Hala Kodmani – La propagande se déchaîne sur Al-Dounia TV

Article  •  Publié sur Souria Houria le 11 mai 2011

Le régime de Damas met en scène la naïveté des citoyens ordinaires pour accréditer la thèse d’un complot étranger.

«Etes-vous mécontent de l’état d’urgence ? interroge le reporter.
– Et comment ! Les urgences sont d’une lenteur inadmissible. Nous les avons appelées l’autre jour quand l’eau a été coupée chez nous et ils ne sont venus que le lendemain pour dépanner», répond la mère de famille.

Cet extrait d’un micro-trottoir dans une rue commerçante de Damas provient d’Al-Dounia TV, une chaîne syrienne, créée il y a quelques années dans le cadre de la «libéralisation» de l’information et financée par un petit groupe d’hommes d’affaires très proches du régime de Bachar al-Assad. Avec son habillage moderne, ses plateaux en dialecte syrien, ses invités jeunes et beaux dans un salon ou autour d’une piscine et ses reportages de terrain, Al-Dounia TV se veut «la voix des gens et l’image de la vie». Bien mieux que la télévision officielle, elle joue un rôle efficace dans le dispositif de propagande médiatique du pouvoir depuis le début de la révolte. En interrogeant des citoyens syriens ordinaires dans les rues ou des comédiens et sportifs populaires en studio, la chaîne fait dire à ses invités combien ils sont satisfaits des autorités qui luttent officiellement contre des «groupes terroristes venus de l’étranger».

«La liberté est la dernière chose qui nous manque ou dont on a besoin», disent régulièrement des intervenants interrogés par Al-Dounia TV, qui s’est fait une spécialité de mettre en scène l’ignorance et la confusion des citoyens. «On ne sait plus qui croire ni quoi comprendre », avouent beaucoup d’entre eux. Intoxiquez, il en restera toujours quelque chose…

«Que d’ennemis». Toujours fidèle à sa théorie du «complot» depuis le début des troubles, le régime syrien la nourrit et l’adapte au gré de l’actualité. Ainsi, les instigateurs de cette «grande conspiration» visant la Syrie se sont multipliés et diversifiés selon l’évolution de la contestation et le besoin de justifier la répression. «Il faudrait qu’ils se décident sur qui est responsable, ironise Omar, jeune diplômé au chômage qui suit de près la couverture des événements. Ils ont commencé par accuser les exilés Abdel Halim Khaddam et Rifaat al-Assad [respectivement ancien vice-président et oncle de Bachar al-Assad, ndlr], puis Saad Hariri [leader sunnite libanais, fils de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, assassiné en février 2005, ndlr], soutenu par les Saoudiens. Puis ce fut au tour des salafistes venus d’Irak, mais aussi bien sûr des Israéliens et des Américains opposés à la politique nationaliste de la Syrie. Que d’ennemis nous avons !»

Les preuves du «complot» défilent sur les écrans sous forme d’images d’armes saisies dans des camions entrés par les frontières libanaise ou irakienne ou d’aveux de «terroristes», diffusées par les chaînes syriennes. Ce seraient ces «bandes» qui tirent sur les manifestants et font tomber les «martyrs» à Deraa et ailleurs, selon la propagande officielle. Tandis que les forces de sécurité luttent contre ces «hommes armés venus de l’étranger». «A croire que nos frontières sont des passoires !» s’inquiète Omar, incrédule, contrairement à nombre de Syriens, à la fois angoissés par les violences et déboussolés par les informations contradictoires qu’ils suivent assidûment sur les autres chaînes arabes ou internationales.

Black-out. Les médias syriens consacrent une grande partie de leurs programmes à démentir les vidéos et témoignages diffusés sur Al-Jezira ou les antennes arabes de la BBC et France 24. Ainsi, une séquence montrant des protestataires couchés à plat ventre, piétinés par les forces de sécurité, a ainsi fait l’objet d’une polémique sur les antennes pendant plus de trois jours. Cette vidéo – amateur comme toutes les autres -, filmée dans une localité près de Homs, montrerait en fait des «peshmergas [combattants kurdes, ndlr] en Irak», selon la version officielle, démentie à son tour par l’une des victimes piétinées, qui a exhibé sa carte d’identité syrienne dans une nouvelle vidéo.

«Seuls les médias syriens peuvent rapporter ce qui se passe réellement dans le pays», avait déclaré Bouthaïna Chaabane, conseillère de Bachar al-Assad, lors d’une conférence de presse au tout début des troubles. Fidèles à ce parti pris, les autorités imposent un black-out total sur l’information et interdisent leur territoire à tout journaliste ou témoin étranger.

Source : Liberation.fr > Hala Kodmani
Date : 10/5/2011
http://www.liberation.fr/monde/01012336452-la-propagande-se-dechaine-sur-al-dounia-tv