la Une > Proche-Orient Les forces régulières syriennes harcelées par des déserteurs – par Christophe Ayad

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 novembre 2011

Une attaque revendiquée contre un bâtiment des services de renseignement de l’armée de l’air à Harasta, dans la banlieue de Damas, mercredi 16 novembre. Une roquette tirée par des inconnus contre une antenne locale du parti Baas à Damas dans la nuit de dimanche à lundi 21 novembre. Les opérations revendiquées ou attribuées à l’Armée syrienne libre (ASL), qui regroupe différents groupes de déserteurs, sont de plus en plus audacieuses.

Faute d’une intervention étrangère qui ne fait pas consensus dans la communauté internationale, la révolution syrienne semble ne pouvoir compter que sur cette armée de fortune, formée de soldats écoeurés par une répression qui a déjà causé plus de 3 600 morts. Mais les opérations montées par l’ASL constituent-elles une menace militaire pour le régime Assad ?

Rencontré à la fin du mois de septembre, le général à la retraite Akil Hachem, qui vit en exil en France, était alors enthousiasmé par la multiplication des défections au sein de l’armée syrienne. Pour lui, un début de maquis était en cours de constitution dans le Jebel Al-Zawiya et à Rastan, entre Homs et Hama. Aujourd’hui, il est nettement plus circonspect, malgré l’annonce d’un Conseil militaire de neuf membres à la tête de l’ASL. « Pour l’instant, on ne peut pas parler d’armée, tempère-t-il. Ce sont des groupes de soldats qui se rallient à une bannière. Mais ils n’ont ni commandement, ni communications, ni armes lourdes. Dans ces conditions, ils ne peuvent pas représenter une menace pour le régime. »

La plupart des dirigeants de l’ASL, dont aucun ne dépasse le grade de colonel, ne sont pas issus d’unités combattantes. Le chef de cette structure, le colonel Ryiad Al-Assaad, un ingénieur de l’armée de l’air, vit sous la protection des autorités turques. Les effectifs de l’ASL sont difficiles à évaluer et impossibles à vérifier, faute d’accès libre au terrain : on parle de 20 000 hommes, auxquels se mêleraient beaucoup de civils ayant pris les armes. La plupart des déserteurs sont des conscrits, qui forment 60 % de l’armée.

Les opérations tiennent plus du harcèlement que de la guerre civile. Les groupes de l’ASL visent en priorité les chabiha, les milices de civils armés pro-régime, lors de leurs déplacements d’une ville à l’autre. En attaquant des bâtiments des services de renseignements et du parti Baas, ils cherchent avant tout à frapper les esprits, inciter les citadins des grandes villes, Alep et Damas, à basculer du côté de la contestation. L’ASL n’en est pas encore au stade d’une guérilla, mais si elle reçoit des armes elle pourrait rapidement y parvenir. D’où l’importance du contrôle des frontières, comme celle avec le Liban que la Syrie est en train de miner.

« Pour que le régime commence à être menacé, il faudrait qu’un commandant de division se retourne avec tous hommes », estime Akil Hachem. L’armée régulière compte 300 000 hommes répartis en douze divisions, en plus de la garde présidentielle. Or le régime contrôle bien son appareil répressif, dans lequel l’armée régulière joue un rôle important mais pas unique. En plus de l’armée, il faut compter avec quelque 200 000 hommes des moukhabarat, les services de renseignement, répartis en une multitude d’agences qui se surveillent les unes les autres.

La majorité des commandants de divisions et la totalité des chefs des quatre grands services de renseignements sont alaouites, la communauté chiite dissidente et minoritaire dont est issue la famille Assad. A un niveau plus politique, les nominations ont valeur d’affichage, comme celle du nouveau ministre de la défense, Daoud Rajiha, dont la principale qualité est d’être chrétien et qui a été flanqué d’Assef Chawkat, le beau-frère du président, comme vice-ministre. Quant à l’état-major, il est désormais dirigé par le général Fahd Jassem Al-Farij, sunnite originaire de Hama, mais doublé d’un encombrant adjoint, Ali Ayoub, un alaouite bien sûr.

