La Syrie, assiégée de l’intérieur et de l’extérieur, ne cède pas – par NEIL MacFARQUHAR

Article  •  Publié sur Souria Houria le 9 décembre 2011

Traduit de l’anglais par SouriaHouria

DAMAS, Syrie – Lors de sa toute dernière conférence, le ministre des Affaires étrangères Walid al-Mouallem a interrompu le flux de questions en agitant un petit morceau de papier blanc indiquant qu’il avait des nouvelles importantes.

« Je viens de recevoir une note du conseil consultatif de la nouvelle constitution! », a déclaré le corpulent ministre aux cheveux blancs, annonçant juste qu’une nouvelle disposition interdisait « la discrimination entre les partis politiques. »

Un tel théâtre politique grinçant en dit long sur la manière dont le gouvernement du président Bashar al-Assad a géré la crise engloutissant la Syrie depuis mars. Plutôt que de répondre aux motifs et aux exigences qui sont derrière le soulèvement antigouvernemental; selon les opposants et les analystes politiques, le gouvernement s’est obstinément raccroché à la version des faits selon laquelle il est assiégé par un complot étranger. Le régime offre de maigres miettes de changement politique, tout en évitant les réformes radicales qui pourraient désamorcer la colère publique et atténuer son isolement international.

Dans le même temps, ses efforts violents pour combattre le soulèvement ont amené une opposition autrefois pacifique à prendre les armes, ont déclaré ici les analystes.

« Neuf mois dans cette crise, et le gouvernement n’a rien d’autre à offrir qu’une solution militaire et sécuritaire, » a déclaré Hassan Abdel Azim, 79 ans, un vétéran parmi les dissidents syriens, assis dans son bureau exigu uniquement décoré d’une photographie du dernier leader nationaliste arabe égyptien, Gamal Abdel Nasser.

Les hauts responsables gouvernementaux – dont le président Assad – et leurs partisans débitent une explication remarquablement uniforme des soulèvements, blamant des agents étrangers et niant la responsabilité officielle de la violence.

« La plupart des personnes qui ont été tuées sont des partisans du gouvernement, pas l’inverse », a affirmé M. Assad dans un entretien avec ABC News qui sera diffusé mercredi. Au cours de l’interview, M. Assad a nié avoir ordonné la répression. « Nous ne tuons pas notre peuple », a-t’il dit. « Aucun gouvernement au monde ne tue son peuple, à moins qu’il ne soit dirigé par un fou. »

Pratiquement personne dans le gouvernement syrien ne fait le lien entre les soulèvements là-bas vers le sentiment commun inspirant les révolutions dans le monde arabe, et un public qui en a assez du statu quo. Au lieu de cela, ils disent que les Etats-Unis et Israël, alliés avec certains gouvernements arabes collaborateurs, complotent pour détruire la Syrie, pour réduire au silence sa voix arabe isolée et indépendante et pour affaiblir son allié régional, l’Iran. Pour atteindre cet objectif, affirment-ils, ils arment et financent des mercenaires musulmans fondamentalistes qui entrent en Syrie depuis l’étranger.

« La Syrie est un des derniers régimes laïques dans le monde arabe et ils visent la Syrie, » a déclaré  Buthaina Shaaban, un conseillère politique et médiatique présidentielle, avertissant que l’Occident allait se repentir du jour où il aurait favorisé des régimes islamistes. Elle a rejeté l’idée que tout vrai syrien puisse s’élever contre le gouvernement, déclarant : «Le colonialisme a toujours su trouver des agents à l’intérieur du pays. »

Mais ce point de vue ne semble pas en mesure d’expliquer le déroulement des événements dans les rues.

Le flot de vie apparemment routinier dans le centre de Damas pourrait donner l’impression qu’il n’y a pas de crise, ou que l’approche sécuritaire est efficace. Pourtant, derrière l’ordinaire, un malaise saisit cette capitale, alors que la peur de la guerre civile supplante l’espoir d’une transition pacifique vers la démocratie. Les habitants de Damas décrivent la banlieue rétive comme coupée du monde  par les barrages du gouvernement, et tandis que les forces de sécurité contrôlent ces zones dans la journée, la nuit appartient aux rebelles. Une demande de visite des faubourgs a été refusée « pour votre propre sécurité » par un responsable du gouvernement syrien.

Les manifestants procèdent à des « manifestations volantes » à l’intérieur de la ville, essayant de mettre en échec le contrôle des forces de sécurité avec peu de gens se rassemblant brièvement pour être filmés scandant des slogans antigouvernementaux. Les Damascènes disent qu’ils se sont tellement habitués à entendre les slogans chantés en arrière-plan, étant donné les rassemblements pro-gouvernementaux quasi quotidiens organisés par le gouvernement, que cela prend quelques minutes pour se rendre compte que les gens sont en train de maudire le président Assad. Au moment où ils cherchent la source, les manifestants ont disparu.

Pourtant, les forces de sécurité semblent omniprésentes, se matérialisant généralement en quelques minutes. Les critiques du gouvernement disent que des myriades de partisans ont été recrutées parmi les shabiha, ou les voyous, ainsi que les forces loyalistes sont connues.

