Le poème, terre de la langue arabe par Brigitte Remer

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 avril 2012

Le poème, terre de la langue arabe

Pour une anthologie de la langue arabe

« J’ai construit un mur immense pour me séparer de mon peuple : certains ont pensé que j’avais peur et que je cherchais la protection d’un mur, mais ces imbéciles n’ont pas imaginé que j’aime mon peuple et que ce mur sert à le protéger de ma colère ». Zakaria TamerEcrivain syrien vivant à Londres. 22 février 2012.

La quatrième et dernière édition de Le poème, terre de la langue arabe est, pour la seconde fois consécutive et en écho aux révolutions du Moyen-Orient, mobilisée par l’actualité.
Trois soirées, trois programmes donnent à entendre de nouveaux poèmes à l’encre à peine sèche.La Syrie s’impose aujourd’hui comme une évidence. Le message poétique est précédé d’un message politique,  en présence de l’actrice et militante, Fadwa Suleiman, arrivée quelques jours auparavant de Homs, via la Jordanie sur la défensive , et avec l’aide de la France.
Avec quelques intellectuels, elle s’était rendue à Homs dès le début du siège et fut considérée là-bas comme quelqu’un de normal, y compris dans les quartiers conservateurs musulmans : » Le peuple m’a adoptée, protégée, ils ont vu que je partageais leur sort, les tirs, l’eau et le sel, tout ». Sa tête a été mise à prix (cinq millions de livres syriennes) et la sécurité de ses proches menacée mais elle témoigne et vient porter leurs messages devant le monde.
L’Association Souria Houria,  qui soutient la révolte du peuple syrien, L’Appel d’Avignon à la solidarité avec le peuple syrien lancé l’été dernier,  et l’Odéon-Théâtre de l’Europe, ont organisé cette rencontre-débat qui vise à révéler, au-delà de ce que rapportent à gros traits les médias, la réalité des combats. Engagée au tout début de la révolte avec une poignée d’autres amis et dès les premières manifestations de Damas, Fadwa Suleiman appelait à une révolte pacifique. « Combat perdu  aujourd’hui « , dit-elle. « Le peuple syrien a voulu refuser les armes, il s’est trouvé abandonné face à la machine de guerre et contraint de passer de l’autodéfense à des actions offensives ».
Si le gouvernement et les partis religieux cherchent à déstabiliser la société syrienne et tentent de récupérer le mouvement, Fadwa Suleiman confirme que les protestataires syriens appartiennent à toutes les communautés du pays. Son acte de foi : « La Syrie, pays porteur de civilisation, s’est soulevé pour la liberté, la libre expression, la démocratie, l’Etat de droit. Sa détermination est forte, il est prêt à payer le prix fort ».
Elle lance un appel aux intellectuels, aux artistes, pour être aux côtés du peuple syrien, aux côtés de la liberté et pour s’opposer aux politiques qui montent les peuples les uns contre les autres :  » Je rêve d’un temps où les peuples se retrouveront loin des politiques. Je rêve d’un monde sans combat, sans mort, sans tuerie, sans violence « .
Ses contacts avec les réseaux d’intellectuels et d’artistes dans le monde la désigne naturellement comme interface pour l’Association des artistes syriens, constituée comme force d’opposition. Elle affirme être à la recherche d’un lieu emblématique à Paris, pour que la Syrielibre puisse culturellement exister, un lieu de rencontre, de rapprochement, un lieu pour la paix, « loin de la culture imposée par le régime », consciente qu’il faut aussi « faire tomber le régime à l’intérieur de nous. La guerre, poursuit-elle, a engendré une nouvelle écriture, de nouveaux styles en dessin, littérature, poésie, chansons, en dépit de la répression  de  toutes les formes d’expression ».