« Les militaires sont soumis à un étroit contrôle par les renseignements militaires. Ils sont écoutés, leur famille est surveillée », raconte Akil Hachem, qui en sait quelque chose et a été assigné à résidence lors de son dernier séjour en Syrie de mi-2003 à septembre 2004 sur de simples soupçons de contacts avec l’opposition après un séjour prolongé aux Etats-Unis où vit sa fille. Juste après la suspension de la Syrie par la Ligue arabe, le samedi 12 novembre, il a reçu un coup de téléphone d’un ancien élève de l’Académie militaire de Homs, où il a longtemps enseigné dans les années 1980, devenu entre-temps chef d’un important service de renseignement. « Il voulait me convaincre que ce qui était dit à la télévision était faux et de venir le vérifier au pays », raconte Akil Hachem. Il s’agissait aussi d’une menace voilée à la suite des interventions du général dans des médias arabes.

Si certains cadres de l’armée pourraient être tentés par l’entrée en dissidence avant qu’il ne soit trop tard, ce n’est pas le cas des chefs des moukhabarat, trop mouillés dans la répression et la corruption. L’armée syrienne est notoirement pauvre et corrompue. Le général Hekmat Chihabi, longtemps chef d’état-major sous Hafez Al-Assad, avait fait rattacher 800 soldats à son seul bureau afin de pouvoir toucher leurs soldes, tout en les faisant payer pour être exemptés de service. Quant au maréchal Mustafa Tlass, inamovible ministre de la défense d’Assad père, il savait mieux la comptabilité que la balistique. A un niveau subalterne, une partie des armes légères de l’ASL ont été achetées à des soldats encore en service.

Les unités les plus sûres ont été affectées à la garde des lieux considérés comme stratégiques. Ainsi, Damas est sous la « protection » de la garde présidentielle (30 000 hommes, presque tous alaouites ou bédouins), flanquée au nord de la 3e division blindée et, au sud, de la 1ère. Le régime peut aussi compter sur les bérets verts, ses troupes d’élite parachutistes.

La 4e division, qui fait, avec 25 000 hommes, la taille de deux autres, va d’une ville à l’autre au gré des priorités de la répression. Cette unité, héritière des Brigades de défense de Rifaat Al-Assad, le terrible frère de Hafez, est commandée par Maher, le jeune frère de l’actuel président. Avec ses chars T-72, elle est la mieux équipée de l’armée syrienne ; 90 % de ses officiers sont des militaires de carrière. Mais, même sur le terrain, le dispositif est tel que les soldats ne peuvent pas se dérober. Ils sont en première ligne, suivis des chabiha puis des « sections d’assaut » des services de renseignements.

Les chabiha sont une émanation de bandes mafieuses alaouites vivant de la contrebande et protégées par les frères de Hafez Al-Assad, avant leur dissolution violente à la fin des années 1990, peu avant l’accession au pouvoir de Bachar, qui y voyait une menace. Elles ont été reformées et armées dans les semaines qui ont suivi le début du soulèvement, recrutant des milliers de jeunes alaouites, sous la houlette de Fawaz et Mondher Al-Assad, deux cousins du président. On a évoqué, sans pouvoir la vérifier, la présence de troupes du Hezbollah libanais, iraniens, voire membres de l’Armée du Mehdi, du chef chiite radical irakien Moqtada Al-Sadr.

Malgré tout, il n’est pas à exclure qu’un effet de lassitude se fasse sentir sur la troupe, mobilisée depuis huit mois dans tout le pays. Les hommes sont épuisés, le carburant va commencer à se faire rare et cher avec les sanctions européennes visant le secteur pétrolier. Il faut payer les chabiha alors que les caisses se vident… Ce n’est pas assez pour prédire un effondrement du régime, mais suffisant pour entrevoir une longue descente aux enfers.

source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/11/23/les-forces-regulieres-harcelees-par-des-deserteurs_1607606_3218.html#ens_id=1481132