Le Vieux Continent dans les brisées de l’Amérique : des poursuites judiciaires sont lancées contre la famille Assad

Article  •  Publié sur Souria Houria le 4 mai 2017

Le Vieux Continent dans les brisées de l’Amérique : des poursuites judiciaires sont lancées contre la famille Assad, à commencer par l’épouse de Bachar (Asmâ’) et par son oncle (Rif‘at) !

Interview du Dr Mumtaz Suleiman (chercheur en droit international, depuis Londres) et de M. Anwar al-Bunni (président du Centre Syrien pour les Etudes et les Recherches Juridiques, depuis Berlin).

Emission « Ici, la Syrie » (Hunâ Sûriyâ) de la chaîne oppositionnelle syrienne Orient News (17 avril 2017)

Emission préparée et réalisée par Hani al-Sibâ‘î et présentée par Ahlâm Tabra

Coordinateur des interviews : Muhammad Salamé

traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

[00.07] Ahlâm Tabra [A. T.] : « Tout a changé, depuis votre arrivée au pouvoir, M. Trump ! Tout le monde écoute attentivement ce que vous dites, tout le monde attend vos décisions… Tout le monde, même le Vieux Continent qui semble emboîter le pas aux dirigeants américains… La Grande-Bretagne, l’Allemagne, la France et l’Espagne demandent des comptes à la famille Assad, mettant des bâtons dans les roues de ses membres. Que se passe-t-il réellement, en Europe ? A-t-elle décidé de resserrer définitivement le collet autour du cou d’Assad et des membres de sa famille ? Cette question fera l’objet du premier débat de notre émission « Ici, la Syrie ». [Quant au deuxième débat, il sera consacré à la manière dont le pouvoir de la famille Assad a vidé de leur sens toutes les fêtes nationales en Syrie, faisant du parti Baath l’alpha et l’oméga de l’histoire syrienne]. Soyez les bienvenus !

– [Jingle de l’émission]

[01:33] [A. T.] : Soyez les bienvenus. Les initiatives françaises et espagnoles visant à resserrer le filet sur la famille Assad et à mettre sous séquestre des fonds et des propriétés immobilières que celle-ci n’a pu acquérir qu’au moyen du détournement et du blanchiment d’argent public, comme l’a reconnu la justice, ont amené la Grande-Bretagne à agir à son tour et à demander des comptes à cette famille notamment au travers d’une proposition de loi déposée par divers partis politiques au Parlement britannique visant à déchoir Asmâ’ al-Assad (l’épouse de Bachar, ndt) de sa citoyenneté britannique. Quant à l’Allemagne, elle a haussé le ton de ses déclarations, depuis quelque temps, affirmant qu’il ne saurait y avoir de solution en Syrie tant qu’Assad resterait au pouvoir. Regardons tout d’abord ensemble le reportage qui va suivre, après quoi nous nous retrouverons, pour le débat…

[02:04] [Salman al-Sufi] : Les dernières initiatives internationales ne se contentent plus de viser le seul Bachar al-Assad… Elles s’en prennent désormais également à des membres de sa famille. En effet, les déclarations et les initiatives internationales s’efforçant de resserrer l’étau sur la famille Assad ne cessent de se multiplier et de s’intensifier de jour en jour… Cela a commencé en France et en Espagne, lorsque ces deux pays ont décidé de perquisitionner et de mettre sous séquestre les propriétés des Assad.

[02:31] – Ainsi, la justice espagnole a ordonné de faire mettre sous séquestre les avoirs de la famille Assad, lesquels sont estimés à 691 millions d’euros. Il faut ajouter à cela la fermeture de 76 comptes bancaires ouverts aux noms de Rif‘at al-Assad et de seize autres personnes entretenant des relations d’affaires avec celui-ci.

[02:50] – La France a pris à son tour des mesures du même ordre que l’Espagne. Ainsi, la justice française a mis sous séquestre les propriétés détenues en France par Rif‘at al-Assad, dont on pense qu’il n’a pu les acquérir qu’en ayant détourné de l’argent public en Syrie. La justice française a accusé Rif‘at al-Assad détournement de fonds publics et de blanchiment.

