre des civils) et ceux qui les approuvent ou se taisent et s’abstiennent de les dénoncer, dans l’un et l’autre cas.

source : http://ziadmajed.blogspot.fr/2014/07/blog-post_97.html#more

date : 25/07/2014