« La ville de Damas est perdue pour le régime Assad » – entretien avec Burhan Ghalioun

Article  •  Publié sur Souria Houria le 31 août 2011

Figure de l’opposition syrienne à l’étranger, professeur de sociologie politique à l’université Paris-III, Burhan Ghalioun, 66 ans, a été propulsé, lundi 29 août à la tête d’un « conseil national de transition syrien ». Une décision prise par les réseaux de coordination de la révolution anti-Assad, dont il a été le premier surpris.

Quel sera le rôle de ce Conseil ?

Après six mois de sacrifice, les jeunes de la révolution sont frustrés à juste titre par l’incapacité de l’opposition officielle à s’unir. Ils ont dressé sans nous consulter une liste de 94 noms, avec un président, un vice-président, etc., qu’ils ont révélée sur Al-Jazira. C’est un honneur et une gêne aussi. Certains noms ne sont pas acceptables et l’appellation même de Conseil national de transition pose problème car il fait référence au modèle libyen. Mon souci sera de faire de cette initiative le point de départ d’un véritable front d’opposition unifié.

Pourquoi l’opposition syrienne peine-t-elle à se fédérer ?

A l’intérieur du pays, l’opposition est minée par son déficit d’organisation et par la méfiance qui règne entre ses chefs. C’est l’héritage de quarante-huit ans de dictature sanguinaire. Personne ne croit à la parole de l’autre. Du coup, l’opposition à l’extérieur s’est mise à organiser des conférences, comme celles d’Antalya et d’Istanbul. Le problème, c’est que ces initiatives sont principalement le fait des Frères musulmans, qui sont les seuls à disposer d’un appareil organisé à l’étranger. Résultat, l’opposition de l’intérieur qui est à majorité laïque, craint l’opposition de l’extérieur, qui est à majorité islamiste. Une bonne partie de la population demeure méfiante à l’égard des Frères musulmans, à qui elle reproche d’avoir déclenché une révolution islamique, sur le modèle iranien à la fin des années 1970. Le régime tirera prétexte de ce soulèvement armé pour éradiquer toute forme d’opposition.

Où en est-on sur le terrain ?

La bourgeoisie de Damas et d’Alep continue-t-elle à soutenir le régime ? Damas est perdue pour le régime. Les hommes d’affaires commencent à s’en dissocier. Même les minorités qui s’inquiètent parfois d’un changement de régime, comme les alaouites [une branche du chiisme, dont le clan Assad fait partie], les druzes et les chrétiens, comprennent qu’il n’est plus dans leur intérêt de s’aligner sur les positions de Bachar. Damas va passer par toutes les étapes qu’ont connues les villes moyennes comme Hama et Homs, où les habitants sont acquis à la révolution, quels que soient leur confession et leur milieu social. Alep bouge aussi mais pas dans la même proportion.

Bachar Al-Assad a cependant survécu au ramadan…

Vendredi 26 août, la police a une nouvelle fois barré la route des manifestants qui marchaient sur la place des Abbassides, dont ils veulent faire le « Tahrir de la Syrie »[la place Tahrir au Caire fut l’épicentre de la révolution égyptienne]. Dès que la police en approche, les forces de sécurité ouvrent le feu comme s’il s’agissait d’une guerre. Mais du fait de cette répression aveugle, le monde a abandonné Bachar. Même la Ligue arabe s’est décidée à le lâcher.

Le Figaro révélait dans son édition du 30 août que même l’Iran a pris contact avec l’opposition…

La Russie est en train de revoir sa position, et l’Iran un peu aussi. Ils ont compris que Bachar ne pourra pas mettre en œuvre la transition tant il est coupé des réalités. Il faut trouver le moyen d’accélérer ce mouvement.

Quel est l’impact de la chute de Mouammar Kadhafi sur le mouvement de contestation ?

Il est positif et négatif. Positif car il démontre que les dictatures sont vouées à tomber et car il renforce la détermination des opposants à continuer le combat. Négatif car il donne à certains militants l’idée que le modèle libyen peut être tenté. A quoi bon s’accrocher à la non-violence, disent-ils, alors qu’en Libye, la dictature a été liquidée par les armes ? Quelques voix appellent même à une intervention militaire étrangère, ce qui est une pure illusion. Face aux massacres quotidiens, les gens cherchent une solution décisive.

Les sanctions imposées par les pays occidentaux ont-elles un effet ?

On n’en voit pas pour l’instant, ce qui veut dire qu’il faut les renforcer. Il faut punir tous les chefs d’entreprise qui financent la répression, notamment dans le clan Assad.

Propos recueillis par Benjamin Barthe

Source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/08/31/la-ville-de-damas-est-perdue-pour-le-regime-assad_1565709_3218.html