[03:14] – Il en va de même en Grande-Bretagne. Plusieurs députés de différents partis politiques ont demandé au Parlement de déchoir Asmâ’ al-Assad (l’épouse de Bachar) de sa nationalité britannique, et ce, en raison du rôle de relations publiques que celle-ci assure pour Bachar al-Assad au travers de trois comptes sur les réseaux sociaux (Telegram, Instagram et Facebook), ce à quoi s’ajoutent ses manœuvres pour falsifier les réalités et accuser l’Occident d’être de parti pris et d’inventer de fausses accusation à l’encontre de son mari. Plusieurs députés britanniques ont considéré qu’elle devrait être déchue de sa nationalité en raison de la gravité des faits.

[03:48] – Le changement dans la position européenne et le net changement de ton américain ont également amené l’Allemagne, qui n’avait jamais demandé le départ d’Assad depuis le début de la crise syrienne, à prendre le train en marche et à adopter un ton de plus en plus dur à l’encontre du régime syrien, exigeant de ce dernier qu’il quitte le pouvoir et affirmant qu’il ne saurait y avoir de solution de paix en Syrie tant qu’il ne l’aura pas fait.

[04:10] – Les signes émanant du président américain Donald Trump, ses déclarations avant et après l’opération militaire américaine qui a visé dernièrement le régime syrien, ont amené les pays européens à tomber d’accord sur le fait que les menaces pesant sur Assad et sa famille ne font que croître et qu’il ne saurait y avoir de solution en Syrie tant que ceux-ci n’auront pas rendu de comptes, indiquent certains spécialistes de la question syrienne.

[04:34] [A. T.] : Mes hôtes, pour le débat qui va suivre, seront le Dr. Mumtaz Suleïman, qui est spécialiste de droit international et qui sera en direct depuis Londres et le professeur Anwar al-Bunni, directeur du Centre Syrien pour les Etudes et les Recherches Juridiques, qui sera avec nous et nous parlera en direct depuis Berlin. Je commencerai avec vous, Dr Mumtaz. Tout d’abord, nous vous souhaitons la bienvenue. La prise, par l’Europe, d’initiatives visant à cerner la famille Assad semble plus évidente, après la frappe américaine. Selon vous, jusqu’où cette escalade pourrait-elle aller ?

[04:56] [Dr. Mumtaz Suleïman][M. S.] : Naturellement, il est clair qu’il y a un changement dans les positions des pays européens – et de manière générale dans les positions internationales – après que l’Amérique ait réagi. Nous avons assisté à un changement effectif, réel, dans les attitudes vis-à-vis du régime criminel syrien, et en particulier à l’encontre de la famille Assad qui règne sur la Syrie et qui a fait de notre pays sa ferme privée depuis plus de quarante ans. Certes, les décisions qui ont été prises par la justice française et par la justice espagnole sont avant tout des décisions financières, et non des décisions pénales (il n’est question que de détournements de fonds et de choses de cet ordre-là). Mais en ce qui concerne la déchéance de nationalité d’Asmâ’ al-’Akhras (ou al-Assad), l’épouse de Bachar al-Assad, qui est effectivement britannique, nous pouvons dire que la loi britannique prévoit que tout détenteur de la nationalité britannique, qu’il vive à l’intérieur ou à l’extérieur de la Grande-Bretagne, qui a des agissements qui portent atteinte à la sécurité nationale britannique ou qui contribuerait à des agissements que le droit international considère criminels (tels que la publicité faite pour un criminel international tel que Bachar al-Assad) encourt la peine de se voir déchu de la nationalité britannique. Mais c’est généralement le ministère britannique de l’Intérieur qui, en dernier ressort, en décide…

[06:15] [A. T.] : Excusez-moi, Dr. Mumtaz… Cette avancée est due au massacre à l’arme chimique perpétré à Khan Shaykhûn et à la frappe américaine qui y a fait suite. Or, il y avait déjà eu un bombardement à l’arme chimique dans la Ghouta (l’oasis de Damas, ndt), en 2013… Pourquoi cette évolution dans les positions des démocraties ne s’est-elle pas produite plus tôt ?