Une manifestation éclair récente près de l’hôtel central Cham Palace, a été dispersée par un groupe de serveurs qui ont déferlé d’un café voisin avec des matraques, a déclaré un témoin. Beaucoup de campus universitaires restent tendus parce que des étudiants membres du parti Baath au pouvoir ont dénoncé des camarades de classe antigouvernementaux à la police secrète.

Un jeune professionnel a déclaré que l’un de ses collègues filmant une longue file d’attente de gens faisant la queue pour les rares bouteilles de gaz domestique a été sévèrement battu par des agents de sécurité qui se sont pointés en deux minutes pour l’arrêter. C’est le lot commun pour ceux surpris en train de filmer, et le gouvernement vient d’interdire les iPhones.

« C’était juste une longue file d’attente, rien de politique », a déclaré le professionnel s’exprimant anonymement, comme beaucoup de syriens, par peur des représailles. « Ils pensent que s’ils cachent tout, cela finira par disparaître, mais ça n’arrivera pas. »

Pour alléger la tension, les Syriens échangent des plaisanteries ironiques : « Hey, tu as entendu que tous les éboueurs ont fait défection du gouvernement? En fait, ils ont commencé le nettoyage des rues! ».

Il semble n’y avoir aucun terrain d’entente possible entre la suggestion du gouvernement de rétablir le calme et ce qu’exigent les manifestants.

« Ils ne négocient pas, ce qui est effrayant, » a déclaré Jihad Yazigi, rédacteur en chef du Syria Report, un bulletin d’information d’entreprise.

Mais les responsables du gouvernement semblent croire qu’une nouvelle constitution – même si le président a trié sur le volet le comité qui l’élabore – est une concession majeure qui amènera le pluralisme et la fin des troubles. « Nous faisons tout ce qui doit être fait pour notre peuple et pour notre pays, » a déclaré Mme Shaaban.

Les critiques se moquent de ce qu’elles considèrent comme rien de neuf à signaler – notant que Mr. Assad n’a jamais honoré les promesses répétées de procéder à des changement politiques depuis qu’il a hérité la présidence de son père en 2000. Un dialogue national, promis depuis mars, est au point mort, l’opposition exigeant d’abord la fin de la violence.

Cela pourrai aussi être complètement égal à la base du mouvement de protestation. Alors que l’actuelle Constitution de 1973 environ a clairement besoin d’un changement pour supprimer toute sa rhétorique socialiste et de parti central, les opposants au gouvernement remarquent qu’elle garantit faussement des droits fondamentaux tels que la liberté de réunion. L’état d’urgence en place depuis 1963 qui niait les droits fondamentaux a ostensiblement été levé, mais le gouvernement continue à abattre les manifestants, ont-ils déclaré.

Les Nations Unies situent le nombre de morts à 4.000 civils, tandis que les opposants au gouvernement estiment que le nombre de prisonniers politiques général va d’environ 15 000 à plus de 40.000.

Les attaques armées contre des cibles gouvernementales sont en augmentation, ce que les Syriens extérieurs au gouvernement attribuent aux déserteurs armés abandonnant l’armée. Ils trouvent l’idée d’étrangers infiltrés ridicule.

Les partisans du gouvernement avertissent sur un ton sinistre qu’une horrible guerre civile communautaire comme celle qui a sévi en Irak pourrait être à portée de main. « Si vous êtes un chrétien ou un alaouite, vous serez assassiné », a déclaré Cherif Abaza, un ancien membre du Parlement. Les dissidents accusent le gouvernement d’alarmisme et d’encourager la violence en armant les Alaouites, ce que nient les officiels.

« C’est ridicule », a déclaré Mme Chaabane. « Y-a-t’il un gouvernement dans le monde qui inciterait à une guerre civile ? »

Les partisans du mouvement de protestation affirment que la haine commune exprimée envers les Alaouites, la communauté hétérodoxe musulmane, provient moins de leur communauté que de leur domination sur le régime, à commencer par M. Assad, et en particulier la police secrète redoutée. Mais cette distinction s’estompe.

Après que le président Hafez al-Assad a pris le pouvoir en 1970, les Alaouites dominaient tellement en tant qu’agents d’infiltration que les gens craignaient de nommer la communauté en public. L’euphémisme préféré était «les Allemands». A présent, dans un signe d’aliénation et baisse de la peur à la fois, certains Syriens les appellent «Mundas», ou « infiltrés » en arabe. Le gouvernement utilise ce mot pour décrire les supposées bandes armées islamistes.

Evaluer les changements dans le soutien au gouvernement est également difficile. Le régime a clairement perdu le contrôle dans de larges pans du pays, mais la peur de ce qui viendra après semble être à Damas un sentiment répandu qui a gardé la ville dans le rang.

« Nous avons peur que ça n’aboutisse à la mort par carte d’identité, par pauvreté et par le scénario irakien », a déclaré un homme d’affaires interrogé au milieu des bazars du vieux Damas. « Nous voulons le changement, seulement nous ne voulons pas de sang. ».

 

source:  http://www.nytimes.com/2011/12/08/world/middleeast/syria-bashar-assad-officials-dismiss-protests.html?pagewanted=2