Rendez-vous est donné par Emmanuel Wallon, universitaire engagé pour le soutien à la Syrie, mardi 17 avril, jour anniversaire de l’indépendance du pays, pour une manifestation nommée La vague blanche (voir  ci-dessous). Au-delà de la couleur-symbole, le blanc, cette vague, geste pacifique de résistance, signifie qu’elle doit s’étendre à d’autres villes, à d’autres pays ; et montrer que l’opinion internationale n’en peut plus d’être ce témoin passif et qu’un jour, les assassins devront être jugés.
Après cet Appel de Fadwa Suleiman face au drame syrien, apostrophe indirecte aux candidats à l’élection présidentielle française, un moment fort précédant les lectures, la quatrième édition du Printemps arabe s’ouvre à l’Odéon. La lecture chorale du poème de Mahmoud Darwich, Si nous le voulons et sa mise en musique rattrape le spectateur là où il en était resté lors de l’édition précédente.  »Nous serons un peuple, si nous le voulons, lorsque nous saurons que nousne sommes pas des anges et que le mal n’est pas l’apanage des autres… Nous serons un peuple lorsque nous respecterons la justesse et que nous respecterons l’erreur « .
Un canapé, deux pupitres, une chaise pour le joueur de oud et compositeur, Moneim Adwan. Une actrice de langue arabe, Hala Omran qui a aussi participé à la préparation du spectacle, et deux acteurs de langue française : Arnaud Aldigé, debout au pupitre, donne des repères  sur les événements, comme un conteur et Jean-Damien Barbin, en duo avec la comédienne, marque le tempo. Les textes sont en arabe et en français;  la conception et mise en scène sont de Wissam Arbache.
Malgré les drames sous-tendus par le contexte politique, les trois soirées sont enlevées, à la fois graves et bon enfant, chargées d’émotion et néanmoins joyeuses. Textes et musiques, contemplations poétiques, blagues et témoignages se succèdent, doublés parfois d’images, caricatures et dessins, petits films, rapportés des différents pays accomplissant leurs révolutions, au Moyen-Orient. Le salon Roger Blin de l’Odéon est plein, attentif et concentré.Hala Mohamed, écrivaine syrienne est présente :  » Le temps n’est plus aux gerbes de myrte »,  écrit-elle. « Une stèle après l’autre, il abat les sépultures et ne veut en garder qu’une seule pour lui « .
Les statuts type Face book interpellent :  » Dites à la liberté que nous sommes venus  » ;  » Et si la liberté était notre enfer ? «  ; « Un oiseau dans la main vaut mieux que dix sur la branche « . Abdel Aziz Mohamed, d’Egypte écrit :  » Nous pensions que nous en avions fini avec les soucis .La lune n’est pas complète dans le ciel, cette nuit « . Hazem Al Azmet, de Syrie :  » Dans un matin époustouflé de printemps, les assassins sont encore libres, là-bas « . D’autres poètes :   » Le paradis ? Un peu plus loin  » ; « La vague a dit…  » ; « Attends-tu que ta révolution saute par la fenêtre ?  » ; « Le présent est un œil dont les prunelles ont été amputées « . « Je parcourrai cette longue route jusqu’au bout de moi-même « .
Un autre poème de Mahmoud Darwich, Plus rares sont les roses, succède aux recommandations du Manuel du tyran arabe pour les Nuls,d’Iyad El Baghdadi, savoureux et tragique. La voix des femmes avec des chants populaires à Damas,  le visage caché pour ne pas être reconnues, apportent de l‘humanité et la séquence  a été  filmée,  » La mort plutôt que l’humiliation  » ; « Laisse mon sang devenir rivière « .
Chanson égyptienne adressée par la révolution égyptienne aux Syriens :  » Comme les vagues de la mer, mes blessures ne se referment pas ».Chant de résistance enfin, avec Norma Braham, grande chanteuse syrienne, invitée à monter sur le plateau rejoindre l’équipe ; c’est un  moment de grâce improvisé, a-capella :  » Oh ma mère ! Je pleure l’amour. L’espoir est en les hommes « .

Brigitte Remer

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