[06:33][M. S.] : A l’époque, le pouvoir en Amérique était détenu par un homme, Obama, qui était connu pour être l’homme des crises, quelqu’un d’incapable de trancher les questions. Mais aujourd’hui, les choses ont changé. Aujourd’hui, les Républicains sont au pouvoir et l’on sait qu’ils sont beaucoup plus déterminés dans leur façon d’aborder les crises extérieures. Du temps d’Obama, la position des Etats-Unis vis-à-vis d’Assad était élastique. Mais il y a plus important : même la position des Etats-Unis, la position de Trump et la position, de manière générale, des Occidentaux, consiste à dire qu’il faut sanctionner le régime syrien pour avoir utilisé des armes chimiques. Mais qu’en est-il des nombreux autres crimes que Bachar al-Assad a perpétrés contre le peuple syrien ? Quelle différence y-a-t-il, entre tuer, comme il le fait, des femmes et des enfants avec des bombes ou avec des barils d’explosifs, bombarder les écoles et les hôpitaux, comme il le fait, et ses bombardements chimiques ? Pour le peuple syrien, c’est du pareil au même : dans les deux cas, il se fait massacrer. Il faut demander des comptes au régime syrien et à Bachar al-Assad au sujet de leur utilisation illégale d’armes chimiques [mais pas seulement], et ce, depuis le début de la Révolution syrienne et jusqu’à ce jour.

[07:41][A. T.] : Je m’adresse maintenant au Professeur Anwar al-Bunni. Professeur, les positions des pays européens sur la Syrie ont changé : cela est-il dû au changement de la position de l’administration américaine sur le dossier syrien ?

[07:57][Anwar al-Bunni][A. B.] : Tout d’abord, bonsoir à vous-mêmes et aux téléspectateurs. Il y a, je pense, une coïncidence temporelle, bien plus qu’un rapport de cause à effet. Ce qui s’est produit en Espagne et en France est le résultat d’une action que nous menions depuis plus de neuf mois. Je pense que ce qui s’est produit dans ces deux pays est la conséquence d’une plainte qui a été déposée en Espagne, une plainte que nous avons suivie activement au travers de nos contacts avec les procureurs et un certain nombre d’organisations et d’activistes. L’argent illicite concerné par cette plainte, dont on pensait qu’il résultait « simplement » d’évasion fiscale, s’est avéré avoir une dimension criminelle : cet argent était le fruit de vols perpétrés en Syrie. Cette découverte a entraîné une requalification de la plainte et l’on s’est orienté vers une saisie de tous les biens concernés, car ceux-ci avaient été acquis avec de l’argent résultant d’extorsions criminelles, de vols et de détournement illicites perpétrés en Syrie. Cela ne signifie pas qu’il y ait une procédure pénale, contrairement à la plainte qui a été déposée à l’encontre de Rifaat al-Assad à propos du massacre [de la prison] de Palmyre, dont nous espérons qu’elle donnera prochainement de premiers résultats (là encore, c’est une action que nous menons depuis plusieurs années, à laquelle contribuent plusieurs organisations européennes…).

[09:06][A. T.] : Si je comprends bien, professeur, vous êtes en train de nous expliquer que ces développements judiciaires en Europe sont intervenus en même temps que la frappe américaine [contre la base aérienne de Shuaïrât] par pure coïncidence ?

[09:11] [A. B.] : Oui, oui, c’est tout à fait ça… Les verdicts dans ces plaintes judiciaires sont tombés juste au moment où se produisait la frappe américaine, mais l’escalade dans la position politique européenne est intervenue après que les États-Unis, le pays leader du camp occidental, aient précisé leur position sur le régime Assad : cela a amené les décideurs politiques européens à adopter un ton plus ferme. Et cette tendance a été encouragée par l’action juridique qui a été entreprise [à l’encontre du régime Assad] en Espagne et en Allemagne, les personnes poursuivies étant désormais considérées comme des criminels : cela a rendu impossible toute réhabilitation de ces responsables syriens mis en cause et il n’est plus question de laisser dire qu’ils n’auraient pas perdu leur légitimité. Par conséquent, c’est à la fois cette action juridique et le fait que les Américains aient rendu parfaitement claire leur position sur le régime Assad après l’usage par celui-ci d’armes chimiques contre les civils de Khân Shaykhûn qui sont à l’origine de cette intensification de la dénonciation du régime Assad.

