La Coalition nationale syrienne a un nouveau président – La Chronique de Aziz Enhaili, rédacteur en chef adjoint

Article  •  Publié sur Souria Houria le 14 juillet 2014

 

 

La situation de l’opposition syrienne n’a jamais été aussi mauvaise. Le régime Assad marque des points sur le front militaire. Il continue également de bénéficier de l’appui multiforme de ses alliés russes et iraniens. Un  »nouvel » acteur hostile à cette opposition s’est bien positionné sur le terrain et lui inflige à son tour des coups terribles. Les alliés des rebelles demeurent quant à eux réticents ou divisés sur la marche à suivre pour les aider à se débarrasser du régime en place et se condamnent ainsi de facto à l’impuissance. Cette situation handicape l’action de l’opposition sur le terrain.

La Coalition nationale syrienne (CNS) est la principale instance politique de l’opposition au régime Assad. Elle fait depuis le 11 novembre 2012 partie de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution et en est sa principale force politique. Elle est établie à l’étranger. Elle bénéficie du soutien de pays occidentaux comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France, et de l’appui de nations arabes comme l’Arabie saoudite et le Qatar. Pour le moment, sans emprise réelle sur la situation à l’intérieur de la Syrie demeure limitée. C’est à l’ombre des luttes d’influence entre Riyad et Doha que le CNS a tenu cette semaine sa réunion de deux jours à Sile (une ville turque située sur la mer Noire à 70 km d’Istanbul). L’occasion d’élire son nouveau président.

Succession à la tête du Conseil national syrien

Le damascène Ahmad Jarba (1969-) dirigeait le CNS depuis juillet 2013. Ayant épuisé ses deux mandats (d’une durée de six mois chacun) à titre de président, il ne pouvait se représenter. Trois candidats étaient alors en lice pour lui succéder: Hadi El-Bahra, Mowafaq Nayrabiyeh et Walid Al-Omari. Le premier a récolté 62 voix (sur un total de 116 membres de l’instance générale) et les deux autres respectivement 41 et 3 suffrages. M. Bahra est donc devenu le nouveau chef de cette coalition des forces de l’opposition. Il y est arrivé ce 9 juillet grâce à l’appui du président sortant et au soutien de Riyad. Si 69 appuis en faveur d’Abdelhakim Bachar lui ont permis de combler le poste de vice-président, aucun des candidats aux sièges des deux autres vice-présidents et de secrétaire général n’a réussi à obtenir plus de 50% des suffrages, ce qui rend nécessaire la tenue rapidement d’un second tour.

M. Bahra est né en 1959 à Damas. Il a étudié le génie industriel aux États-Unis et obtenu un baccalauréat à l’université d’État de Wichita. Il a passé la plus grande partie de sa vie d’adulte en Arabie saoudite. Il y a travaillé, entre 1983 et 1987, comme directeur exécutif des hôpitaux Irfane et Baqdou à Djeddah. Il a ensuite œuvré successivement comme directeur exécutif de la compagnie Ofok pour le développement commercial entre 1987 et 2003, comme directeur général de la compagnie internationale Ofok pour les salons entre 2004 et 2005 et depuis comme directeur exécutif de l’entreprise Tinkou.

Selon la notice biographique publiée sur le site du CNS, bien que M. Bahra n’ait rejoint ses rangs qu’en 2013, il avait mis ses connaissances au service de la révolution syrienne et de sa communication et ce depuis ses premiers jours.

C’est d’ailleurs lui qui dirigeait la délégation de l’opposition syrienne aux pourparlers de paix  »Genève II » au cours des mois de janvier et février 2014. Une initiative parrainée par les États-Unis et la Russie, sous l’égide des Nations unies. Mais, cette conférence était vouée à l’échec avant même le lancement de ses travaux en raison des positions diamétralement opposées des parties syriennes, le régime et son opposition. Comment aurait-il pu en être autrement puisque d’un côté il n’a jamais été question pour Bachar Al-Assad de renoncer au pouvoir malgré tous les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité que son régime a commis et, de l’autre, il était hors de question d’accepter son maintien au pouvoir.

Les missions impossibles de Hadi El-Bahra

Le nouveau chef du CNS est sans affiliation politique. Selon un politologue libanais spécialiste du Moyen-Orient et qui a préféré garder l’anonymat,  »M. Bahra est de tendance plutôt libérale et de bonne réputation ». Il est perçu comme un homme de consensus. Une qualité sans doute nécessaire pour réussir dans l’exercice de ses nouvelles fonctions. Mais, comme l’a indiqué à Tolerance.ca une Syrienne de Damas, Nadia Dimashqui,  »plusieurs à l’intérieur de la Syrie se méfient de lui en raison du soutien de M. Jarba, l’homme de l’Arabie saoudite, à sa candidature ». Si Riyad suscite l’hostilité, du moins la méfiance, chez plusieurs Syriens opposés au régime Assad, c’est, entre autres, en raison de son rôle pour le moins controversé sur le terrain.

