La présidentielle à l’ombre de Bachar Al-Assad par Christophe Ayad

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 avril 2017

Le président syrien Bashar al-Assad à Damas, le 15 janvier 2015La présidentielle à l’ombre de Bachar Al-Assad

Pour Christophe Ayad, chef du service international, les étiquettes de droite et de gauche n’ont plus de sens dans le chaos international, et la question syrienne révèle les clivages qui structurent désormais les candidats et les partis.

LE MONDE | 13.04.2017 à 12h22 |Par Christophe Ayad

 

CHRONIQUE. On ne gagne pas une élection présidentielle grâce à la politique étrangère – étant entendu que l’Europe ne relève plus de la politique étrangère. Mais jamais une campagne présidentielle n’a été aussi marquée par les questions internationales. Les candidats sont sommés de se positionner sur la Russie de Poutine, les Etats-Unis de Trump ou la Syrie d’Assad. Pas seulement parce que leurs positions révèlent des choix d’alliances ou de société fondamentaux, mais aussi parce qu’elles ont un impact direct sur le destin de la France.

EN CINQ ANS, TOUT S’EST RAPPROCHÉ, TOUT A CHANGÉ

Il suffit de se souvenir des précédentes élections, où les questions dites « étrangères » n’avaient occupé que quelques minutes à la fin de débat de l’entre-deux-tours : Jacques Chirac et son énigmatique sortie de 1995 sur « le grand méchant tchétchène » ; Sarkozy promettant de ne jamais serrer la main de Poutine et de mettre fin au « génocide » au Darfour en 2007 ; les « printemps arabes » que tout le monde saluait bien bas en 2012 mais déjà de loin…

En cinq ans, tout s’est rapproché, tout a changé : la sanglante répression des révolutions arabes, les migrants par centaines de milliers, les djihadistes d’ici et d’ailleurs, l’ours russe qui s’est réveillé, annexant la Crimée et déstabilisant l’Ukraine et, enfin, l’élection du président américain le plus atypique de l’histoire des Etats-Unis.

Les étiquettes de droite et de gauche n’ont plus de sens dans ce chaos. Ce sont désormais les clivages entre le national et le multilatéral, entre la primauté de l’Etat et celle des valeurs, entre l’ordre et la liberté, ou encore entre le repli sur soi et l’ouverture au monde, qui structurent candidats et partis. Plus encore que la relation à la Russie, dont on a abondamment parlé, plus que le positionnement sur Trump, imprévisible et contradictoire, c’est la question syrienne qui est le meilleur révélateur.

Choisir entre papa (Trump) et maman (Poutine)

Mais disserter sur le drame syrien est une chose, réagir à chaud à une attaque au gaz neurotoxique ayant tué 89 hommes, femmes et enfants en est une autre. Le tragique bombardement du 4 avril à Khan Cheikhoun et le raid aérien punitif américain qui s’en est suivi, trois jours plus tard, contre la base aérienne d’Al-Chayrat ont bousculé la campagne l’espace de quelques jours.

A droite, les choses sont simples (à l’exception d’Alain Juppé) : face à l’organisation Etat islamique (EI), il faut s’allier avec Bachar Al-Assad et Vladimir Poutine. En se pinçant le nez pour François Fillon, sans réserve du côté de Marine Le Pen. Assad et Poutine n’ont beau avoir que très modérément combattu l’EI, leur défense de la chrétienté et leurs joues glabres, symbole bien connu de laïcité, suffisent.

TOUT CELA NE FAIT PAS UNE DIPLOMATIE IRL – « IN REAL LIFE », COMME ON DIT DANS LE LANGAGE DES START-UP

François Fillon est le plus gêné. « Si des armes chimiques ont été utilisées », pose-t-il en préalable. « Bachar Al-Assad commet des erreurs politiques incroyables », poursuit-il, masquant à peine son dépit. Enfin, le principal : « La confrontation avec la Russie n’a aucun sens, je veux qu’on discute. » Peu importe la Syrie pour le candidat LR, ce qui compte, c’est de renouer avec son ami Poutine. Prise à revers par Donald Trump, qu’elle citait comme modèle, Marine Le Pen s’est dite « étonnée » et « déçue ». Elle est dans la situation des enfants du divorce sommés de choisir entre papa (Trump) et maman (Poutine).

Au centre, Emmanuel Macron tente une improbable synthèse entre Fillon (combattre d’abord le terrorisme djihadiste avec l’aide de Poutine), Le Pen (attendons les résultats d’une enquête internationale sur le bombardement chimique) et Hollande (si Bachar est coupable, renversons-le, mais avec l’onction de l’ONU). Tout cela ne fait pas une diplomatie IRL – « in real life », comme on dit dans le langage des start-up.

C’est à gauche que l’éventail des positions est le plus divers. Paradoxalement, Benoît Hamon, l’un des chefs de la « fronde » tout au long du quinquennat, est dans la pure orthodoxie hollandienne : « Bachar Al-Assad est directement responsable de la riposte décidée par les Etats-Unis. » Il n’a ni doute sur l’origine de l’attaque chimique ni état d’âme sur la manière dont il fallait réagir.

Un déni de morale

Jean-Luc Mélenchon est le plus baroque : dans son premier Tweet de réaction, il n’est question ni d’Assad ni de Trump mais de… Hollande et Merkel, coupables d’avoir publié un communiqué commun condamnant la barbarie du régime syrien : ils « portent l’entière responsabilité de donner à Trump le pouvoir solitaire de frapper qui il veut quand il veut », écrit-il. Pas un mot pour le « peuple syrien » dont le candidat de La France insoumise n’a jamais fait cas depuis le début du soulèvement syrien en 2011, préférant systématiquement évoquer le grand jeu géopolitique et les menées impérialistes américaines ou du Golfe pour la conquête des matières premières, sans jamais s’en prendre à celles de la Russie et de l’Iran.

Il a, de nouveau, développé lors de son grand rassemblement du 9 avril à Marseille « pour la paix » la fumeuse théorie d’une guerre pour le gaz et les pipelines. Le pacifisme est certes louable, mais mettre sur le même plan victimes et bourreaux est un déni de morale. Il faut attendre mardi 11 avril pour le voir expliquer que « tout le monde sait que Bachar Al-Assad est un criminel », ce qu’il n’avait jamais dit jusqu’à présent.

Lire aussi :   Les pipelines et les gazoducs sont-ils à l’origine de la guerre en Syrie, comme l’affirme Jean-Luc Mélenchon ?

C’est, au final, le texte publié par Philippe Poutou qui propose la vision la plus élaborée de la crise syrienne : il y fustige « le criminel de guerre Al-Assad », mais rejette toute intervention militaire étrangère, américaine comme russe ou iranienne. Pour autant, le candidat du NPA refuse de rejoindre ceux qui prônent « une paix raisonnable avec Assad et ses sbires ».

« Les militants de la révolution syrienne auraient tort d’espérer que le président américain se soit rangé de leur côté. Nous craignons fort que le coup d’éclat” militaire de Trump serve de couverture à de prochaines manœuvres diplomatiques opportunistes », met-il enfin en garde. Si les Syriens votaient, ils éliraient Poutou.

Christophe Ayad
Rédacteur en chef International