[10:08][A. T.] : Donc, cette décision juridique, comme vous nous l’avez expliqué, est intervenue à ce moment précis du fait d’une coïncidence… Mais en ce qui concerne la frappe américaine, nous constatons une montée du ton dans les déclarations officielles allemandes. Cela est particulièrement marquant s’agissant d’un pays qui a toujours préconisé une solution politique : c’est la première fois que l’Allemagne s’exprime aussi directement ?

[10:23] [A. B.] : Ce qui s’est passé en Allemagne, lorsque le procureur général a porté plainte contre les accusés pour crimes de guerre perpétrés en Syrie, a été annoncé le 2 mars par le Centre Européen des Etudes Juridiques…

[10:44][A. T.] : Excusez-moi, professeur Anwar… Je ne faisais pas seulement allusion à ce point… La chancelière allemande elle-même, Mme Angela Merkel, affirme sans ambigüité que Bachar Assad est personnellement responsable du massacre à l’arme chimique et qu’il devra en rendre des comptes…

[10:52] [A. B.] : Oui, oui, tout à fait ! Cette escalade dans la position officielle allemande résulte effectivement avant tout du changement dans la position américaine, de la clarté de la condamnation américaine du régime de Bachar al-Assad, de la famille Al-Assad plus précisément. Les Etats-Unis sont leader du monde occidental et de tous les pays européens en particulier dans cette question. S’ajoute à cela le fait que la situation juridique de Bashar al-Assad et de sa bande face à la justice allemande est qu’aujourd’hui ils sont accusés de crimes de guerre : ce sont des criminels recherchés en instance d’arrestation. Par conséquent, les autorités politiques allemandes ou les autorités politiques européennes de manière générale ne peuvent plus temporiser ou adopter des positions ambigües ou en changer ou traiter ces crimes avérés de manière floue. C’est pourquoi les prises de position ont été extrêmement claires, dans la dernière période, du fait de la conjonction de toutes ces considérations.

[11:43][A. T.] : Dr. Mumtaz, le ministre britannique des Affaires étrangères a appelé la Russie à rejoindre la coalition et il a promis à celle-ci que sa place serait garantie en Syrie. Il a affirmé qu’Assad était le pire des terroristes. A votre avis, ces propos sont-ils une sorte d’écho à la frappe américaine, ou bien existe-t-il une coordination et une planification évidente entre ces différents pays ?

