Le conflit et la Révolution en Syrie : leurs à-côtés et leurs conséquences par Ahmad Baydûn

Article  •  Publié sur Souria Houria le 20 juillet 2016

Le conflit et la Révolution en Syrie : leurs à-côtés et leurs conséquences

par Ahmad Baydûn (journaliste et écrivain libanais)

in Al-Quds al-Arabi, 5 juillet 2016

traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

http://www.alquds.co.uk/?p=560961

 

Je reviens sur le site www.leconflitsyrienpourlesnuls.org, et je m’arrêterai plus longuement sur sa présentation des composantes politiques impliquées dans la guerre en cours en Syrie. Cette présentation commence par le régime, en confrontant diverses représentations occidentales de l’opposition à Bachar al-Assad et à la falsification éhontée que représente sa soi-disant « modernité », sa prétendue « laïcité » et son alléguée « protection des minorités ».

Ensuite, la présentation passe en revue les objectifs poursuivis par le régime syrien à travers sa guerre, les éléments de sa résilience et les possibilités qu’il retrouve une certaine légitimité.

Dans ce domaine, le site ne manque pas de conclure sa présentation du régime syrien par un graphique qui montre que 9 025 civils ont été tués en Syrie au cours du premier semestre 2015 et que le régime a été le responsable de 87,5 % de ces morts, tandis que Daesh s’est rendue responsable des 12,5 % restants « seulement ». C’est là une indication qui devrait avoir un impact particulier sur des Européens qui ont une certaine tendance, après les coups qu’ils ont reçus de la part de l’organisation terroriste, à soupeser celle-ci et le régime syrien en se demandant s’ils ne devraient pas mieux compter sur le régime pour affronter la terreur de Daesh…

Quant à l’opposition politique en Syrie, la présentation qu’en fait le site note son incapacité à constituer une alternative au régime et l’impact qu’a cette incapacité sur le devenir du conflit considéré dans sa globalité. Le site mentionne les causes de cette impuissance de l’opposition syrienne : elle est due à la longue mise à l’écart de toute activité politique des Syriens, et aux complexités du conflit qui exigerait au contraire beaucoup d’entraînement à la chose politique chez ceux qui se lancent dans une telle activité. En effet, aux divisions bien connues et aux allégeances vis-à-vis de puissances extérieures s’ajoute ce qui n’a pas échappé au site, alors que cela échappe à énormément de gens, à savoir le fait que beaucoup de Syriens ont voulu se libérer du régime Assad et qu’ils continuent à aspirer à cela, en dépit du poids écrasant de la répression et de tous les obstacles auxquels ils sont confrontés, des forces conséquentes témoignent, par leurs sacrifices et par leurs prises de position, de la pérennité de cette aspiration. Parmi ces forces, l’exposé mentionne les organisations, nombreuses et résilientes, de la société civile, dans les régions ayant pu échapper au contrôle du régime, ainsi que les éléments extrêmement courageux de la Défense Civile et que les Conseils locaux qui gèrent la vie quotidienne des communautés et que les intellectuels aux spécialités des plus variées. Ce chapitre se conclut par un focus sur Daesh qui montre la faiblesse de la « résistance » que le régime et ses alliés ont opposée à son extension, en comparaison de la répression qui s’est abattue sur les forces pacifistes et sur les formations armées ayant des objectifs démocratiques.

La faiblesse de cette résistance du régime n’a pu être en partie compensée que par le passage du conflit régional et international au sujet de la Syrie à une guerre à l’intérieur de ce pays, tandis qu’il prenait la forme d’une confrontation armée directe sur son territoire. C’est ce qui a fait de la lutte contre Daesh et de la concurrence dans ce combat une porte d’entrée que toutes les puissances extérieures ont empruntée pour tenter de justifier leur présence sur le champ de bataille syrien et pour définir sa position dans ce conflit. Cela, sachant que la crainte directe croissante de Daesh que ressent la communauté internationale , après les attentats perpétrés par cette organisation terroriste dans des pays extrêmement éloignés de la Syrie et de l’Irak, est le seul élément qui soit parvenu à élever la volonté d’y faire face au point d’avoir un impact probable sur sa capacité de perdurer.

L’exposé ayant complété ainsi les éléments constituant le tableau de la situation intérieure syrienne, il s’attaque aux deux autres cadres du conflit : le cadre régional et le cadre mondial, ces deux cadres étant manifestement imbriqués. Il rappelle l’impact de l’afflux de réfugiés syriens sur les pays avoisinants : sur la Turquie, qui en accueille 2 200 000, sur le Liban qui en accueille un million et demi, sur la Jordanie qui en accueille 800 000, sur l’Irak qui en héberge 245 000 et sur l’Egypte qui en a accueilli 137 000.

Le site détaille succinctement les variations dans l’impact de ce flux humain en fonction de chacun de ces pays, ainsi que d’autres, et ce, en fonction des différences existant entre eux dans nombre de domaines.

Ensuite, vient cette question : « Qui soutient qui, en Syrie ? ».

