La Syrie glisse vers la guerre civile – Par Marie Simon

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 novembre 2011

Une partie de l’opposition se résigne à faire parler les armes pour obtenir la chute du régime de Bachar al-Assad, faute d’intervention internationale. Les dernières actions de la nouvelle « Armée syrienne libre » troublent la communauté internationale. LEXPRESS.fr fait le point sur ce glissement progressif.

Une nouvelle phase de la crise syrienne

« L’euphorie initiale a laissé place à une humeur bien plus sombre », dans les rangs des contestataires syriens. Ce constat est dressé par Emile Hokayem, spécialiste du Moyen-Orient et contributeur de l’International Institute for Strategic Studies. La crise syrienne entre dans une nouvelle phase, analyse le chercheur qui a rencontré des opposants et des fidèles au régime, à Beyrouth, au Liban voisin. Une phase armée, où la nouvelle Armée syrienne libre (ASL) joue un rôle croissant.

Après les premières manifestations pacifiques à Damas et Deraa il y a huit mois, d’autres villes comme Homs ou Deir Ez-Zor ont tenté de se soulever mais la répression sanglante a empêché le mouvement de passer un « cap » décisif. Et la communauté internationale peine toujours à trouver les mots pour condamner l’action du régime de Bachar al-Assad.

« Avec ou sans l’appui d’une intervention étrangère, les commandants de l’ASL prévoient des confrontations directes avec les forces loyales du président Assad », écrit Emile Hokayem. Des confrontations ont déjà lieu, comme le montre ce reportage récent de Sky News à Homs. Dans leurs décomptes quotidiens, les ONG dissocient désormais les victimes civiles des déserteurs tués par les forces du régime.

D’où vient l’ASL et que veut-elle?

Les rangs de l’ASL, formée en juillet dernier, grossissent à chaque vague de désertions de soldats de l’armée régulière syrienne. Ces désertions sont de plus en plus nombreuses: ceux qui refusent de tirer sur la foule risquent la mort. Reste le choix de la fuite, vers le Liban au sud ou, surtout, vers la Turquie au nord. Le 14 novembre, la dernière vague a poussé quelque 500 hommes dont 14 officiers, selon l’ASL.

C’est à la frontière avec la Turquie qu’un colonel déserteur, Riad al-Assad, été créée l’ASL. Le but affiché: « travailler main dans la main avec le peuple en faveur de la liberté et de la dignité, renverser le régime, protéger la révolution et les ressources du pays, et se dresser contre la machine militaire irresponsable qui protège le régime », selon son texte fondateur.

Quelle est son action sur le terrain?

L’ASL agit d’abord de manière défensive et constitue une sorte de rempart pour protéger les manifestants face à la répression. Ses autres objectifs sur le terrain: faciliter les mouvements des déserteurs, organiser leur mise en relation en Syrie et à l’extérieur du pays, identifier les informateurs du régime, sécuriser les routes pour les candidats à l’exil dans un sens et la fourniture de vivres dans l’autre sens, stocker des armes et des munitions pour en éviter la dissémination.

Quelles sont ses forces?

L’ASL regroupe quelque 10 000 à 17 000 « soldats libres », selon les sources, organisés en 18 bataillons. Actifs notamment dans les régions d’Homs, Hama et Idleb. Mais c’est assez peu face aux 200 000 soldats encore loyaux à Damas. Espèrent-ils plus de déserteurs? Non, selon le témoignage de l’un d’entre eux, Omar, retranscrit par France 24: « Le problème est que nous n’avons pas de réseau sûr pour les regrouper car nous ne contrôlons aucun territoire. » Les gradés de l’ASL tentent désormais de dissuader les sympathisants et leur demandent d’attendre que les conditions soient meilleures pour les rejoindre.