[12:12] : Dr. Mumtaz Suleiman [M. S.] : Non, bien sûr, cela n’est pas un simple écho : il y a effectivement une planification et il y a des positions distinctes et très claires en ce qui concerne l’Angleterre et les Etats-Unis. C’est une constante : l’Angleterre et les Etats-Unis sont sur la même position. Mais le ministre britannique des Affaires étrangère a supprimé sa visite prévue à Moscou après le bombardement chimique de Khan Shaïkhûn. La position britannique est très claire (je parle bien sûr ici de la position britannique depuis l’arrivée au pouvoir de Mme Theresa May). Du temps de David Cameron, il y a eu certains revirements dans les positions britanniques, mais aujourd’hui, du fait qu’il existe une position américaine claire, la position britannique est claire elle aussi. Mais nous espérons que ces prises de position soient traduites en actes. Depuis six ans, la plupart des dirigeants européens veulent le départ de Bachar al-Assad, ils affirment que celui-ci a perdu toute légitimité, etc. Obama lui a fixé des lignes rouges, ce qui n’a pas empêché Assad de recourir aux armes chimiques : il n’y a pas un seul type d’arme qu’Assad n’ait pas utilisé contre le peuple syrien. Mais nous n’avons jamais vu de traduction de ces déclarations sur le terrain. Nous n’avons même jamais assisté au lancement d’une quelconque action juridique contre ce régime, que ce soit au Conseil de Sécurité ou devant la justice internationale. Or, c’est ce que nous attendons : nous voulons voir des actions concrètes sur le terrain, et non plus seulement des déclarations comme celle de Trump disant qu’Assad doit partir, les déclarations du ministre américain des Affaires étrangères, ou celles d’autres ministres européens qui affirment qu’Assad doit partir… Maintenant, la situation a changé : Assad doit rendre des comptes. C’est ce que veut le peuple syrien. S’il existe effectivement une communauté internationale qui respecte le droit international, s’il existe effectivement une volonté internationale, il faut que tous les responsables du régime Assad qui ont perpétré des crimes de guerre soient jugés. Quant aux pays qui les parrainent, comme l’Iran, et quant aux organisations telles que le Hezbollah et les milices irakiennes, le peuple syrien a des preuves de leurs exactions, les Syriens connaissent ceux qui ont massacré, ceux qui ont pillé. Et en particulier les Russes, les militaires russes… il y a un commandement conjoint entre Bachar al-Assad et les dirigeants russes. La communauté internationale devra entreprendre une action juridique contre les responsables du régime de Poutine en Russie avant même de le faire contre Bachar al-Assad, car c’est Poutine qui a fourni des armes à Assad et c’est Poutine qui a fourni le gaz sarin à Assad. Poutine, ou l’Iran… Il faut demander des comptes à ceux qui ont fourni du sarin à ce régime et à ceux qui lui ont fourni des armes et qui lui ont apporté leur soutien, avant même de demander des comptes au criminel Bachar al-Assad.

[14:45][A. T.] : Professeur Anwar, à votre avis, l’Allemagne a-t-elle aujourd’hui une stratégie plus claire à l’encontre de Bachar al-Assad ?

[14:53][A. B.] : Le problème, c’est la stratégie américaine. Tant qu’il n’y aura pas de stratégie américaine, l’Europe restera pieds et poings liés, comme l’on dit. Certes, il y a des déclarations, il y a un haussement du ton dans les prises de position politiques, mais du point de vue stratégique, il faut que ça soit la stratégie américaine qui s’impose dans la réalité, car c’est l’Amérique qui est la grande puissance et c’est elle seule qui peut mettre en action l’Otan si elle veut effectivement entrer en action. Par conséquent, jusqu’à maintenant, la stratégie américaine n’est pas claire. Il y a une position, qui est claire, mais dans la manière de parvenir à la réalisation des objectifs, plusieurs scénarios sont présentés et débattus pour parvenir à la mise à l’écart de la famille Assad. Par conséquent, cette question est dans l’attente en premier lieu d’une stratégie claire et d’un plan précis de l’administration américaine et en deuxième lieu de l’engagement concret de la Russie dans cette opération. En effet, si la Russie ne s’engage pas dans cette stratégie, elle ne s’y opposera pas, c’est une certitude. De plus, la Russie n’est pas en mesure d’influencer le régime syrien [contrairement à ce que beaucoup pensent]. A mon avis, la Russie n’a pas une maîtrise totale de l’influence sur la crise syrienne ou sur le régime syrien, elle ne peut pas amener le régime syrien à résipiscence. La Russie est intervenue en Syrie tout simplement pour avoir des atouts à vendre à l’Amérique. Si l’Amérique voulait acheter la position russe et lui donner en contrepartie l’Ukraine et la Géorgie, la Russie s’engagerait dans la coalition internationale pour mettre fin au régime de Bachar al-Assad. La survie de Bachar al-Assad repose fondamentalement sur l’Iran, et non sur la Russie, du point de vue militaire, même si c’est la Russie qui lui fournit des armes et une couverture politique. Mais cela ne suffit pas : la couverture politique ne suffira pas au cas où serait décidée une opération internationale contre Bachar al-Assad et contre son régime fasciste en Syrie.

[16:54][A. T.] : Professeur Anwar, nous aimerions que vous nous parliez davantage des plaintes qui ont été déposées par des Syriens contre le régime. Où en sont ces plaintes et dans quelle mesure peuvent-elles réellement constituer une pression ?

