Le régime de Bachar Al Assad protège-t-il vraiment les chrétiens ? Pour Salam Kawakibi, politologue d’origine syrienne et directeur adjoint de « Arab Reform Initiative », le régime baasiste s’est servi des chrétiens pour mieux asseoir sa domination et tromper l’Occident.

Article  •  Publié sur Souria Houria le 30 avril 2015

« En Occident, le discours selon lequel le régime de Bachar Al Assad serait un moindre mal a aujourd’hui le vent en poupe. Parmi des pans entiers de l’opinion, le dictateur de Damas passe pour le dernier rempart protecteur d’une minorité chrétienne en voie de disparition. Cette perception est le résultat d’une stratégie qui porte ses fruits. Celle d’un régime qui a toujours su jouer habilement la carte de la division entre les diverses composantes de la société syrienne et instrumentaliser la religion à des fins dominatrices.

Quelques chiffres, tout d’abord. En 1970, lors de l’arrivée de la famille Assad au pouvoir, les chrétiens représentaient environ 15 % de la population syrienne. Avant la révolution de 2011, le gouvernement, soucieux de montrer une image de diversité, annonçait le chiffre de 10 %. Mais la réalité est bien en deçà : 7 % selon les Églises, voire 5 % selon d’autres études… Quoi qu’il en soit, l’émigration des chrétiens de Syrie – laquelle remonte à la fin du XIXe  siècle – s’est amplifiée sous le régime baasiste. Car loin de protéger les chrétiens, ce dernier les a enchaînés à son propre destin.

BEAUCOUP D’ÉVÊQUES ONT RELÉGUÉ AU SECOND PLAN LA VIE SPIRITUELLE

Dans une société où la liberté d’expression et la citoyenneté n’existent pas, les Assad ont commencé par créer de toutes pièces une hiérarchie religieuse – chrétienne comme musulmane – à leur botte. La nomination des muftis et des évêques était soumise à l’approbation des tout-­puissants services de renseignements syriens. Transformés en véritables agents administratifs, beaucoup d’évêques ont relégué au second plan la vie spirituelle et l’attention aux pauvres et bénéficié de nombreux avantages matériels.

Des écoles, autrefois tenues par les jésuites et les frères maristes, ont été nationalisées et leurs directeurs remplacés par des membres du parti Baas. Je me souviens, enfant, avoir connu la séparation entre élèves musulmans et élèves chrétiens pour suivre les cours de religion. Ce qui était censé unir est devenu un motif de séparation dès le plus jeune âge.

LE RÉGIME A COMPRIS TOUT LE BÉNÉFICE QU’IL POUVAIT TIRER DE LA MONTÉE DE L’ISLAMISME

Le régime a par ailleurs compris tout le bénéfice qu’il pouvait tirer de la montée de l’islamisme, dès les années 1980, en soufflant sur les braises de l’ignorance et de l’obscurantisme. Toute action intellectuelle qui prônait la pensée réformiste était bannie. Des propos et comportements agressifs à l’égard des chrétiens ont commencé à se répandre, chacun se définissant désormais à partir de sa religion.

En 2011, les jeunes chrétiens qui ont participé aux premiers soulèvements pacifiques n’ont pas été soutenus par leur hiérarchie, acquise au régime. Des religieux engagés en faveur du dialogue et de la citoyenneté, comme le P. Paolo dall’Oglio, ont été enlevés ou tués. La tentative du régime – en partie réussie – d’enrôler de jeunes chrétiens dans des milices d’autodéfense relève quant à elle d’une stratégie diabolique : pousser ces derniers à combattre le reste de la société syrienne et, par là même, les isoler davantage encore.

Après quatre ans de guerre et l’émergence de Daech, ces mêmes chrétiens constatent que personne ne les a aidés en tant que Syriens. Puisque l’Occident ne se mobilise plus que sur critère confessionnel, de jeunes laïcs réfugiés en Europe se voient obligés de dire qu’ils sont chrétiens pour obtenir de l’aide ou un logement… Et c’est le monde entier qui se retrouve manipulé. »

Recueilli par Samuel Lieven

source : http://www.la-croix.com/Religion/Spiritualite/Le-regime-de-Bachar-Al-Assad-protege-t-il-vraiment-les-chretiens-2015-04-24-1306076

date : 24/04/2015