Le Hezbollah dans le piège de la révolte syrienne – Par JEAN-PIERRE PERRIN

Article  •  Publié sur Souria Houria le 21 novembre 2011

Numéro 3 du Hezbollah, cheikh Mohammed Yazbeck est un pur parmi les purs, un dur parmi les durs que les Israéliens ont tenté à plusieurs reprises d’assassiner, notamment en bombardant sa maison de Baalbeck, dans l’est du Liban, pendant la guerre de 2006. Représentant le Guide suprême iranien auprès du parti chiite libanais, il est regardé comme l’un des meilleurs alliés de Téhéran comme de Damas. C’est pourquoi le régime syrien est sans doute tombé des nues quand, voici deux mois, il a mis au jour une filière d’armes en provenance du Liban à destination d’un groupe d’opposants et est remonté jusqu’à un fils de… Yazbeck. Explication : celui-ci avait vendu un des dépôts d’armes de son père dans la Bekaa. Après des années de règne sans partage sur les régions chiites et la banlieue sud de Beyrouth, le «parti de Dieu» n’est donc plus un modèle d’intégrité. «Lui aussi s’est laissé gagner par la corruption. Il est passé de l’état de mouvement de résistance à celui de mafia. Et cela lui pose des problèmes de plus en plus aigus», résume l’analyste Samir Fangié, l’un des cerveaux de l’opposition dite du 14 mars (pro-occidentale).

«Décrochage». En fait, les ennuis s’accumulent pour le parti qui, pourtant, venait de triompher en faisant chuter en janvier le gouvernement de Saad Hariri. Première grave inquiétude, la Syrie, une question devenue obsédante pour la direction du parti qui a renouvelé son allégeance à Bachar al-Assad. Le 11 novembre, le chef du Hezbollah, cheikh Sayyed Hassan Nasrallah, a encore expliqué que la situation syrienne procédait d’un complot des Etats-Unis, que ceux-ci accentuaient la pression sur ce pays – et l’Iran- pour détourner l’attention de leur «échec cuisant» en Irak. Le problème, relève un diplomate occidental, «c’est que le parti se trouve désormais en porte-à-faux. Il a soutenu les révolutions arabes contre Ben Ali et Moubarak. Aussi, il lui est difficile de faire comprendre à sa base pourquoi il défend à présent le régime syrien. Il y a désormais un décrochage entre l’aile politique, qui veut qu’il évolue sur la question syrienne, et l’aile sécuritaire». D’où un débat à l’intérieur du parti. «Le Hezbollah est dans une situation très particulière. Lui qui a toujours défendu les opprimés dans le monde entier doit justifier son soutien à Bachar mais aussi sa brouille avec les 20 millions de Syriens sunnites. D’un autre côté, si le régime syrien tombe, c’est tout le dispositif mis en place par l’Iran qui s’effondre», ajoute Frangié. Fini alors les livraisons d’armes et les containeurs d’argent qui transitent sur le sol syrien.

La seconde inquiétude est le tribunal spécial sur le Liban qui a mis en cause son implication dans l’attentat contre l’ex-Premier ministre Rafic Hariri. Même si le parti chiite rejette l’enquête internationale, s’estimant victime d’un complot israélien, et si les quatre membres impliqués bénéficient de la présomption d’innocence, le coup est rude. «C’est une épée de Damoclès, car le Liban ne peut vivre en marge de la justice internationale», souligne encore Samir Frangié.

Drogue. Ce qui rend sa situation encore plus difficile, c’est sa position dans l’équipe au pouvoir. Il ne possède que deux ministres mais, avec ses alliés, il contrôle le gouvernement de Najib Mikati. Cette position dominante, il ne veut surtout pas la perdre, car elle lui permet de conquérir l’appareil sécuritaire libanais : il contrôle déjà la Sûreté générale, la Sûreté militaire, les douanes, le port de Beyrouth… Mais cela l’amène aussi à prendre des coups, d’autant que les Américains ont décidé de mettre hors-la-loi ce que l’on appelle «le capital chiite». D’ores et déjà, l’une de ses banques, la Lebanese Canadian Bank, a dû fermer en février au prétexte de blanchir l’argent de la drogue – elle a été rachetée par la branche libanaise de la Société générale. Même d’importants diamantaires chiites d’Anvers ont dû fermer. Or, l’argent, c’est le nerf de la guerre pour le parti islamiste qui voit ainsi ses ressources fléchir, l’argent de Téhéran allant désormais aussi au secours des régimes syrien et, dans une mesure moindre, irakien.

«A cause de la Syrie et du tribunal, on sent le Hezbollah perdu, ce qu’il n’avait jamais été, indique une haute source sécuritaire libanaise. Et on n’arrive pas à savoir dans quel sens il va réagir. Va-t-il tenter un coup de force à l’intérieur du Liban, une fuite en avant en attaquant Israël ou continuer à discuter ?»«On sent la pression quotidienne du Hezbollah, remarque de son côté le député «14 mars» Marwan Hamadé. Pour obtenir ce qu’il veut, il nous menace de n’être plus responsable de la paix civile [entre communautés, ndlr]».

Au sein du Hezbollah, une source indique que le tout-puissant Nasrallah serait à présent contesté et une guerre des chefs engagée entre lui et son cousin Sayyed Hachem Safieddin, qui fait figure de dauphin. Ce dernier aurait désormais constitué sa propre faction. Mais dans le parti le plus opaque du monde, il est évidemment impossible d’avoir la moindre confirmation de source indépendante.

source: http://www.liberation.fr/monde/01012372508-le-hezbollah-dans-le-piege-de-la-revolte-syrienne