[17:08][A. B.] : Ça n’est pas une question de pression… Il s’agit d’une réalité. Il y a des réactions extrêmement positives de la part de la justice allemande. Mais je ne dirai rien à ce sujet, car les choses seront annoncées en temps utile, très bientôt. Mais il y a des développements très positifs. Ces procès constitueront une pression, mais ils seront aussi extrêmement concrets car ces criminels seront enfin amenés devant la justice. Cette réalité ne pourra en aucun cas être contestée, remise en cause ou modifiée. Cette réalité mettra le monde entier, responsables politiques compris, devant une situation nouvelle : personne ne pourra dire que ces gens-là ne sont pas des criminels et qu’ils peuvent par conséquent rester au pouvoir en Syrie. La justice sera prête à les cueillir dès qu’ils sortiront de Syrie. C’est donc plus qu’une pression, c’est une nouvelle réalité juridique et c’est une réelle avancée vers l’instauration de l’état de droit en Syrie et vers une nouvelle ère dans ce pays, une fois que l’on aura arrêté ces criminels.

[18:16][A. T.] : Les procès qui ont été intentés à Rifaat al-Assad et la mise sous séquestre de ses comptes bancaires… : où est Rifaat al-Assad actuellement ? Ces fonds sous séquestre, qui les récupérera ? Quelle est la prochaine étape, après cette saisie ?

[18:31][A. B] : Eh bien, ces fonds resteront bloqués dans les caisses des dépôts des états concernés dans l’attente qu’il y ait en Syrie un gouvernement qui représente effectivement le peuple syrien. Ce gouvernement en demandera la restitution, car il s’agit de fonds syriens, il s’agit de l’argent des Syriens. Ces fonds seront dont gelés jusqu’à ce qu’il ait un gouvernement syrien effectif qui soit un membre actif de la communauté internationale, ce qui adviendra – c’est une certitude.

[19:03][A. T.] : Dr. Mumtaz. La demande du retrait de la citoyenneté britannique d’Asmâ’ al-Assad est sans doute une initiative symbolique, mais elle marque une prise de position. Pensez-vous que la Grande-Bretagne va effectivement prendre cette initiative ?

[19 :16][M. S.] : Comme je l’ai expliqué il y a un instant, lorsqu’un quelconque citoyen britannique fait quelque chose d’illégal comme soutenir une organisation terroriste… – le régime syrien est un régime terroriste, Asmâ’ al-Akhras – Asmâ’ al-Assad – aide ce régime en redorant son blason, ce régime qui assassine des enfants. Elle ne cesse de « démentir » les médias occidentaux, elle encourage le régime à assassiner –, par conséquent la justice britannique et le ministère britannique de la Justice sont juridiquement fondés à lui retirer sa citoyenneté à cette citoyenne britannique. Comme vous l’avez dit, c’est une mesure symbolique, mais le fait de retirer à quelqu’un sa citoyenneté, cela va plus loin. Ainsi, pour l’épouse de Bachar al-Assad, qui se considère comme la « Première Dame », sachant que son père, Fawwaz al-Akhras, vit ici, à Londres, depuis cinq ans, envoyait régulièrement des méls à Bachar al-Assad pour lui expliquer comment il « convenait » de mater les manifestations pacifiques au début de la Révolution syrienne. A l’époque, les médias britanniques avaient évoqué ces méls et il y eut une décision administrative mettant un terme à la présidence par Fawwaz al-Akhras de l’Association culturelle syro-britannique. Il s’agissait de crimes électroniques, d’après la loi. Reste que tout citoyen britannique qui pratique ce genre de chose tombe sous le coup de la loi. Il est juridiquement possible de retirer sa nationalité britannique à Asmâ’ al-Assad. Mais j’y insiste à nouveau : les prises de positions européennes doivent avoir une traduction concrète. Je me souviens : en 2007, lorsque tous les membres de l’Appel de Damas ont été arrêtés, votre hôte qui vous parle depuis l’Allemagne, le professeur Anwar al-Bunni, avait été condamné à cinq années d’emprisonnement. Nous nous sommes adressés aux organisations internationales, au ministère des Affaires étrangères, mais nous n’avons entendu que de la réprobation et des condamnations verbales et des exigences de libération d’Anwar al-Bunni et de son frère Akram, ainsi que de tous les autres membres de l’Appel de Damas. Mais nous n’avons entendu que des réactions très banales. Ce que nous voulons, ce que veut le peuple syrien, c’est qu’il y ait des actions concrètes sur le terrain, une réaction internationale effective, une volonté internationale de mettre un terme à l’hémorragie du peuple syrien afin de dissuader ce régime de perpétrer davantage de crimes et de lui demander des comptes sur toutes ses exactions passées.

