La mission arabe en Syrie fait face à un déluge d’obstacles – par Christophe Ayad

Article  •  Publié sur Souria Houria le 7 janvier 2012

Des automitrailleuses militaires repeintes en bleu pour les transformer en véhicules de police ; l’armée qui tire sur les manifestants dans un quartier d’Homs tandis que les observateurs arabes en visitent un autre ; une femme arrêtée à un check-point peu après avoir été interrogée par des observateurs à Mouadamiyeh, dans la banlieue de Damas ; des observateurs obligés d’attendre plusieurs heures que les autorités syriennes veuillent bien les transporter où ils le désirent ; des panneaux routiers changés pour entretenir la confusion ; des détenus évacués de leurs prisons vers des casernes ; des snipers embusqués sur les toits qui continuent de tuer, etc. Les exemples d’entraves placées par les autorités syriennes à la mission d’observation de la Ligue arabe, débutée le 26 décembre, sont innombrables.

A tel point que l’opposition syrienne somme la Ligue arabe de se montrer plus efficace ou de céder la place aux Nations unies. Le colonel Riad Al-Asaad, chef de l’Armée syrienne libre (ASL), qui regroupe essentiellement des déserteurs, a demandé que la Ligue « se désiste et permette à l’ONU (…) d’assumer ses responsabilités ».

Le même jour, Burhan Ghalioun, président du Conseil national syrien (CNS), en a appelé lui aussi à l’ONU pour instaurer des zones humanitaires sûres en Syrie et une d’interdiction de survol du territoire.

Les comités locaux de coordination de la révolution syrienne ont appelé à des manifestations géantes, vendredi 6 janvier, avec le slogan : « Nous demandons une internationalisation ».

Dimanche au Caire, le comité interministériel de la Ligue arabe sur la Syrie doit tenir une réunion pour entendre le premier rapport intermédiaire du chef de la mission, le général soudanais Mohammed Al-Dabi, très critiqué pour ses déclarations initiales dans lesquelles il semblait dédouaner les autorités syriennes. Et décider de la poursuite ou non de la mission.

« Il était clair dès le premier jour que cette mission allait tourner en rond, concède un diplomate arabe. La Syrie a négocié pied à pied pour la vider de sa substance, réduire sa taille, limiter sa marge de manoeuvre. Elle n’a donné son accord qu’au tout dernier moment, sous la pression de la Russie et la menace d’une intervention de l’ONU. Le temps de préparation était donc ridiculement insuffisant. Le régime fait les seules choses qu’il sait faire : gagner du temps et réprimer. Il compte sur la désunion des rangs arabes et s’en remet, en dernier recours, au soutien de la Russie et de l’Iran. »

La Ligue arabe est loin de parler d’une seule voix sur le dossier syrien. Entre les alliés de Damas (Liban et Irak), ceux qui sont hostiles à un nouveau changement de régime (Algérie, Mauritanie, Soudan), les ennemis affichés du régime syrien (les pays du Golfe, la Jordanie, la Libye et la Tunisie) et ceux qui n’ont pas arrêté de position (l’Egypte), la mission est tiraillée entre des influences contradictoires.

Sa composition et l’identité des observateurs, qui sont une centaine en Syrie à ce jour, souffrent de la même hétérogénéité. Sur la liste partielle de 22 noms que Le Monde a réussi à se procurer, on note qu’une vaste majorité des observateurs sont des fonctionnaires de la Ligue arabe ou des cadres de l’Organisation arabe pour les droits de l’homme (ou les deux), nommés par leur gouvernement respectif.

Seuls deux membres appartiennent à des ONG indépendantes. Quatre membres sur 22 sont des militaires de carrière, dont le très controversé chef de mission soudanais. « Le général Al-Dabi n’était pas le choix idéal en termes de relations publiques, reconnaît le diplomate arabe. Mais il fallait quelqu’un d’acceptable par Damas. Même Mère Teresa aurait été incapable de stopper la violence. »

Selon le décompte tenu par le Violation Documentation Center, 199 personnes ont été tuées depuis l’arrivée de la mission, le 26 décembre.

« Ce que nous demandons, explique Nadim Houry, de Human Rights Watch (HRW), c’est plus de transparence dans les critères de sélection des observateurs et sur les conditions d’exercice de la mission. Cette mission n’est pas un but en soi, elle doit être le moyen de protéger le peuple syrien. » Diplomates et experts, qu’ils soient indépendants ou membres d’organisations internationales comme le haut commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, sont dans l’ignorance de la composition de la mission, de ses conditions réelles de travail, des procédures suivies.

« Comment évaluer les libérations de prisonniers (comme celle annoncée, jeudi, de 552 personnes) si l’on ne sait pas combien il y a de détenus au total ni où ils sont ? », s’inquiète un spécialiste de ce type de mission, que la Ligue arabe n’avait jamais menée jusqu’à présent. Mais il ne se risque pas à demander le retrait de la mission : « Même si Damas ne respecte aucun de ses engagements en matière d’arrêt de la répression, c’est la seule lucarne que nous ayons sur ce qui se passe en Syrie. »

Les offres de service de HRW et des Nations unies sont restées sans réponse de la Ligue arabe. Jeudi, le cheikh Hamad ben Jassem Al-Thani, premier ministre du Qatar et chef de file du comité de suivi à la Ligue arabe, a reconnu des « erreurs » et ouvert la porte à la possibilité d’une « assistance technique » de l’ONU lors d’une rencontre avec son secrétaire général Ban Ki-moon. Un nouveau pas vers l’internationalisation souhaitée par l’opposition et les manifestants syriens.

source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/01/06/la-mission-arabe-en-syrie-fait-face-a-un-deluge-d-obstacles_1626638_3218.html