Hala Alabdalla, productrice et réalisatrice syrienne invitée aux JCC – par Claire A. Poinsignon

Article  •  Publié sur Souria Houria le 22 novembre 2015

Hala Alabdalla, réalisatrice et productrice syrienne, vit à Paris depuis 1981. Elle travaillait entre la France, le Liban et la Syrie jusqu’au soulèvement de 2011 dans son pays natal qui a bouleversé sa vie et son travail, comme je l’ai constaté en la suivant depuis plus de quatre ans. Début novembre, elle était heureuse de m’annoncer son départ pour les JCC où elle participe au jury du CREDIF, le Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme, composé de cinq membres.

Dans les pas de Hala Alabdalla

Fatma Cherif, auteure du documentaire Sweet Home (2009), m’avait parlé de Hala Alabdalla tout au début du soulèvement. De fait, Hala Alabdalla est de toutes les manifestations et de quasiment toutes les rencontres autour de la Syrie à Paris. Sa détermination m’impressionne. Je l’observe mais je n’ose l’approcher. Je l’écoute pour la première fois en mars 2012 au cinéma La Clef où l’Association du cinéma euro-arabe (ACEA) présente trois documentaires. Le premier s’intitule Hama, 82-11, de 26′. Un homme se souvient des massacres de 1982*.

Il raconte lentement, en cherchant ses mots: « j’ai été obligé de dire, comme tant d’autres, pendant des années « Bachar, nous t’aimons » et, depuis mars, quand j’ai réussi à articuler « nous ne t’aimons pas » lors des manifestations du vendredi, cet adverbe de négation m’a libéré. J’avais des problèmes respiratoires. Ils vont beaucoup mieux. Je suis même passé à travers les gaz lacrymogènes sans dommage. Mes enfants vivront libres. Je me faisais des soucis financiers pour eux, c’est fini. Ils seront libres, c’est ça qui compte ».

Après la projection, Hala Alabdalla précise, d’une voix douce: « depuis un an, après quarante ans de silence, les Syriens vivent aujourd’hui sur un volcan. Les intellectuels et les artistes se sont emparés de cette liberté toute neuve et créent, au péril de leur vie. Dans le monde du cinéma, huit documentaristes ont été emprisonnés. Ceux qui ont filmé ces trois films sont parvenus à les faire sortir du pays. L’un d’eux a été libéré récemment. Nous ne pouvons pas révéler leurs noms pour le moment. Bachar Al Assad est insensible aux malheurs de son peuple mais les images qui sortent de Syrie le mettent en colère ».

Omar Lasshad, journaliste et activiste, ajoute: « c’est la seule chose qui a changé entre les massacres de Hama en 1982 et ceux de Baba Amro, à Homs, en 2012: cette fois, il y a des images ». Selon ses estimations, 18 % des Syriens participeraient aux manifestations. « C’est beaucoup par rapport aux 5 % de Français qui ont fait tomber Louis XVI et Marie-Antoinette », souligne-t-il avec un sourire malicieux…

Parfois Hala Alabdalla éprouve le besoin de retourner en arrière pour se faire comprendre, comme en juin 2014, à l’Institut des cultures d’islam (ICI), lors d’une table ronde sur les arts de l’image. « À Damas, dans les années 70, vous étiez accueillis par 23 portraits du dictateur dans le salon de l’aéroport pendant que les Syriens devaient se contenter d’une seule chaîne de télévision! Les chaînes étrangères ont été autorisées seulement après l’arrivée de Bachar Al Assad au pouvoir. Nous étions sevrés d’images. Notre histoire était enterrée, les talents muselés. Le besoin, la nécessité nous poussent aujourd’hui à crier et à créer pour ne pas mourir ».

Au sortir de cette table ronde, elle laisse échapper avec une pointe d’amertume dans la voix « que la situation soit compliquée, je veux bien, que ce soit difficile pour les gens de se faire une opinion, je l’admets, mais laisser passer les massacres d’enfants comme ceux de Houla en mai 2012, sans réagir, je ne comprends pas ».

Les fragments épars de la révolution

Malgré ses longues journées de citoyenne exilée et de militante, Hala Alabdalla cherche à préserver son énergie pour continuer de créer. Au Centre Pompidou, le 3 décembre 2012, dans le cadre du Cinéma du réel, elle signe et présente un montage vidéo de 90′ intitulé La Syrie, un peuple qui se lève pour toujours.

La femme d’images aime aussi les mots et, souvent, les titres de ses films ou de ses interventions audio et visuelles, comme elle les appelle, sont des vers qui donnent une dimension poétique à sa démarche. Spectacle beau et dur.

