Le peuple syrien s’est soulevé – Farouk Mardam-Bey

Article  •  Publié sur Souria Houria le 27 juin 2011

Chers amis,
Comme en Tunisie et en Egypte, et comme en Libye, au Yémen et au Bahreïn, le peuple syrien s’est soulevé contre un régime despotique et corrompu. Il affronte depuis le 15 mars dernier, avec un courage exceptionnel, un appareil répressif particulièrement féroce qui n’hésite pas  à lancer ses chars contre les villes et les villages qu’il voit  échapper à son contrôle, à tirer à balles réelles sur les manifestants pacifiques, à torturer et à humilier systématiquement toute personne arrêtée dans une manifestation ou suspectée d’y avoir participé, y compris les femmes et les enfants. Le bilan de la répression s’élève déjà à plus de 1600 morts -sans compter les disparus qui comptent par centaines -,  à des milliers de blessés graves laissés délibérément sans soins, à plus de 15000 arrestations et autant de réfugiés en Turquie. La presse indépendante arabe et internationale est interdite d’enquêter sur place, afin de laisser le monopole de l’information aux médias officiels qui traitent les manifestants d’agents à la solde d’Israël et des Etats-Unis. de bandes armées infiltrées du Liban ou de Jordanie, de salafistes ayant voulu et même réussi à instaurer des émirats islamistes à Deraa, Banias ou Homs.

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Le régime en place en Syrie depuis 1970 ressemble par bien des aspects aux régimes arabes déjà renversés ou qui le seront incontestablement dans les semaines ou les mois à venir, mais il s’en distingue aussi  par d’autres qu’il convient de souligner pour comprendre le cours dramatique des événements.

D’abord, par delà la façade institutionnelle du parti Baas, désigné dans la Constitution comme « dirigeant de l’Etat et de la société », par delà le Front des partis de pacotille associés au Baas, par delà aussi un parlement de marionnettes, tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains du président de la République et de ses proches parents. Une famille, un clan, contrôle tous les leviers de commandes, notamment l’armée, la Garde républicaine  et des services de renseignement tentaculaires dont on ne parvient même pas à connaître le nombre ni à chiffrer les effectifs. Les cousins paternels et maternels du Président jouissent de privilèges insensés et disposent de milices privées. L’un d’eux, usant de procédés d’intimidation et de passe-droits,  s’est emparé  de toutes les affaires économiques juteuses. Corrompus et corrupteurs, les membres du  clan ont tiré profit de la libéralisation économique, présentée comme une grande réforme, pour  se constituer des réseaux mafieux et des fortunes colossales, tâche d’autant plus aisée que cette prétendue réforme n’était accompagnée d’aucune  mesure de libéralisation politique permettant un minimum de contrôle populaire. Il n’est pas exagéré de dire que le clan Assad  fonctionne comme si la Syrie était sa propriété privée, et les Syriens des sujets dont il peut disposer de droit divin comme bon lui semble.

Le deuxième trait est l’absence totale des libertés politiques, comme nulle part ailleurs dans le monde arabe sauf peut-être en Arabie saoudite, dans l’Irak de Saddam et la Libye de Kadhafi : pas de partis politiques en dehors du Baas et de ses satellites, pas de syndicats indépendants, pas de presse libre, pas d’associations autonomes de la société civile, pas de droit de grève, et les manifestations sont évidemment interdites sauf s’il s’agit de démonstrations d’allégeance au régime et de témoignages d’amour à l’adresse du Président…En revanche, les services de sécurité disposent de prérogatives illimitées et agissent en toute impunité sous le couvert de l’état d’urgence qui dure depuis 1963. Etat d’urgence qui n’est pas qu’une loi mais un mode de gouvernement et une manière de penser. Et c’est pourquoi, il y a deux mois, l’abrogation officielle de la loi sous la pression  populaire n’a été suivie d’aucun effet. Au contraire, on l’a bien vu, la répression n’a cessé de s’étendre et de s’intensifier. Dans ce contexte, la Syrie manque de toute sorte de  vie politique – même surveillée comme c’était le cas, par exemple, en Egypte du temps de Moubarak. Aveugle et sourd, Bachar al-Assad ne s’est pas adressé une seule fois directement au peuple depuis le 15 mars,  mais toujours à travers des assemblées qui ont l’habitude de l’acclamer servilement. Ils n’a pas une seule fois fait montre d’un minimum de compréhension à l’égard des revendications des manifestants, qui portent sur le rétablissement des droits bafoués de tous les citoyens et non sur de petits aménagements de la situation de telle ou telle catégorie sociale. Il reçoit des notables, des hommes d’affaires, des comédiens, afin de s’assurer de leur soutien qui lui est déjà acquis mais répond à côté, et de la façon la plus désinvolte qui soit, quant une délégation représentative lui pose de vraies questions  Il nomme un comité chargé du dialogue nationale – que souhaitent toutes les forces de l’opposition – mais prétend choisir lui-même ses interlocuteurs. Cela au moment où les habitants des villes et des villages assiégés sont invités, eux, à « dialoguer » avec ses chars, ses hélicoptères et ses tueurs professionnels.

