Jumilhac: le refuge des enfants de Syrie

Article  •  Publié sur Souria Houria le 8 août 2014

Cinq familles de réfugiés syriens ont été accueillies en Dordogne. Une nouvelle vie après les persécutions. Un renouveau pour les villages. Ils ont sauvé des classes et redonnent vie à des logements vacants

«Ici, c’est une nouvelle vie qui commence». Ici, c’est Jumilhac-le-Grand, c’est La Coquille, villages perdus au bout de la Dordogne, au cœur du parc Périgord-Limousin.
Une nouvelle vie pour vingt-cinq réfugiés. Cinq familles. Douze enfants, trois ados qui y ont posé leurs valises, enfin en sécurité.

Il ne parle «pas de politique», refuse toute photo de lui, de son épouse, de leurs enfants. Il préfère qu’on l’appelle Samir. «Ce n’est pas pour moi.c’est pour les autres, pour les familles qui sont restés là-bas, qui pourront y retourner». Là-bas, c’est la Syrie. Celle de la guerre et de Bachar, qui vient de conserver les ors du pouvoir et le marbre du palais avec une morgue que Samir ne veut pas commenter.
Il a quarante ans, parle un français impeccable, est chirurgien orthopédiste et, aujourd’hui, ne s’inquiète plus pour ses enfants qui jouent tranquillement au pied du pavillon de bois avec les petits voisins.

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Samir et sa famille se méfient encore du régime qu’ils ont fui et des représailles. Mais en Dordogne, ils ont trouvé la sérénité.
Samir et sa famille se méfient encore du régime qu’ils ont fui et des représailles. Mais en Dordogne, ils ont trouvé la sérénité.. PHOTO/Quentin Petit

Samir, son épouse, 32 ans, et leurs deux enfants, 7 et 4 ans, ont définitivement tourné la page de la Syrie, des deux années d’angoisse, sans statut et sans papiers en Égypte inhospitalière, du côté de Port-Saïd. Ils sont arrivés, un soir de tempête qui couchait les arbres, le 21 mai dernier à Jumilhac-le-Grand, devenu leur terre promise, comme celle des quatre autres familles de réfugiés.

L’Egypte inhospitalière

Les premiers accueillis en milieu rural, que le maire, Yves Congé et le préfet détaché par la République sont allés chercher au Caire. «Ici, on recommence à moins que zéro». Une autre vie parce que le passé est trop douloureux. Samir a fermé son Facebook. «Tous les jours, j’y voyais des amis mourir». Mais il n’a pu chasser les images. L’ami qui a perdu sa femme, ses enfants, sur une barcasse approximative à l’approche de Lampeduzza.Ceux qui ont péri sous les bombes et les obus. Samir pleure ce peuple qui était «beau et chaleureux avant la guerre». Il pleure cette terre qui l’a vu naître et éduqué, lui l’apatride, dont le père avait quitté le berceau palestinien dès 1947.
Samir se sentait paria partout. «En Égypte, après le second printemps arabe, il fallait mieux ne pas dire qu’on était Palestinen».

Apatride et même pas réfugié, il a travaillé au noir pour nourrir sa famille, avant de se résoudre à écrire sa vie à l’ambassadeur de France, puisque la République venait de refuser plusieurs visas à ce médecin sans espoir. «Plus de 7.000 médecins ont quitté la Syrie. Si tu soignes les rebelles, c’est le pouvoir qui te tue. Si tu soignes les militaires, c’est les islamistes qui te tuent». Pas d’espoir, jusqu’au contact de l’ambassade, dans le plus grand secret. La famille a fait ses valises. 48 heures plus tard, comme les autres, elle recevait les clés de «son» pavillon.

À Jumilhac, les Syriens sont aujourd’hui chez eux. Samir jette un œil au pavillon en bois voisin où un compatriote s’est installé en famille. «Je suis allé le visiter quelques fois.Aujourd’hui, il est plus souvent chez les voisins que chez moi». Il ne parle pas encore la langue. «Il s’est intégré». Les enfants eux, commencent à se débrouiller.
Désormais, pour définitivement tourner la page, il va falloir trouver du boulot. Samir va bientôt passer ses équivalences de diplômes. Il a déjà, par le passé, travaillé à l’hôpital, à Toulouse, à Montpellier. Son voisin est plombier. Il apprend la grammaire française, mais aussi tout le vocabulaire de sa profession. L’objectif, c’est l’insertion. Parmi eux, il y a aussi un professeur d’anglais, un commerçant. Ils ont tout perdu, mais ils sont prêts à repartir.

Dans les rues du village, ils font partie du paysage. Comme ceux qui ont pris l’habitude de saluer leurs nouveaux voisins dans les boutiques de La Coquille, et qui n’attirent même plus l’attention des autochtones. Les enfants se sont mélangés, à l’école dès le surlendemain de leur arrivée, dans la rue. Jouent enfin à des jeux d’enfants. «Aujourd’hui, on a tous des amis», lâche Samir. Et ça, c’est très nouveau.

 

source : http://www.charentelibre.fr/2014/08/06/jumilhac-le-refuge-des-enfants-de-syrie,1908480.php

date : 07/08/2014