Idéologie, financement, armement : focus sur l’Armée syrienne libre – rédigée en collaboration avec Sarra Grira

Article  •  Publié sur Souria Houria le 11 août 2012

Le sigle de l'Armée syrienne libre.

Deux armées s’affrontent actuellement en Syrie : les forces régulières d’un côté, fidèles au président Bachar al-Assad, et l’Armée syrienne libre (ASL) de l’autre, une force au départ principalement constituée de déserteurs, qui soutient la révolution. Alors que l’ASL multiplie les offensives et parvient désormais à toucher le cœur même du pouvoir, des interrogations émergent sur son organisation, son financement et ses méthodes.
Ces informations ont été réunies avec l’aide de plusieurs Observateurs en Syrie, proches ou membres de l’ASL.
Une force à l’origine défensive mais aujourd’hui capable d’attaquer Damas
Le premier noyau de l’ASL a été formé le 29 juillet 2011 par un petit groupe de soldats déserteurs. Mais très vite, la violence de la répression a donné plus de poids à cette force qui a commencé à recruter parmi les civils. Un recrutement facilité par le fait que le service militaire est obligatoire en Syrie, chaque citoyen possède donc le minimum de connaissances nécessaires au maniement des armes à feu.
La mission de l’ASL était purement défensive au début du conflit. Ses soldats avaient pour seule mission de défendre les manifestants. Ils ne disposaient souvent que de simples pistolets ou de kalachnikovs. De quoi, au mieux, retarder l’avancement de l’armée régulière, mais en aucun cas conquérir une ville ou même un quartier. Des soldats de l’ASL continuent parfois d’assurer la protection des manifestations. Mais elle s’est désormais muée en une force offensive. La plupart de ses combattants sont aujourd’hui regroupés au sein de milices qui peuvent compter jusqu’à une soixantaine de membres. Certaines font à leur tour partie de « brigades », comme par exemple la brigade de l’Unicité qui réunit la quasi-totalité des milices d’Alep et de ses environs.
Il est difficile de déterminer le nombre exact des soldats combattant sous la bannière de l’ASL. Non seulement ses officiers refusent, pour des raisons stratégiques, de communiquer sur ce point, mais aucune liste des soldats n’a jusqu’à présent été établie. Selon des chiffres avancés par nos Observateurs sur place, le nombre de combattants pourrait dépasser les 20 000 dans la seule province de Homs, considérée comme la principale base de l’ASL en Syrie.
Une armée de plus en plus organisée
Afin de coordonner les opérations de ses milices sur tout le territoire, l’ASL a recours à des Conseils militaires régionaux. Ces cellules de commandement sont constituées des chefs des différentes milices de la région, mais aussi de civils ayant une expérience militaire, par exemple des officiers à la retraite. Si les décisions se prennent en commun, l’opinion des chefs qui, au fil des combats, ont gagné en estime et en popularité, ont davantage de poids que les autres.
« Généralement, les opérations défensives vont de soi, elles ne nécessitent aucune concertation. Mais quand il s’agit de mener de larges opérations, le Conseil militaire se réunit pour définir la mission et l’attribuer à une milice », explique Rami H., notre Observateur à Homs. Le choix de la milice qui effectuera l’opération n’est jamais le fruit du hasard. « Vu les risques, nous essayons d’éviter le déplacement des troupes », explique Qoutaini Qaleb, un général de l’ASL à Khan Shikhoun, dans la province d’Idlib, joint par notre équipe. « C’est donc la milice la plus proche du lieu de l’opération qui mène la mission. Quand cette milice n’est pas assez armée ou ne dispose pas d’un nombre suffisant de combattants, d’autres milices peuvent lui venir en aide. Elle peut aussi être remplacée par une milice plus puissante ». Le général précise cependant que toutes les régions ne disposent pas de Conseils militaires. « Dans certaines régions comme par exemple dans la région de Damas [la ville de Damas elle-même dispose toutefois d’un Conseil militaire], il est difficile pour les milices de communiquer entre elles ou de se réunir. Elle n’ont donc pas de Conseil militaire et ne peuvent pas organiser d’opérations de grande envergure. Elles se contentent généralement de défendre leurs positions », explique-t-il.
Pas d’homogénéité idéologique ou de financements
