Le peuple syrien, victime collatérale des craintes de la Russie – Par Christian Makarian,

Article  •  Publié sur Souria Houria le 3 février 2012

Alors que le Conseil de sécurité se réunit ce mardi pour examiner le plan de paix arabe, comment expliquer le blocage de la Russie? Parmi d’autres raisons, il faut tenir compte du souci obsédant de l’équilibre global des forces face aux menées américaines aux marches de son empire.

L’odieux sentiment d’impuissance que soulève la situation en Syrie a aussi, hélas, des causes diplomatiques. Comprenons-nous, si la tuerie incessante est le fait bien identifié du régime de Bachar el-Assad, l’incapacité internationale à s’y opposer relève d’autres facteurs, profondément dommageables, dont les enfants de Syrie sont les victimes. A Paris, on estime qu’Assad est passé d’une « répression violente, perverse et contrôlée » à une « répression violente, perverse et déchaînée ».

Après le départ des observateurs de la Ligue arabe, qui ont lamentablement échoué dans leur tentative d’application d’un premier plan de sortie de crise, c’est un second plan qui est désormais proposé par la même instance et qui sert de base à un projet de résolution présenté au Conseil de sécurité de l’ONU. Il exige, notamment, le départ de Bachar el-Assad du pouvoir. Progrès notable, ce dernier texte, soutenu par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, est impulsé par le Maroc, membre non permanent du Conseil pour deux ans. La présence d’un pays arabe, à ce stade, évoque a priori le scénario qui permit l’adoption de la résolution 1973 au sujet de la Libye, le 17 mars 2011, puisque le Liban joua, avec la France, un rôle décisif dans cette manoeuvre, qui put aboutir grâce à l’abstention de la Russie et de la Chine. D’où l’optimisme retrouvé de certains diplomates: avec l’appui marocain, plus rien ne peut justifier le silence du Conseil de sécurité, d’autant plus qu’il ne s’agit, cette fois, ni d’instaurer une zone d’exclusion aérienne ni d’intervenir militairement.

La facture diplomatique libyenne demeure impayée

La Russie se montre néanmoins inflexible. Et s’il en est ainsi, c’est en partie à cause de cette même résolution 1973. Moscou estime en effet avoir été berné par les Occidentaux, qui s’étaient engagés formellement à ne recourir à aucun moyen militaire au sol en Libye. Or, après une première phase aérienne, il a fallu « interpréter » de manière extensive le mandat onusien pour adapter la stratégie au terrain. Le résultat militaire a été concluant, mais la facture diplomatique demeure impayée.

Le « printemps arabe » ne convient pas à l’hiver russe 

Si les Russes dénoncent à loisir la tromperie dont ils auraient fait l’objet en Libye, la palabre dissimule une froide stratégie. Voir les diplomates européens et américains s’en prendre de concert au Hezbollah libanais, à l’Iran et à la Syrie ressemble, vu du Kremlin, à une offensive en bon ordre. Pourtant, on n’a jamais noté chez Vladimir Poutine un intérêt personnel débordant pour le monde arabe. Certes, en 2005, le maître du Kremlin d’alors a significativement allégé la dette syrienne à l’égard de son pays; il a autorisé l’envoi de conseillers militaires à Damas, de même que la livraison d’armes défensives, et obtenu pour la marine de guerre le mouillage de Tartous. Mais, pas plus que les contrats d’armement, les exportations russes vers Damas, qui n’ont rien de mirobolant, ne suffisent à expliquer pourquoi Poutine soutient Assad.

En réalité, l’ex-président – actuel Premier ministre-futur président – nourrit le souci obsédant de l’équilibre global des forces face aux menées américaines aux marches de son empire. Ces incursions ont lieu la plupart du temps (mis à part en Géorgie) dans des contrées musulmanes. Les Russes ont ainsi accédé aux demandes logistiques des Américains en Asie centrale, lorsque ces derniers se sont mis en tête d’intervenir en Afghanistan, moyennant quoi la bannière étoilée a avancé tout le long de la route de la soie. Ajoutons qu’il existe une vraie peur russe de l’islamisme en raison de la présence de 30 millions de citoyens musulmans au sein de la Fédération – facteur souvent négligé par les Occidentaux. Le « printemps arabe » ne convient pas à l’hiver russe.

Le populisme poutinien fait le reste: résister à l’Occident, comme au temps de la guerre froide, engendre une dose inexorable de sympathie. Le peuple syrien est la victime collatérale du cynisme.

source: http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/le-peuple-syrien-victime-collaterale-des-craintes-de-la-russie_1077245.html