L’Allemagne de Zweig et celle des Réfugiés Syriens – par Charif RIFAI

Article  •  Publié sur Souria Houria le 10 septembre 2015

Damas – Printemps 2011

21- L’Allemagne de Zweig et celle des Réfugiés Syriens

Avant de se donner la mort avec sa femme, le Grand Ecrivain Stéphan Zweig laissa une lettre d’adieu où il écrit:  » Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec lucidité, j’éprouve le besoin de remplir un dernier devoir: adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m’a procuré, ainsi qu’à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j’ai appris à l’aimer davantage et nulle part ailleurs je n’aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l’Europe, s’est détruite elle-même.

 » Mais à soixante ans passés, il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d’errance.

(…) Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir l’aurore après la longue nuit! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux. »

 

 

C’était exactement le 22 février 1942, et la seconde guerre mondiale semblait sans fin.

L’Allemagne, son acteur principal, a connu un vingtième siècle tourmenté et difficile: Vaincue militairement lors de la Première Guerre, elle le fut militairement mais surtout, humainement et moralement lors de la seconde. C’est un lourd fardeau que d’avoir couvé et couvert le nazisme et son Führer. Un lourd fardeau que d’appartenir au peuple qui a voulu en exterminer un autre. Un lourd fardeau d’avoir embrasé le monde dans une guerre horrible.

 

L’Allemagne a connu ensuite le rideau de fer et le déchirement de la séparation. Est (Entendre Berlin) Ouest (entendre Munich), l’une soutenue par les Ennemis d’hier, l’autre gardée et maintenue par… l’autre Ennemi d’hier. Qui Roosevelt, Qui De Gaulle, qui Staline!

 

L’histoire s’accélère, le mur de Berlin tombe en 1989, et le pays est de nouveau unifié.  L’Allemagne est une force économique mondiale incontournable.  Force morale ? Peut- être beaucoup moins. Lorsqu’on évoque la démocratie et les libertés, c’est Paris qui vient à l’esprit en premier non Berlin. L’histoire est ainsi faite, un mélange d’oubli, de justice et d’injustice, plus rarement une revanche. Et le lourd passé Hitlérien favorise les revanchards, le monde entier n’a de cesse de le rappeler jour après jour.

 

Détruite, puis démantelée, reconstruite puis assemblée comme les pièces d’une voiture, tel fut le destin de l’Allemagne dans la première moitié du siècle qui vient de passer.

 

Avec l’arrivée massive des réfugiés, majoritairement syriens, c’est peut être une nouvelle page d’histoire que l’Allemagne écrit en sa faveur. Il y a dans l’accueil des allemands quelque chose qui dépasse  la simple hospitalité. La même Merkel, intransigeante avec la Grèce, la voilà dépassant de loin ses confrères d’Europe. Désormais, il doivent courir pour la suivre. Elle s’appuie, rappelons le, sur une assise populaire.

 

 

Point d’enthousiasme inutile. Les calculs et le politique sont bien présents, les réticents et les mécontents aussi. Mais un sursaut d’humanisme ne saurait faire du mal à condition de savoir l’encadrer. Personne ne prétend que les Syriens écrivent aujourd’hui l’Histoire. Ils sont incapables de maîtriser leurs propres sorts. Mais il est clair que l’histoire de ce début du 21ème siècle ne saurait  s’écrire sans eux.

 

Eux, ils l’écrivent cette page d’histoire: Par leurs corps frêles,  par leur volonté désespérée et désespérante de devenir libres,  par les bombes et les barils explosifs largués sur eux par un pouvoir avili: le leur ;  par leurs têtes tranchées, par les ténèbres moyenâgeuse auxquelles ils doivent faire face ; par les gaz mortels qu’ils inspirent ; par leurs fuites rebutées sur des bateaux de fortune, par les enfants immergés, noyés dans les bras de leurs parents, par les cadavres flottants sur les vagues ; par la faim et la peur, par les nouveaux marchands d’esclaves qui transgressent les vies ; par le désarroi, par  les perfides enfouis derrières des masques d’amitiés ; par les puissances qui terrassent-  sans nullement s’en soucier-  les êtres et les rêves ; par  les portes que l’on cadenasse et les espoirs que l’on étouffe ; par toutes les promesses non tenues ; par l’électricité rationnée et l’eau coupée,  par les tempêtes de sable ; par les camps emplis ; par tout ce qui désigne l’inacceptable, par tout ce qui désigne l’Humain sculpté par le feu de la souffrance et devenant  Autre, non meilleur, non pire, simplement Autre ; par la force salvatrice de celui qui a crié dans le désert de l’indifférence, et qui maintenant porte sa voix telle une croix à travers l’univers…  Ceux- là sont Prométhée non encore délivré, ceux- là sont miens, ceux- là son mon peuple, ceux- là portent haut mon visage et mon regard vers d’autres cieux.

 

Eux sont là, dispersés comme les grains de sable, insaisissables, facilement désorientés, suivant le hasard d’une frontière qui s’ouvre ou un train qui part… Le but c’est le chemin, et les chemins mènent au paradis, terrestre, céleste, peu import du moment où il mène quelques part.

Sur place, dans l’Ancienne Syrie, le nulle part est la certitude. La seule.

 

Y’aura-t-il un retour? les probabilités sont discutables, assujettis à un raisonnement rationnel qui analyse à partir des données fixes et des variables. Le Syrien était un « Fixe » dans sa terre, un assis sur le bord du trottoir, le bord de sa propre vie. Aujourd’hui il se confronte à sa propre existence, et c’est un chemin sans retour possible.

 

A l’instar de Zweig remerciant le Brésil avant un ultime au- revoir à la vie, disons Merci l’Allemagne, merci Autriche, merci France, merci Frère Humain qui que tu sois, du moment où ta main est tendue, et ton toit accueillant.

A l’instar de Zweig, d’aucun n’aurait voulu être là où le destin l’ poussé malgré la beauté de la terre d’exil et la gentillesse des volontaires  distribuant les sourires et les bouteilles d’eau.

 

Zweig, ce Juif Errant, ne supportait pas que sa langue, l’allemand, soit celle du bourreau. Aujourd’hui, il aurait constaté, hélas, que les bourreaux sont devenus multi- linguistes, plus malins. Et nous nous retrouvons tous, à des degrés différents, horrifiés qu’ils usent le même langage que nous.

C’est que l’horreur, comme la bonté, comme la beauté n’a pas une seule manière de s’exprimer.

Conscient de l’horreur, c’est en cette bonté, cette beauté des uns et des autres qu’un salut soit possible, celui des Syriens et celui des autres .

 

                                                                                                                                              08-09-2015   

 

 

Charif RIFAI