Le Hezbollah, le régime syrien et les gardiens du tombeau – par Rostom Mahmoud (écrivain syrien) – traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 29 août 2014

A peine la dernière guerre en date à Gaza avait-t-elle éclaté que s’était élevé une voix politico-culturelle de gauche exprimant son admiration pour le Hezbollah, pour le régime syrien et pour leurs armements au motif qu’ils auraient représenté une nécessité stratégique dans la confrontation avec la puissance militaire israélienne, après que cette voix se fût adoucie en ce qui concerne la compromission du Hezbollah avec le régime syrien dans sa répression de la Révolution syrienne.

Ce que veut actuellement cette tendance, c’est opérer une séparation mécanique entre deux présences, deux identités, deux pratiques et deux domaines que le Hezbollah et le régime syrien seraient censé être en mesure d’occuper concomitamment dès lors qu’il existerait un Hezbollah « résistant » et « nationaliste » qui affronterait l’ennemi israélien et un autre Hezbollah, empêtré quant à lui en Syrie, dont le comportement ne saurait plaire aux tenants de cette tendance politico-culturelle de gauche, même si certains d’entre eux trouvent à son comportement en Syrie un millier de raisons et de justifications ! Et puis il y aurait aussi un régime syrien schizophrénique qui massacre certes des dizaines de milliers de Syriens d’un côté, mais qui, de l’autre, pourrait éventuellement faire face à la supériorité israélienne.

Ce discours avait un fondement politico-culturel traditionnel qu’avaient mis sur pied les pères fondateurs de la gauche dite irrédentiste (al-yasâriyya-l-mumâni‘a). Ceux-ci faisaient le distinguo entre les politiques suivies par les régimes de Saddam Hussein, de Kadhafi et d’Assad-père « dans leur confrontation avec Israël et avec les Etats-Unis » et leurs exactions à l’intérieur de leurs pays respectifs, où le pillage généralisé et la tyrannie régnaient en maîtres… Le communiste syrien Khaled Bakdash avait été le premier à vulgariser cette logique en répétant sans jamais se lasser : « En matière de politiques intérieures, je suis le premier des opposants [à ces régimes], mais en ce qui concerne leurs politiques extérieures, je resterai le premier de leurs soldats ! ».

Ce que cet imaginaire politico-culturel passe par pertes et profits, ce sont trois complexes objectifs entourant cette problématique :

Cet imaginaire refuse de voir que cette capacité et cette propension maladive d’un courant communautariste tel que le Hezbollah et d’un régime dictatorial tel que celui d’Assad, dans une question aussi sensible que celle du peuple syrien, n’auraient jamais pu se concrétiser si tant le parti que le régime en question ne les avaient conçues à partir d’une vision méprisante et d’un sentiment de supériorité vis-à-vis de l’ensemble des composantes politiques et sociétales de leurs deux environnements démographiques – un sentiment de supériorité qui ne pouvait provenir que de leur monopolisation d’un pouvoir symbolique et d’une domination exceptionnelle exercée par eux au travers de ce qu’il est convenu de qualifier de leur « résistance » à Israël. Quant à la tendance qu’a cet imaginaire à injecter de nouvelles missions au Hezbollah et au régime syrien, elle ne fera que semer de nouveaux symptômes d’exceptionnalisme et de supériorité, que ceux-ci nourriront à l’encontre de tous ceux qui oseront s’opposer à eux.

D’un autre côté, il y a une occultation de la nature « combattante » tant du parti que du régime en question. En effet, il ne s’agit pas de deux courants politiques partisans ou idéologiques au sens traditionnel du terme. Bien plus, en raison de leur structure de service de renseignement, de leur culte du secret, de leur organisation militaire strictement verrouillée et de leur violence intrinsèque, l’un et l’autre ne peuvent qu’être des blocs étanches demeurant semblables à eux-mêmes toujours et en tout lieu. En effet, il n’est pas donné à un régime politique tel celui d’Assad et à un parti tel que le Hezbollah de pouvoir être communautaristes, violents et tyranniques dans un lieu et dans une circonstance donnés, mais d’être le contraire dans un autre lieu et dans une autre circonstance. Les comportements de ces organisations sont inhérents à leur identité et leur essence, et ils ne peuvent que l’être en permanence.

Il est une autre chose sur laquelle les tenants de cette logique voudraient que nous fermions les yeux, c’est le fait qu’ils se cachent eux-mêmes derrière cette schizophrénie afin que nous croyions que ce régime (Assad) et ce parti (le Hezbollah) seraient deux formations valables et saines que (seules) des circonstances contraignantes auraient forcées à dévier transitoirement de leur essence et que leurs comportements actuels en Syrie ne seraient pas autre chose qu’un écart et qu’une exception fugaces. Or, c’est exactement le contraire qui est vrai. En effet, c’est le seul recours aux figures oratoires dans la confrontation avec un ennemi extérieur qui représente une exception et un écart fugaces dans les comportements traditionnels de ces deux formations, tandis que leur écrasement de leur composante intérieure et leur domination sont les expressions de leur profondeur et de leur identité véritables. Dans un récit intitulé « Le Gardien du tombeau », l’écrivain tchèque Franz Kafka raconte l’histoire d’un modeste ouvrier auquel l’empereur Léon [de Rozmital ( ?)] ordonne de surveiller le tombeau de ses ancêtres. Bien que cet ouvrier découvre peu à peu l’ampleur des chaussetrappes, des complots et des ruses qu’avaient pratiqués et que continuaient à pratiquer les membres de cette noble famille, il persiste à considérer que ce tombeau a une aura et un grand prestige, car il appartient à des personnages de haut rang. Le gardien de ce tombeau ne cesse de se répéter cela en dépit de ce qu’il voit de ses propres yeux et grâce à sa propre clairvoyance sans jamais oser s’élever au-dessus de sa relégation dans son rang d’inférieur !

source : http://www.alhayat.com/Opinion/Writers/4176330/الحزب-والنظام-وحراس-القبر

date : 18/08/2014