L’échec de la médiation arabe en Syrie ouvre la voie à l’internationalisation : plus de 100 depuis l’annonce de l’arrêt de la répression – Analyse de Dario S. (Rome) et Stefano B.C. (Amman)

Article  •  Publié sur Souria Houria le 5 novembre 2011

Honte et embarras en Italie (et sans doute ailleurs) : une entreprise de Milan aide Assad à traquer ses opposants

vendredi 4 novembre 2011 – 23h16,

Comme prévisible, et fidèle à ses habitudes, le régime syrien a tourné le dos à la médiation arabe qu’il avait pourtant approuvée mercredi dernier, et a repris la répression dont le dernier bilan fait état de 25 morts ce vendredi, et de plus de 100 morts depuis la conclusion de l’accord au Caire, avec la Ligue arabe. Le pire est que le sanguinaire Bachar Al-Assad, digne héritier de son père Hafez Al-Assad, associe des entreprises italiennes qui l’assistent à traquer ses opposants. Le malaise et l’embarras sont palpable en Italie.

L’opposition syrienne, qui refuse d’accorder la moindre confiance au régime de Bachar Al-Assad, a voulu tester sa sincérité, en organisant, ce vendredi, une nouvelle journée de mobilisation pacifique. D’importantes marches ont eu lieu dans plus de 110 localités du pays, y compris dans la capitale Damas. Conformément à son engagement pris devant la Ligue arabe, mercredi 2 novembre au Caire, le régime devait retirer l’armée et les milices des villes, cesser la répression et la violence, et autoriser les manifestations. Mais par leur ampleur, celles-ci menaçaient de déborder le pouvoir, le poussant à user de la violence. Depuis les premières heures de la journée, les chars d’assaut postés autour de Homs notamment ont bombardé la ville.

Le régime reproduit en Syrie ses méthodes rodées au Liban

Au lieu de les libérer, Assad arrête de nouveaux opposants. Les forces du régime ont en effet arrêté plusieurs dizaines de personnes, notamment dans les environs de Damas, à Deïr Ez-Zor, Idleb, Homs, Lattaquié (où les mosquées ont été encerclées par l’armée), à Sanamaïne (Deraa) et Bou Kamal. Ce soir, les Comités de coordination de la révolution affirment que le bilan de la journée s’est établi à 25 morts. Depuis mercredi, ce sont plus de 100 civils qui ont péri sous les balles et les obus du régime, qui reproduit contre sa population les méthodes longtemps expérimentées au Liban durant l’occupation, quand les cessez-le-feu succédaient aux bombardements massifs, souvent arbitraires, aveugles et prenant la population par surprise. Les dizaines de disparus libanais croupissent dans les geôles syriennes depuis plus de 25 ans !! Ainsi, au lieu de respecter ses engagements et de libérer les détenus, le régime a procédé à de nouvelles arrestations, tout en tentant une nouvelle manœuvre pour se dérober de ses promesses, exactement comme il le faisait au pays du Cèdre.

Le ministre de l’Intérieur, Mohammed Al-Chaar, connu pour avoir détruit la ville libanaise de Tripoli sur la tête de ses habitants en voulant décimer l’OLP de Yasser Arafat, au milieu des années 1980, a en effet annoncé, ce vendredi, « une amnistie conditionnée aux opposants qui se rendraient et qui remettraient leurs armes aux autorités. Ceux qui répondent positivement à cet appel disposent d’une semaine pour s’exécuter et bénéficier de l’amnistie » (entre le samedi 5 et le samedi 12 novembre). Ce faisant, Damas enterre les espoirs nés mercredi au Caire. Mais pour l’opposition, « le régime enlève son masque, montre son vrai visage et recourt à ses méthodes sanguinaires traditionnelles, oubliant que Ben Ali et Kadhafi avaient succombé au même aveuglément. Assad n’échappera pas au sort des dictateurs qui l’ont précédé », ajoutent-ils.

Un aveuglément qui ouvre la voie à l’internationalisation de la crise

Mohammed Al-Chaar cherche en effet à renvoyer la balle dans le camp de l’opposition afin de présenter le régime comme victime de bandes armées et de défendre sa théorie de la légitime défense face à ces groupes terroristes. Il compte ainsi tourner le dos à la médiation arabe, accuser des pays étrangers de financer et armer les opposants, pour mieux les éradiquer. Peine perdue, puisque les opposants continuent de refuser la militarisation de leur mouvement. Seule l’Armée Syrienne Libre dispose d’armes légères et moyennes face à l’armada du régime. De plus, les Etats-Unis ont réitéré leur méfiance à l’égard du régime, appelant les opposants à ne pas se rendre aux autorités – comme les y invite le ministre de l’Intérieur – car ils seront arrêtés. Washington refuse de donner le moindre crédit à cette proposition. La France a également mis en cause la bonne foi du régime vis-à-vis du plan arabe : « la poursuite de la répression ne peut que renforcer les doutes de la communauté internationale quant à la sincérité du régime syrien à mettre en œuvre le plan de la Ligue arabe », a déclaré le Quai d’Orsay.

