La Syrie : un Etat en urgence, Par Sami KAMIL

Article  •  Publié sur Souria Houria le 14 juin 2011

Depuis le 15 mars, la peur a changé de camp en Syrie. La vague de la contestation et des révoltes pacifiques n’a pas finalement épargné ce pays que certains observateurs ont classé « hors contexte révolutionnaire ». Déjà 1200 morts recensés et ce chiffre risque de se voir amplifier avec les révélations presque quotidiennes. Des soldats et des agents de sécurité représentent une petite partie des victimes, les conditions de leurs assassinats restant ambiguës : les autorités attribuent cela à des insurgés armés, mais les représentants de plusieurs organisations des droits de l’homme réfutent cette accusation en considérant que les victimes militaires ont été éliminées par les autorités suite à leur défection ou à leur refus de tirer sur les civils. En l’absence totale de médias étrangers, il est illusoire de trancher sur les détails. En revanche, ce doute «déontologique» ne doit en aucun cas mettre en doute l’atrocité des événements et la nature très violente de la répression.
Les arrestations massives ressemblent à des rafles dans les villes visées par l’armée et les services de sécurité. Sur le terrain de la terreur, des groupes de la mort voient le jour pour réaliser le «sale boulot» sous le nom de Chabiha. Ce vocabulaire vient, à l’origine, d’un mot qui désigne les fantômes. Ces «fantômes» oeuvraient auparavant, impunément, dans les trafics d’armes, de drogues et de voitures. Ils étaient redoutés pour leur brutalité. Ils ont terrorisé les manifestants dans les banlieues de Damas comme dans les villes de Homs, Lattaquié et Banyas.
Leur implication dans la répression n’émane pas simplement du fait qu’ils se comportent comme des mercenaires et qu’ils ne craignent que «leur» Dieu, en l’occurrence, leur commanditaire.
Ils sont instrumentalisés pour semer la peur communautaire au sein de la société. Provenant majoritairement de la communauté alaouite, ces milices peuvent être considérées par les citoyens «ordinaires» des autres communautés comme étant une milice communautaire. Ce n’est pas du tout le cas puisque la communauté alaouite ne se sent pas représentée par eux et qu’elle «paie» cette affiliation.
Même si la maturité politique est suffisamment développée au sein du mouvement contestataire et que toutes les manifestations pacifiques affichent sans ambiguïtés l’unité nationale, force est de constater que la peur d’un développement vers la division sectaire gagne du terrain. Elle est l’oeuvre explicite du régime et de ses outils. A tel point, que les religieux «sunnites», qui produisent un discours unificateur destiné à rassurer les autres communautés, se font emprisonner. Le dernier en date est M. Khatib, un réformateur très modéré et apprécié d’abord par les chrétiens puis par les musulmans. Un dignitaire religieux de Damas a également été arrêté pour avoir organisé une rencontre entre des sunnites et des alaouites.
Ce jeu dangereux de la part des autorités, soutenu par des médias syriens et libanais inféodés au régime syrien, sème un certain doute dans les rangs de la «majorité silencieuse», malgré les tentatives acharnées des intellectuels de l’opposition pour essayer d’expliquer l’instrumentalisation des différences religieuses et alerter la société du danger probable d’une telle manipulation.
Cette manipulation qui essaye de renvoyer le mouvement contestataire au «salafisme jihadiste», réussit parfois à gagner les esprits réticents dans la société syrienne, mais aussi dans certaines chancelleries occidentales. Force est de constater que le pouvoir politique syrien qui a prétendu être laïc, n’a pas réussi durant les décennies de son règne à instaurer une vraie laïcité et à développer une réelle citoyenneté. Son usage du sectarisme était méthodique pour mieux contrôler la société et notamment les différentes minorités. Les autorités ont ouvert des nouveaux centres de détention pour rassembler les civils raflés par milliers.
Des dépôts et des usines ont été investis. La situation humanitaire est très critique alors qu’aucune organisation indépendante ne peut obtenir l’autorisation d’accéder à ces centres ni même aux villes assiégées. La ville de Daraa, berceau de la contestation qui a subi une expédition punitive durant deux semaines, a été privée d’eau potable, d’électricité et de la téléphonie mobile. Des témoignages commencent à filtrer après 45 jours de siège qui démontrent l’atrocité de la situation humanitaire.
Constatant la nature communautaire unifiée entre musulmans et chrétiens de cette ville, le régime a déplacé la répression vers d’autres villes où existe une autre composition de la mixité religieuse afin de renforcer ses allégations dénonçant le danger d’une «guerre civile». Dès lors, la transformation des événements en «confrontation communautaire» représente un grand défi pour les événements qui se déroulent en Syrie. Un autre défi est incarné par l’ambiguïté de l’action de l’appareil dirigeant. D’un côté, il annonce des réformes politiques que toute la population attend impatiemment depuis presque 50 ans, et de l’autre côté, il continue de renforcer sa répression sanglante contre sa population civile. Cette contradiction développe des réflexions pour essayer de déceler un quelconque «conflit» à la tête du pouvoir entre les porteurs d’une vision réformatrice (le Président ?), et ceux qui adoptent une vision sécuritaire (son frère?). Cependant, ce travail de réflexion risque de conduire à un piège : celui d’attendre pour voir lequel des deux courants va l’emporter. Cette attente risque de coûter des centaines de vies et beaucoup de tristesse dans un pays connu pour son pacifisme même sous les occupations les plus redoutables (Ottomane). Une situation qui se complique quand nous constatons que les Syriens, dans leur majorité, sont hostiles à une intervention étrangère directe. Ce constat risque de se modifier si la situation continue à se dégrader de jour en jour.
Le régime ne cesse de perdre ses amis déjà peu nombreux. Après la France et son ouverture «généreuse» à son égard depuis 2008, le Qatar, son plus grand soutien politique et économique devient, pour le régime et sa propagande, un pays ennemi considéré comme une base militaire américaine dans le Golfe et comme étant un pays qui développe des relations secrètes avec Israël. Cette dégradation dans les relations a été graduelle mais elle est arrivée à un stade de non retour sauf miracle (et Dieu sait que les miracles existent en politique). Le retrait des investissements qataris a commencé à se faire ressentir.
La Turquie et particulièrement son Premier Ministre, autre ami «fidèle» a investi largement dans ses relations même personnelles avec le Président syrien. Les déclarations des dirigeants turcs ne cessent de se durcir avec le développement de la répression.
Des mots forts ont été prononcés à l’encontre du régime syrien par le Premier ministre Ardogan et le ministre des Affaires étrangère Uglou. Ainsi, la réaction officielle syrienne n’a pas épargné les amis turcs en les considérant comme une composante d’un «complot» les associant aux Américains, Israéliens et Frères Musulmans …. La tension ne cesse de s’accroître avec l’arrivée massive des réfugiés syriens dans le sud de la Turquie.
Les Syriens sont condamnés à l’espoir ; ce qui se passe n’est pas la fin de leur histoire millénaire. Ils resteront pacifiques et unifiés. Les occupants les plus virulents n’ont pas réussi à les diviser pour qu’un jour des milices locales sans foi ni loi y arrivent. Il faut que la violence aveugle cesse et qu’un dialogue sous forme de négociation soit effectif entre un pouvoir qui acceptera son départ à travers une transition et un peuple qui exprimera sa propre vision pour un avenir meilleur dans un pays plein de ressources.

Source: www.euromed-ihedn.fr
06-06-2011