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Le régime syrien est lui-même convaincu qu’il est irréformable. Il sait bien qu’il risque de s’écrouler  s’il  déplace une seule pierre de l’édifice despotique construit par son père fondateur,  Hafez al-Assad, durant ses trente années de règne sans partage. C’est ce qui explique que le divorce est consommé entre lui et son peuple et  que rien ne pourra plus faire reculer les forces du changement, ni les promesses ni la répression. Il y deux semaines exactement, les Comités de coordination de la révolution syrienne ont diffusé un déclaration qui résument parfaitement la vision de toutes ces forces,  aussi bien les jeunes qui ont lancé le mouvement à l’instar de leurs frères tunisiens et égyptiens que les différents partis et groupements d’opposition que les intellectuels démocrates à l’intérieur du pays et en exil. Afin d’éviter à la Syrie l’internationalisation de la crise nationale et une intervention étrangère unanimement refusée, cette déclaration  insiste sur les quatre points suivants :

  1. L’arrêt immédiat des tueries perpétrées par le pouvoir, ainsi que de la campagne mensongère menée par les médias officiels contre le mouvement populaire,  la libération de tous les détenus politiques, anciens et nouveaux, et l’ouverture du pays à la presse indépendante arabe et internationale.

  2. L’organisation d’un congrès national dont le seul et unique objectif est de jeter les bases d’une transition pacifique vers un régime politique pluraliste garantissant toutes les libertés démocratiques et l’égalité absolue dans les droits et les devoirs entre  tous les citoyens et citoyennes  quels que soient leurs origines ethniques ou confessionnelles.

  3. La période de transition débouchera sur une république digne de ce nom, indépendante et souveraine, avec un Etat de droit à caractère séculier, des citoyens libres et égaux, et où les fruits de la croissance serviront d’abord à améliorer les conditions de vie des classes populaires.

  4. Le mouvement populaire en marche est désormais la seule source de légitimité.

 

Chers amis,

Le combat du peuple syrien a besoin du soutien de toutes les forces démocratiques dans le monde, notamment les forces de gauche. J’insiste sur ce dernier point car  que le régime syrien a longtemps bénéficié d’une réputation mensongère de « résistant » aux menées impérialistes au Proche-Orient. On oublie son intervention brutale au Liban en 1976 contre la résistance palestinienne et la gauche libanaise. On oublie que ses protégés au Liban ont massacré en 1985 et 1986 des milliers de réfugiés palestiniens et assassiné quelques uns parmi les plus brillants intellectuels communistes du pays. On oublie sa participation en 1991, sous l’égide des Etats-Unis, à la première guerre du Golfe contre l’Irak, moyennant quoi il a obtenu la mise du Liban sous sa tutelle. On oublie surtout qu’il n’a pas tiré depuis 1974 un seul coup de feu pour libérer le plateau du Golan, territoire syrien occupé par Israël. Sa politique dite de « résistance et d’obstruction » n’a qu’un seul but : justifier l’état d’urgence par l’état de guerre alors qu’il n’a ni l’intention ni les moyens de la faire.

Chers amis,

Le clan Assad est coriace, il ne reculera devant aucun crime, aucune provocation à l’intérieur ou à l’extérieur du pays pour se maintenir au pouvoir. C’est pourquoi, en ce centième jour du déclenchement de l’intifada, il est plus que jamais urgent que toutes les forces éprises de justice dans le monde se mobilisent pour faire cesser les massacres en Syrie et pour soutenir le droit du peuple syrien à la liberté et à la dignité.

Intervention de Farouk Mardam-Bey dans la soirée syrienne du 24 juin 2011 à Paris