Dans la réponse, il n’y a aucune surprise : l’Iran soutient le régime Assad de multiples manières et il en va de même en ce qui concerne le Hezbollah libanais qui est lié à ce pays (il en va de même pour d’autres milices assez comparables), il est engagé dans les combats aux côtés des forces armées du régime syrien. L’Iran veut conserver son accès stratégique à la ligne s’étendant de Téhéran jusqu’à Bagdad, Damas et Beyrouth. Il veut empêcher l’instauration d’un régime sunnite qui risquerait de rejoindre l’axe qui lui est hostile dans le cas où la stabilité reviendrait à Damas. Quant aux pays pétroliers du Golfe, ils ont entériné le fait que Washington ne considère pas que le soutien aux forces de la Révolution syrienne fasse partie de ses priorités, en dehors de quelques déclarations sans suite. C’est aussi apparemment ce que la Turquie a fini par admettre. L’Arabie saoudite et le Qatar avaient très rapidement pris l’initiative de soutenir la résistance au régime, dans le but de contenir l’expansionnisme iranien. Mais ce soutien s’est vu imposer des conditions et cela a abouti à l’indépendance de ses deux protagonistes dans la poursuite d’objectifs propres et à l’aggravation des divisions dans les rangs des combattants bénéficiant de leur soutien. Cette concurrence a peu à peu régressé au profit du rôle joué par l’Arabie saoudite, ce qui a abouti à rendre possible la réunion de l’Opposition syrienne à Riyad, en décembre 2015, en préparation de la reprise des négociations en vue d’un règlement à New York.

Reste à examiner, dans le cadre régional, la position de l’État israélien. L’exposé rappelle les coups portés par l’armée de ce pays aux centres de recherche militaire syriens et aux convois d’armement et de contrebande du Hezbollah, donnant en cela une indication sur le fait qu’il suivait très précisément les développements du conflit, mais sans exercer sur celui-ci d’influence décisive. Cela reflète les dissensions internes à Israël entre ceux qui préfèrent le maintien du régime Assad en place, celui-ci ayant apporté durant des décennies la preuve de son attachement au calme sur les frontières avec Israël et ceux qui verraient d’un bon œil la naissance d’un régime sunnite djihadiste à Damas qui isolerait le Hezbollah et, derrière ce dernier, l’Iran.

Dans la partie consacrée à la situation mondiale, l’exposé souligne la volonté de Poutine de recouvrer l’influence soviétique passée au Moyen-Orient et son attachement à Bachar al-Assad en tant qu’ultime allié subsistant dans le coin, celui-ci étant également un client de première importance. Cela ne fait que renforcer la crainte qu’ont les Russes de voir des forces islamiques monter en puissance dans leur pays. Cela s’est en particulier manifesté dans le soutien apporté au régime Assad par le véto opposé à plusieurs reprises par la Russie à l’adoption de résolutions du Conseil de Sécurité de l’Onu, puis par le passage, en septembre 2015, à la participation directe de ce pays à une guerre aérienne prenant pour prétexte la nécessité de combattre le terrorisme, mais qui a visé toutes les formations de l’opposition au régime syrien, sauvant celui-ci d’une impasse militaire et politique qui ne cessait de s’aggraver.

Ensuite, les variations de la position américaine sont passées en revue : depuis la renonciation, en août 2013, à considérer que l’assassinat de 1 700 civils syriens à l’arme chimique constituait le franchissement d’une légendaire « ligne rouge » jusqu’à la déclaration, par le président Obama, fin 2014, selon laquelle les États-Unis n’avaient pas de stratégie en Syrie. Cela équivalait à donner au régime Assad un permis de tuer n’écartant aucun moyen pour ce faire, pas même les barils explosifs chargés de chlore. Ce repli américain ne devait pas aller jusqu’à concerner le phénomène djihadiste. Daesh ayant sauvagement exécuté un citoyen américain, une campagne de bombardements aériens fut lancée contre cette organisation, accompagnée à Washington d’un relâchement progressif mais constant de l’opposition à la vision russe d’une solution politique acceptable en Syrie.

L’exposé aborde ensuite la division entre les pays européens au sujet de la crise syrienne et il souligne les prises de position positives successives de la France des étapes du conflit syrien, finissant par son double rejet de l’assadisme et du daeshisme, considérant que ni l’un ni l’autre ne pourraient garantir une paix en Syrie. Mais une déclaration du Secrétaire général de l’Onu, à l’automne 2015, a exclu la France de la liste des pays (au nombre de cinq) qu’il considère tenir en main les rênes du conflit syrien…

En fin de compte, il reste que la persistance du régime syrien dans sa position d’appropriation exclusive de la Syrie ne risque pas d’alimenter une quelconque solution prochaine de la crise syrienne. Les initiatives successives ne cessent d’achopper puis de se défaire. Le troisième envoyé spécial de l’Onu en est encore à préparer une nouvelle phase de négociations (qui n’exclurait plus l’Iran, cette fois-ci) sans que soit apparu le moindre changement qui soit de nature à raviver l’espoir qu’une voie soit enfin tracée en direction d’une solution politique.

Mais qu’est-il arrivé aux Syriens et à la Syrie, tandis que l’horizon d’une solution ne cessait de s’éloigner ou de refuser de se rapprocher ? C’est la question qu’il convient de se poser avant toute chose. Nous passerons en revue, dans notre prochaine analyse, ce que le site français propose en fait de réponse à cette question que pose le « Nul » que je suis, pour votre service…