Le Pen-Mélenchon, même combat en faveur de Bachar al-Assad – par Jean-Pierre Filiu

Article  •  Publié sur Souria Houria le 19 avril 2017

Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont tous deux sacrifié le peuple syrien à une vision littéralement inhumaine des relations internationales.

 

 Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont généralement décrits comme des « populistes », avec ou sans les précautions d’usage. Ces deux candidats à la présidentielle s’accordent pourtant pour nier au peuple syrien, non seulement son droit à l’autodétermination, mais sa réalité d’acteur de son propre destin.

LE PEN : BACHAR OU DAECH

Marine Le Pen ne s’embarrasse pas de nuances : la Syrie est confrontée selon elle à un « choix binaire » entre « Bachar al-Assad d’un côté et l’Etat islamique de l’autre ». Elle a exprimé cette prise de position lors de son déplacement à Beyrouth des 20 et 21 février 2017, affirmant que telle était son analyse « depuis le début de la crise syrienne ». Personne n’a relevé que les manifestations pacifiques contre le régime Assad ont éclaté en mars 2011 et que « l’Etat islamique en Irak et au Levant », désigné sous son acronyme arabe de Daech, n’a été proclamé qu’en avril 2013 dans la ville syrienne de Raqqa, soit plus de deux ans après « le début de la crise syrienne ».

Peu importe à la présidente du Front National, auréolée à Beyrouth de sa première rencontre de présidentiable avec un chef d’Etat, le Libanais Michel Aoun. Elle a réitéré au cours de son séjour sa conviction que le maintien de Bachar al-Assad au pouvoir représentait « évidemment aujourd’hui une solution bien plus rassurante pour la France ». L’inconscience le dispute à l’indécence dans la coïncidence entre de telles déclarations et l’hommage rendu par Le Pen aux « soldats tombés pour la France au Liban depuis 1975 », dont les 58 parachutistes du poste Drakkar, tués le 23 octobre 1983, dans un attentat largement attribué aux réseaux de Hafez al-Assad, le père de Bachar.

Marine Le Pen a été reçue avec éclat, le 24 mars 2017, par Vladimir Poutine au Kremlin. Elle renouvelé à cette occasion son soutien inconditionnel à l’intervention russe en Syrie « qui a porté un coup sérieux au fondamentalisme ». Elle n’a pas là plus qu’ailleurs commenté le fait que cette intervention ne vise Daech qu’à la marge et qu’elle a été concentrée, notamment dans la terrible bataille d’Alep, contre les forces opposées à la fois à Assad et à Daech. Après le bombardement chimique sur Khan Cheikhoun, le 4 avril, Le Pen a affirmé « ne croire personne ». Et les exigences qu’elle a posées pour une « enquête internationale indépendante » ne sont pas très éloignées de celles de Bachar al-Assad.

MELENCHON : LE MIRAGE DES GAZODUCS

Jean-Luc Mélenchon a toujours eu beaucoup de mal à accepter l’existence d’un peuple syrien doué de raison et voué à être souverain sur sa terre de Syrie. Cette terre n’est pas pour lui l’un des foyers majeurs de la civilisation universelle, c’est un espace vide où se déploient à loisir les stratégies de domination internationale, à l’image de ce jeu de Risk dont la candidat de la « France insoumise » a peut-être abusé dans sa jeunesse. En Syrie, il n’y a donc pas un dictateur qui opprimeet des opprimés qui lui résistent : non, il y a un chef d’Etat, Bachar al-Assad donc, qui résiste à des projets « de gazoducs et de pipelines » imposés depuis l’étranger.

Qu’aucun de ces projets « de gazoducs et de pipelines » n’ait connu le moindre début de conception, a fortiori de construction, importe peu à Mélenchon, car il tient là la réponse définitive à toutes les interrogations sur la Syrie. On espérait d’un présidentiable une analyse à la mesure de l’enjeu, après le bombardement sur Khan Cheikhoun, puis le raid américain sur Shayrat, deux jours plus tard. Non, le 9 avril, face aux dizaines de milliers de personnes venues l’écouter sur le Vieux-Port de Marseille, il a encore martelé « gazoducs et pipelines », même si « ces guerres ont eu parfois la religion pour prétexte ».

Religion comme « prétexte » et hydrocarbures comme réalité, voilà à quoi est réduite la lutte du peuple syrien pour sa liberté. En revanche, Mélenchon a pris la peine d’affirmer, au cours du Grand Débat du 4 avril 2017, qu’il « faut s’occuper du malheureux lycée Charles De Gaulle à Damas que des compatriotes français s’efforcent de faire vivre admirablement ». Pour mémoire, la France a fermé son ambassade à Damas en mars 2012 et a logiquement appelé ses ressortissants à quitter le pays. Le consulat de Beyrouth continue d’assister le millier de Français demeurés malgré tout en Syrie. Le lycée Charles De Gaulle, tout proche du palais présidentiel, est géré par un comité de parents d’élèves, sous l’étroite tutelle du régime Assad et de ses services de sécurité. Si Mélenchon est favorable au rétablissement des relations avec la dictature syrienne, libre à lui de se prononcer franchement en ce sens plutôt que de mettre en avant un « malheureux lycée ».

L’engagement de Marine Le Pen en faveur de Bachar al-Assad a l’avantage d’être clair et affiché. Celui de Jean-Luc Mélenchon se camoufle sous des élucubrations géopolitiques qui suscitent un authentique malaise. Mais l’une et l’autre ont bel et bien rejeté le peuple syrien dans les poubelles de l’Histoire. C’est le fruit pour eux d’une politique constante et réfléchie,  à l’heure même où tous deux briguent l’Elysée.

 La vision caricaturale d’un monde sans peuple