La question de l’origines des armes de l’ASL s’est maintes fois posée et a beaucoup divisé l’opposition syrienne. Selon les dires de nos Observateurs, les armes dont dispose l’armée libre proviennent de sources diverses. Certaines, légères, ont été emportées par les déserteurs, d’autres, plus lourdes, ont été saisies lors d’attaques contre l’armée régulière. Du matériel militaire passe également par la Turquie et le Liban, mais le contrôle des frontières semble encore empêcher toute importation massive. La plupart des armes seraient en fait achetées directement à des soldats ou aux « chabbihas », les milices pro-régime. « Il m’est arrivé de négocier des achats d’armes avec des ‘chabbihas’ »raconte Rami. Ils savent bien que leurs armes iront à leurs ennemis mais ça leur est égal, tant qu’on paye. »
Si le commandement militaire est relativement unifié, le financement, lui, varie d’une milice à l’autre et ce sont souvent les relations de chaque groupe – voire les connexions personnelles – qui entrent en jeu : « Certains chefs de milice reçoivent de l’argent via des membres de la famille qui travaillent en Jordanie ou dans les pays du Golfe », explique Rami, avant d’ajouter : « des riches commerçants de Damas et d’Alep soutiennent l’ASL, mais aussi des organisations politiques comme les Frères Musulmans. » Quant à la participation de certains États, elle est selon lui indirecte : « L’ASL ne refuse aucun financement, mais l’Arabie saoudite et le Qatar préfèrent envoyer de l’argent par le biais de certains de leurs ressortissants. »
Cette diversité des sources de financement se traduit aussi sur le plan idéologique : « Les sources de financement sont notre principal point faible car elles peuvent influer sur l’orientation idéologique d’une milice », explique Rami. L’ASL a beau promouvoir l’image d’une armée qui reflète les différentes composantes de la société syrienne, médiatisant par exemple la mort d’un de leurs soldats chrétiens, Houssam Michaël, il est clair que le gros des forces est de confession sunnite. Et l’origine de ses financements a forcément une influence idéologique. « Si une milice reçoit de l’argent des Frères musulmans, c’est qu’il s’agit bien sûr d’une milice islamiste », reconnaît Rami.
Les dérives de l’ASL
L’ASL est régulièrement accusée de s’appuyer sur des milices islamistes djihadistes, mais ce n’est pas la seule critique à son encontre. Bien qu’elle cherche à contrôler son image et malgré une charte diffusée par ses officiers encourageant ses combattants au respect des traités internationaux et au bon traitement des prisonniers, plusieurs vidéos amateur ont déjà montré ses dérives. Des actes de torture contre des soldats faits prisonniers y sont filmés, ainsi que des exécutions sommaires. La vidéo de l’exécution à l’arme automatique de membres du clan Berri, des chabihas d’Alep, a par exemple beaucoup circulé ces dernières semaines. Ces exécutions sont décrites par le commandement central de l’ASL comme des actes isolés. Elles sont pourtant parfois revendiquées par les porte-paroles de Conseils militaires, qui expliquent que, n’ayant pas de prison, il n’ont pas d’autre option.

Le lieutenant Abderrazak Tlass de la Brigade d’al-Farouk à Homs lit une charte sur le traitement des prisonniers.

L’ASL est également critiquée par certains opposants qui lui reprochent d’intégrer dans ses rangs d’anciens gradés de l’armée régulière aux mains tachées de sang. C’est par exemple le message de ce manifestant :
 
Un manifestant de la ville de Selmiyé, près de Hama porte une pancarte où il est écrit : »Monsieur le général Riadh al-Assaad [général de l’ASL], lorsque notre ville a connu sa première manifestation, vous étiez au service du régime d’Al-Assad ». Photo publiée sur Twitter.
Les cadres de l’ASL tentent de donner l’image d’une force encadrée, homogène et non confessionnelle. Les témoignages de nos Observateurs indiquent pourtant que c’est loin d’être le cas sur le terrain. Alors que le régime syrien semble vaciller, cette armée révolutionnaire doit s’appliquer à afficher davantage de transparence sur son fonctionnement pour apaiser les inquiétudes de la communauté internationale sur la Syrie post-Bachar al-Assad.
CONTRIBUTEURS
Cet article a été rédigé en collaboration avec Sarra Grira, journaliste aux Observateurs de France 24.