Le réveil de la Ligue arabe – par HALA KODMANI

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 novembre 2011

En suspendant la Syrie, l’organisation a rompu avec sa politique de non-ingérence. Mais elle ne semble pas prête à sanctionner un régime sunnite.

Un avis de décès sous la forme d’un tract circule dans les rues du Caire ces derniers jours. La «chère défunte» est «la Ligue des Etats arabes» disparue le 11 novembre 2011, «suite au printemps arabe et qui a rendu son dernier souffle, grâce à la glorieuse révolution syrienne. Elle sera enterrée sans regret dans le cimetière de l’histoire sombre». Une certaine Ligue arabe, en effet, est morte. Une autre est en train de naître. C’est une très grande première que de voir l’organisation intergouvernementale arabe venir au secours d’un peuple en sanctionnant son régime. C’est plus qu’une nouvelle révolution arabe.

Walid Moallem, le ministre syrien des Affaires étrangères, s’est indigné de la décision prise samedi de suspendre son pays, affirmant qu’il s’agit d’une «violation de la charte de la Ligue arabe» qui a toujours fondé son action – ou son inaction – sur le respect de la souveraineté de ses Etats membres et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures. Les images des délégations de l’opposition syrienne reçues et entendues par les principaux responsables de la Ligue au Caire apparaissent comme un mirage aux yeux d’une opinion arabe qui s’est toujours lamentée de l’inefficacité, de l’hypocrisie ou des divisions d’une institution qu’elle a longtemps rêvée comme la «Ligue des peuples arabes». Hier, une nouvelle réunion ministérielle arabe cruciale se tenait à Rabat pour concrétiser la décision de samedi sur la Syrie.

 

Inédit. Au siège de l’organisation panarabe, situé sur l’emblématique place Tahrir, on est bien conscient que l’implication dans la crise syrienne représente une«évolution considérable dans le rôle de la Ligue», selon les termes d’Aly Erfan, conseiller politique du secrétaire général. «C’est un test et un défi immenses pour les compétences et les capacités de la Ligue de proposer des formules de règlement d’un conflit à l’intérieur d’un de ses pays membres et surtout d’intervenir sur le terrain», insiste cet ancien ambassadeur égyptien, faisant valoir le caractère inédit des mesures envisagées pour la protection des civils syriens, dont l’envoi de 500 observateurs de plusieurs organisations humanitaires de défenseurs des droits de l’homme, de médecins, de juristes et de journalistes arabes. Outre sa position exceptionnelle contre le régime syrien, c’est aussi le dynamisme et la réactivité inhabituels de l’organisation dans son traitement du dossier qui surprennent les observateurs. «Le secrétaire général, Nabil el-Arabi, a fait du dossier syrien son affaire personnelle, assure un membre du Conseil national syrien, impliqué dans les pourparlers. Il est à l’écoute de nos positions et de nos propositions. Mais il est surtout convaincu depuis le départ, comme la plupart des représentants des pays arabes d’ailleurs, de la mauvaise foi du régime syrien auquel il ne laisse pas de répit.» Mais la détermination de ce grand diplomate égyptien, éphémère ministre des Affaires étrangères au lendemain de la chute de Moubarak, ne suffit pas dans une organisation où la prise de décision reste le fruit du consensus entre les pays membres.

Parmi ceux-là, le Qatar et son énergique Premier ministre, Cheikh Hamad ben Jassem al-Thani, qui préside le Comité ministériel arabe sur le dossier syrien, apparaît aux avant-postes. En colère contre Bachar al-Assad qu’ils ont soutenu politiquement et économiquement ces dernières années – mais qui n’a pas voulu les entendre depuis le début de la crise -, les Qataris voudraient le punir de son ingratitude comme de son aveuglement. Toutefois, sur une question aussi épineuse, une décision consensuelle de la Ligue arabe ne pouvait être atteinte sans le soutien de tous, notamment les poids lourds que sont l’Egypte et l’Arabie Saoudite. Cette dernière aurait exercé de subtiles pressions, selon une source de l’opposition syrienne, pour vaincre les réticences d’Oman et de l’Algérie. D’éventuelles arrière-pensées de ces puissances sunnites, du Golfe notamment, pour sortir la Syrie de l’axe chiite Iran-Irak-Hezbollah sont-elles absentes de cette étonnante dynamique collective arabe ? «Le drame syrien n’a pas été inventé par la Ligue», réplique Aly Erfan en insistant plutôt sur «la volonté absolue de tous de trouver une solution 100% arabe à la crise», balayant les soupçons de certains et les accusations directes du régime syrien qui voient dans l’initiative de la Ligue un préambule à une internationalisation, voire à une intervention armée étrangère en Syrie. Le précédent libyen, où la Ligue arabe n’a fait que donner son feu vert et une couverture à l’Otan, pèse sur les esprits. Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Mohamed Amr, a clairement signifié après la décision de suspension de la Syrie de la Ligue le rejet total de toute intervention étrangère dans le pays.

Vocation. Dans le défi qu’elle s’est lancé pour trouver une solution à la crise syrienne, la Ligue arabe a déjà montré une capacité de mobilisation et d’inventivité inhabituelles. Mais cette nouvelle vocation de l’organisation d’intervenir pour protéger les peuples contre leurs gouvernants serait-elle mise en œuvre si un autre régime arabe, du Golfe par exemple, était menacé dans les mois ou les années qui viennent ?

source: http://www.liberation.fr/monde/01012372029-le-reveil-de-la-ligue-arabe