Sur le coup, je note dans mon calepin: « j’ai aimé le chant, les textes sortis de Syrie, les images de jeunes taggueurs, les affiches faisant penser à l’avant-garde russe des années 20, les films d’animation, les images que j’ai reconnues, comme si j’étais en terrain familier, notamment celles des vieilles pierres détruites. J’ai surtout aimé l’absence de fin car nul ne la connaît. »

Décembre 2014 puis février 2015, à l’ICI, La femme syrienne est une révolution

« Raconter la révolution, c’est montrer qu’elle ne saurait s’écrire autrement qu’au jour le jour », souligne-t-elle. Et elle ajoute avec justesse: « les femmes syriennes, en luttant pour le peuple tout entier, se battent aussi pour leurs droits. Décidément, l’esthétique du fragment et du collage convient bien aux conditions dans lesquelles travaille Hala Alabdalla, dans l’urgence, depuis Paris, douloureusement coupée du pays natal.

Septième rencontre marquante en février 2015 à l’ICI. Elle anime un entretien avec l’écrivaine Samar Yazbek qu’elle connaît de longue date et qu’elle a longuement interviewée à Damas, avant l’éclatement du soulèvement, pour son documentaire sur la création et la censure, Comme si nous attrapions un cobra.

Mars 2015, au Ciné-club syrien à Paris: Je suis celle qui porte les fleurs vers sa tombe

110′, 2006, prix du documentaire à la Mostra de Venise, qu’elle présente ainsi dans le programme de la soirée:

« Dans ce film, la carte de mon pays, la Syrie, prend les traits de mes amies et des routes sillonnées pour mes repérages. Je parle à ces routes. Je livre mes doutes et mes certitudes en cherchant des lieux de tournage pour mes films en attente depuis plus de vingt ans. Mes amies passent aux aveux devant ma caméra. Elles s’expriment à ma place et allègent le brouillard de mes yeux. Je me réfugie près de la mer: c’est mon enfance effacée, c’est mon énigme, c’est la tombe sacrée de la poésie. Un film conçu comme un puzzle en noir et blanc, fait d’allers et retours, qui dit la prison et l’exil, le passé et le présent, l’amour et la mort. Un film qui dit l’importance de la poésie. »

Avec une sensualité contenue, sa caméra approche la peau du visage de son amie gynécologue pour capter le miracle de la vie qui résiste à la servitude, protégée des agressions du temps et du monde par cette fine enveloppe. Éloge muet à la beauté et à la féminité.

Ses amis de détention sont dans la salle. La gynécologue, qui vit encore à Damas, reconnaît après la projection, avec une lucidité remarquable: « nous étions un groupuscule, nous n’avons pas su aller vers le peuple mais le régime ne nous a pas laissés devenir un véritable parti politique, il ne voulait pas d’opposition ».

En mai, alors que nous faisons un bout de chemin à pied, elle, si pudique, me confie: « en quatre ans, je n’ai pas pris un jour de repos. Mes seules respirations – mon oxygène – sont les invitations dans les festivals et les ateliers de formation cinématographique que j’anime. »

Alors, Hala Alabdalla, bienvenue à Carthage!

*Hafedh El Assad, président de la République de 1973 à 2000, a fait périr 10 000 à 25 000 personnes, selon Ziad Majed dans Syrie, la révolution orpheline, Sindbad / Actes Sud, 2014, soupçonnées d’appartenir aux Frères musulmans pour les punir de s’être rebellés contre le régime.

FILMS

Je suis celle qui porte les fleurs vers sa tombe, 2006, prix du documentaire à la Mostra de Venise, présenté au Ciné-club syrien à Paris.

Hé! N’oublie pas le cumin (2008)

Comme si nous attrapions un cobra, 2012, visible en ligne sur le site de Médiapart

Portrait de l’intellectuel Farouk Mardam-Bey Un assiégé comme moi, vers tiré d’un poème de Mahmoud Derwich, dont il a été très proche et qu’il a édité chez Actes Sud. En postproduction.

POUR ALLER PLUS LOIN

Sur sa filmographie

Un court-métrage de 1’40 pour les soixante-dix ans du Festival de cinéma de Venise

Sur ses prises de parole depuis le début de la révolution et de la guerre qui a suivi

Entretien pour Euromed Audiovisuel, en 2011
« Nous avons besoin de l’Europe et l’Europe a besoin de nous. La Syrie n’a pas d’école ni de salles de cinéma et les jeunes cinéastes ont un vrai besoin de formation, d’échanges avec les autres professionnels. J’ai dirigé moi-même, dans mon pays, des ateliers de formation clandestins. Notre force de création est infinie, et nous avons d’excellents cinéastes qui souhaitent transmettre leur savoir, faire connaître leurs films, en Syrie mais également à l’étranger. Les programmes européens, les fonds d’aide ont une vision partielle des pays arabes, comme un bloc, or chaque pays a ses singularités, tant au niveau de la création que de la production. L’Europe doit apprendre à nous écouter, à nous regarder, à être plus proche des pays de la Méditerranée. »

Interview vidéo pour ARTE, en 2011

Archive rare de textes en français et en arabe choisis et lus par Hala Alabdalla et alii en 2012

source : http://www.huffpostmaghreb.com/claire-poinsignon/dans-les-pas-de-hala-alab_b_8599870.html

date : 19/11/2015