La reprise de la répression signe l’échec cuisant de la médiation arabe et ouvre la voie à l’internationalisation de la crise. La Ligue arabe avait indirectement menacé Assad de prendre de nouvelles mesures à l’encontre de la Syrie si Damas ne coopérait pas avec le plan de sortie de crise. Parmi les mesures envisagées, une source diplomatique arabe à Amman n’exclut pas « un appel que la Ligue pourrait lancer à la communauté internationale pour intervenir et protéger la population ». Ce scénario est d’autant plus plausible que les manifestants syriens ne cessent de le réclamer, alors que des hommes politiques et d’anciens hauts officiers, comme l’ancien vice-président Abdelhalim Khaddam et le général Akil Hashem, appellent l’OTAN à intervenir militairement. Khaddam, réfugié en France, organise ces prochains jours, une conférence réunissant plusieurs dizaines d’opposants dont les résolutions devraient s’articuler autour de ce thème.

Embarras en Italie

Pour faire face à toute ingérence étrangère, Assad menace de mettre la région, voire même la planète, à feu et à sang. Mais pire encore, il semble s’appuyer sur des complices étrangers qui lui assurent une sorte d’immunité. Ainsi, la télévision « Bloomberg » vient de révéler qu’une entreprise italienne, basée près de Milan, fournit et installe en Syrie du matériel ultra-sensible permettant au régime d’intercepter l’ensemble des correspondances électroniques, d’identifier et de localiser leurs auteurs. En somme, la firme AREA permet à Assad de traquer les opposants contre 13 millions d’euros, mais se retrouve aujourd’hui accusée de complicité de génocide et de crimes contre l’humanité. En Italie, ces révélations sont plus qu’embarrassants, d’autant plus que les responsables de l’entreprise justifient leur complicité en affirmant que le contrat avait été signé avant le déclenchement de la révolte.

Selon les opposants syriens, « d’autres entreprises étrangères auraient violé les sanctions et assuré, indirectement, un soutien logistique à Assad et surtout une sorte d’immunité qui vient s’ajouter à l’immunité que lui a assurée et qu’assure toujours Israël contre le maintien du calme absolu à la frontière du Golan ». En effet, les opposants s’appuient sur le site « Elaph.com » pour accuser l’Etat hébreu d’avoir soutenu les Assad, père et fils, et de défendre le maintien du régime en place. En effet, « Elaph.com » publie des aveux de Mahmoud Jameh, un confident de l’ancien président égyptien Anwar Sadate qui, lors d’un voyage en Syrie en 1969, Sadate lui a avoué qu’« Israël a acheté le plateau du Golan contre un chèque de 100 millions de dollars, une somme qui fut partagée entre Hafez Al-Assad et son frère Rifaat et placée sur des comptes secrets en Suisse. Hafez Al-Assad était alors ministre de la défense, et à ce titre, il avait ordonné l’évacuation du Golan avant le début de l’offensive israélienne, lors de la guerre de juin 1967 ». Que ces révélations soient fantaisistes ou réelles, elles sont prises au sérieux par les Syriens et confortent, une fois de plus, les soupçons qui pèsent sur le clan Assad et sur l’immunité dont il a bénéficié depuis son installation au pouvoir, en 1970.

Les plus pessimistes parmi les opposants syriens estiment avec regret que « la présence d’Assad à la tête de la Syrie demeure une nécessité pour Israël, donc pour l’Occident, au nom de la sécurité et de l’Etat hébreu et de la stabilité régionale ». Au contraire, les plus optimistes parmi les opposants préfèrent exploiter ces révélations venues d’Egypte pour « dévoiler la vraie nature du régime, dénoncer sa traîtrise et mobiliser la population contre Assad ». Pour cette catégorie, « l’implication présumée du régime dans la vente du Golan accélère sa chute ». Elle rappelle que « Kadhafi, qui a menacé de faire des révélations embarrassantes pour Nicolas Sarkozy, a été tué et enterré avec ses prétendus secrets. De la même façon, la disparition d’Assad devient une nécessité impérieuse pour Israël et les autres pays qui l’ont directement ou indirectement soutenu et protégé, mais qui ont systématiquement été récompensés par ses mensonges et son terrorisme ».

Dario S. (Rome) et Stefano B.C (Amman)

source: http://mediarabe.info/spip.php?article2062