Le dernier témoignage de la militante syrienne Razan Zaitouneh

Article  •  Publié sur Souria Houria le 14 décembre 2013

Razan Zaitouneh, militante des droits de l’homme syrienne, a été enlevée à Douma, une ville sous contrôle rebelle proche de Damas, le 10 décembre. L’avocate, qui est âgée de 36 ans, se cachait depuis le début du soulèvement contre Bachar Al-Assad en mars 2011 en raison de son travail sur les atrocités commises par les forces gouvernementales, qui a reçu un large écho. Elle se montrait également critique vis-à-vis de personnalités de l’opposition. Selon les comités locaux de coordination, un réseau national de militants d’opposition, l’avocate a été enlevée avec son mari, Wael Hamada, et deux collègues, Samira Al-Khalil et Nazem Al-Hamadi.

Voici la traduction en français de son dernier témoignage enregistré en vidéo :

« Je m’appelle Razan Zaitouneh, militante des droits de l’homme de Damas. Je suis aujourd’hui basée dans la Ghouta orientale, une banlieue de Damas. La zone a été libérée des forces du régime mais nous sommes victimes de bombardements quotidiens de la part des forces du régime, surtout des avions MIG. Au moins trois à quatre personnes sont tuées chaque jour dans la ville de Douma. Mais peut-être est-il préférable de mourir ainsi. L’alternative est une mort lente et douloureuse subie à chaque seconde, à chaque endroit. C’est le siège, le manque de nourriture, de médicaments et d’essence.

C’est très difficile d’expliquer ce que signifie vivre sous un siège. Par exemple, comment expliquer à quelqu’un que votre enfant n’a pas mangé d’œufs ou bu de lait depuis plusieurs mois ? Comment expliquer qu’ici il n’y a pas de chocolat ou de biscuits mais que les seules friandises que nous pouvons donner à nos enfants sont des dattes, une nourriture avec laquelle nous nourrissions nos bêtes par le passé ? Ces histoires sont seulement quelques-unes des histoires innombrables qui décrivent la vie sous un siège et la violence horrible du régime.

Il y a de nombreuses autres histoires à raconter qui parlent de vie, d’espoir et de persévérance. Nous avons ouvert deux centres pour les femmes dans la Ghouta où elles peuvent acquérir de nouvelles compétences pour assurer la survie de leur famille. Plus important, le centre leur offre un lieu pour se rencontrer, se soutenir et se donner de l’espoir en ces temps difficiles. Au cours des trois derniers mois, plus de 300 femmes ont rejoint le centre et d’autres encore sont sur liste d’attente. Nous avons distribué des paniers de nourriture pour des centaines de familles et des équipements techniques pour des dizaines de militants. C’est incroyable de pouvoir aider les gens en ces temps difficiles et de faire vivre l’espoir ; d’offrir à des gens qui vivent dans un environnement de guerre civile la possibilité de se soustraire à la violence ambiante et à la mort.

Un autre objectif que nous pourrions réaliser est de parvenir à un meilleur équilibre entre l’aide humanitaire et les activités civiles parce que nous avons autant besoin de l’un que de l’autre. C’est pourquoi le bureau du développement local et des projets sportifs est actif à plusieurs niveaux : aider les conseils locaux, porter de petits projets productifs et aider les projets de femmes dans différents lieux. On doit conserver ce nécessaire équilibre car l’un nourrit l’autre.

Pour le travail juridique, nous continuerons à amasser de documents sur les crimes du régime et à demander la libération de tous les prisonniers politiques. N’oublions pas nos prisonniers comme Mazen Darwich, le courageux journaliste et militant qui est en prison depuis près de deux ans maintenant. Il ne faut pas oublier que chaque prisonnier vit sous les menaces de torture et de mort. Plus de 4000 prisonniers ont été tués.

Les conditions de la guerre permettent seulement de voir la face sombre de ce qu’il se passe. Mais il y a une face lumineuse et incroyable à tout cela. Ce sont les gens, les femmes et les hommes qui agissent en silence sur le terrain pour réaliser leurs rêves de liberté et de justice, améliorer le quotidien pour que rien – pas même nos plus de 100 000 morts ou le difficile siège ou la trahison de la communauté internationale – ne puisse jamais annihiler la volonté du peuple qui a un rêve et une foi en l’avenir. J’exprime mon grand respect à toutes ces courageuses personnes. Continuons à travailler ensemble pour rendre leur vie plus supportable et rendre leur rêve plus accessible. Merci à tous de me donner l’opportunité de faire entendre mon message. »

Source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/12/13/le-dernier-temoignage-de-la-militante-syrienne-razan-zaitouneh_4333945_3218.html