Sont-ils tentés d’armer les civils – lassés d’une situation qui n’évolue pas – pour leur prêter main forte, ce qui constituerait une évolution dangereuse pour le pays? Le colonel Riad al-Assad affirme qu’il rejette tous les appels à armer les Syriens, une solution « trop risquée », écrit-il par email à France 24. Sans compter que l’ASL manquerait d’armes, selon un témoignage posté sur Youtube… alors que le régime la considère comme des « terroristes » qui les disséminent.

Quels sont ses liens avec le CNS?

L’ASL « soutient le Conseil national syrien et sa vision politique », affirme un communiqué du CNS posté sur sa page Facebook après la rencontre des responsables des deux formations, le 10 novembre. Dans le paysage morcelé de l’opposition politique et militaire syrienne (dont Al Jazeera décrit les éléments ici), « l’ASL est une force qu’il ne faut pas laisser de côté », reconnaît Burhan Ghalioun, leader du CNS.

Mais les relations entre les deux formations ne semblent pas si cordiales. L’annonce par l’ASL de la formation du Conseil militaire syrien, cette semaine, pourrait être un message envoyé au CNS: d’après un officier de l’ASL cité par le chercheur Emile Hokayem, il s’agirait là de « forcer le CNS, dont les membres méconnaissent les questions de sécurité, à durcir sa position ». L’ASL assure qu’elle rendra ses prérogatives une fois le régime renversé, mais le CNS semble se méfier de cette formation parallèle. Il estime de son côté que les chiffres affichés par l’ASL sont « exagérés » et que ses membres devraient « limiter leurs opérations à défendre les civils non armés ».

L’attaque de mercredi, un tournant?

Or l’ASL semble au contraire vouloir dépasser les limites de cette mission initiale. Ce mercredi, par exemple, elle a attaqué un centre des services secrets syriens, selon les Comités locaux de coordination (LCC), une autre organisation de l’opposition. « L’Armée libre a frappé avec des roquettes et des grenades RPG le centre des services de renseignements aériens situé à l’entrée de Damas », ont-ils expliqué dans un communiqué. Bilan: 34 morts.

Frapper les installations de cette institution au coeur de l’appareil répressif du régime n’est pas anodin: le lieu est symbolique, les moyens déployés apparaissent sans précédent par rapport aux précédentes actions revendiquées. « L’ASL peut frapper n’importe où, n’importe quand », se vante-t-elle. « Nous voyons de plus en plus d’opérations de ce genre, menées par des éléments armés de l’opposition « , commente l’ambassadeur britannique cité par le Telegraph.

Un « espoir » ou un risque de guerre civile?

L’ASL constitue le « seul espoir » pour certains Syriens, selon une Observatrice de France 24 à Homs. Pour ceux qui désespèrent de voir la communauté internationale décider, via une résolution de l’ONU, d’instaurer une zone d’exclusion pour protéger les civils. Mais aussi pour ceux qui pensent que les Syriens doivent résoudre cette crise entre eux.

« Nous nous battrons pour que le régime tombe et pour construire une nouvelle période de stabilité et de sécurité en Syrie », réplique le leader de l’ASL, le colonel Riad al-Assad dans des interviews accordées notamment à Reuters et au New York Times. En attendant, selon lui, « seule la force peut déloger celui qui gouverne par la force. Sans guerre, le régime ne tombera pas. C’est notre seule option ». A la BBC, ce jeudi, il ajoute: « C’est notre droit de défendre notre peuple alors que la communauté international ne fait rien. »

Les voisins arabes de la Syrie s’inquiètent déjà de ce glissement qui pourrait déstabiliser toute la région. Pour la Russie, la situation « ressemble à une véritable guerre civile ». Et les Etats-Unis ne masquent pas leur embarras. Ce type d’actes « joue de fait en faveur d’Assad et de son régime », qui peuvent ainsi faire porter la responsabilité de la violence sur les opposants.

source: http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/la-syrie-glisse-vers-la-guerre-civile_1052241.html