M. Bahra fait face à trois défis de taille.

D’abord, unifier les rangs de l’opposition et rassurer les minorités ethniques et religieuses du pays, Alaouite et chrétiennes en tête, sur leur place dans une Syrie post-Assad. C’est pour convaincre ces minorités et rassurer la majorité qu’il s’est adressé à son peuple dès sa prise de fonctions. Il a promis à titre d’exemple un ordre politique où  »tous les Syriens seront traités sur le même pied d’égalité et jouiront des mêmes droits, peu importe leur origine ou appartenance, dans le cadre d’un État respectueux de leur dignité et garant de leur liberté ». Il a également promis de  »corriger les erreurs passées (du Conseil, ndlr) et de le remettre sur les rails ». D’où sa main tendue à cette même occasion aux autres  »composantes de l’opposition, politique et armée, et aux autres composantes du peuple syrien ».

Mais, plusieurs facteurs risquent de contrarier la réalisation de ces promesses. Nous en mentionnons ici brièvement deux seulement. Le CNS est miné par des conflits internes liés aux luttes d’influence entre les États qui le soutiennent. Ces luttes à titre d’exemple entre ses parrains saoudien et qatari ne sont pas de nature à le faire gagner en sérénité et risquent de l’engluer dans ses divisions et même d’hypothéquer toute possibilité de réconciliation au sein de l’opposition dans son ensemble. D’ailleurs, le fait de voir dans l’élection de M. Bahra une défaite pour le Qatar aux mains de l’Arabie saoudite n’est pas de nature à calmer les esprits en son sein.

D’un autre côté, l’Armée syrienne libre (ASL) a perdu beaucoup de terrain face à ce qui reste de l’armée régulière et aux insurgés de l’État islamique (ancien État islamique en Irak et au Levant). Son appel à l’aide, sous forme de menace de déposer les armes si on ne lui apportait pas le type de soutien dont elle a cruellement besoin, en dit long sur la dégradation de la situation de l’opposition armée non affiliée à l’EI sur le terrain. Comment M. Bahra pourrait-il inverser une telle situation sur les terrains politique et militaire? À-t-il une feuille de route? Laquelle?

Ensuite, le nouveau chef du CNS devra s’atteler à relever un défi supplémentaire, celui de maintenir la pression sur le régime Assad en vue de sa chute. Mais, s’il a la volonté de le faire, dispose-t-il vraiment des moyens pour y arriver? Comment le pourrait-il alors que l’homme fort de Damas dispose à la fois de solides appuis diplomatiques et militaires russes et iraniens contrairement à son camp qui est hésitant quand il n’est pas englué dans des divisions intestines et des luttes d’influence coûteuses quand elles ne sont pas contre productives pour l’atteinte du but affiché par le CNS?

Enfin, réussir là où avait échoué son prédécesseur Ahmad Jarba, à savoir unifier certaines forces militaires, leur apporter une assistance militaire occidentale à la hauteur de leurs ambitions et ainsi rendre envisageable l’inversion du rapport de force sur le terrain militaire. D’ailleurs, notre politologue libanais cité ci-dessus considère quant à lui la « fourniture de munitions et de l’aide pour empêcher la chute d’une ville comme Alep » aux mains des soldats réguliers comme « son premier défi ».

L’élection de Hadi El-Bahra à la tête du CNS a été bien accueillie à titre d’exemple par Washington, Londres et Paris. Si d’aventure il pensait que sa proximité avec l’Arabie saoudite pouvait en principe rassurer les alliés occidentaux de celle-ci, il devrait réaliser assez rapidement que rien n’est gagné sur ce front. La France n’a pas pour le moment l’intention d’aller dans le sens des demandes du chef du CNS en termes de fournitures militaires, mais préfère mettre l’accent sur l’aide civile et humanitaire. De leurs côtés, les États-Unis demeurent méfiants à l’endroit de l’opposition syrienne. Même si le président Barack Obama a le 26 juin 2014 demandé au Congrès l’autorisation d’une allocation de 500 millions de dollars pour entraîner et équiper l’opposition syrienne armée, il s’est montré  clair sur les destinataires exclusifs de cette aide: des rebelles modérés. Une précision censée rassurer les inquits parmi les congressmen que des armes américaines tombent entre de  »mauvaises mains ». Aussi, les Américains ont insisté encore une fois auprès du leadership du CNS sur la double nécessité de se montrer ouvert et rassurant à l’égard de toutes les composantes de la société syrienne (et donc, entre autres, vis-à-vis des Alaouites) et de renforcer l’unité des forces de l’opposition dite modérée, une manière de montrer leur insatisfaction de ce qui a été fait à ce jour.

Ces alliés occidentaux mettent la pression sur l’opposition syrienne pour qu’elle combatte également les terroristes de l’État islamique (ex-EIIL). Mais, avec quelles armes? Quels moyens logistiques?

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Beaucoup de Syriens de l’intérieur estiment que le CNS s’est montré incapable de fournir l’appui politique et militaire dont ont besoin les rebelles de l’Armée syrienne libre. Les luttes d’influence entre des pays comme l’Arabie saoudite et le Qatar, les luttes de position de pouvoir entre des figures de l’opposition et la méfiance des Occidentaux vis-à-vis de plusieurs groupes rebelles ne peuvent que compliquer la tâche du nouveau président du CNS. À la lumière de ces contraintes structurantes, la mission de Hadi El-Bahra semble impossible.

source : http://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=228840&L=fr

date : 11/07/2014