[21:47][A. T.] : Dr Mumtaz, à travers vos réclamations et vos actions, avez-vous l’impression que ces prises de position vont aboutir à quelque chose de concret sur le terrain, ou bien s’agit-il simplement d’une sorte d’ébullition à la suite de laquelle toutes ces déclarations connaîtront le même sort que par le passé ? Beaucoup de déclarations, et après, nous n’en entendons plus parler ?…

[22:10] : [M. S.] : Non, bien sûr. Il y a toujours de l’espoir. C’est notre devoir, c’est le devoir de tout Syrien vivant actuellement en Europe de s’adresser aux instances internationales, à la justice, aux ministères des Affaires étrangères, aux associations juridiques,… pour dénoncer ce régime, ceux qui le soutiennent et ses complices dans ces crimes qu’il perpètre. C’est notre devoir, c’est le devoir de tout Syrien résidant en dehors de la Syrie et ayant la possibilité de prendre des initiatives en ce sens. Mais nous gardons l’espoir, bien sûr. En fin de compte, il y a bel et bien une communauté internationale. Le régime syrien ne pourra pas continuer ad vitam aeternam à massacrer le peuple syrien et à le déposséder. Il faut trouver une solution. Mais, comme je l’ai déjà dit, il y avait une position américaine très mauvaise sur cette question. Durant cinq ans, Barack Obama a extrêmement mal géré cette crise. Mais Trump lui succède désormais et en ce qui concerne Trump, nous avons assisté à sa frappe [contre la base aérienne syrienne]. Même si cette frappe était symbolique, elle a envoyé un message tant à la Russie qu’à l’Iran. C’est d’ailleurs ces deux pays qu’elle visait, plus que le régime de Bachar al-Assad lui-même. Nous espérons qu’il y aura une position internationale déterminée contre le régime syrien et que l’on demandera des comptes à ce dernier sur les crimes qu’il a perpétrés et que l’on épargnera à l’avenir au peuple syrien tout ce que ce régime lui fait subir.

[28:24][A. T.] : Pr. Anwar, le Dr. Mumtaz a évoqué le rôle joué par l’Iran et par la Russie en matière de soutien au régime Assad. A votre avis, ces initiatives juridiques peuvent-elles s’étendre aux Iraniens et aux Russes, et leur demander également des comptes sur leur immixtion dans les affaires syriennes ?

[23:44][A. B.] : La question de la reddition des comptes est une question complexe. Demander des comptes aux Russes et aux Iraniens, cela ne peut se faire que devant la Cour de Justice internationale, naturellement. En principe, cela est exclu en ce qui concerne la situation syrienne. En ce qui concerne Asmâ’ al-Assad, tout d’abord, il est évident que la demande de lui retirer sa nationalité exprime clairement une disposition d’esprit instaurée désormais chez le peuple britannique, qui est majoritairement hostile au régime Assad et refuse qu’il puisse exister un lien quelconque entre l’Occident et celui-ci, contrairement à ce que donnait à accroire le régime et Bashar al-Assad et sa famille, Assad se vantant d’être diplômé d’une université britannique et sa femme ne manquant pas de faire savoir qu’elle possédait la nationalité britannique. Bien que je sois très heureux de cette évolution, je pense que nous pouvons profiter, en tant que juristes, du fait qu’Asmâ’ al-Assad est citoyenne britannique pour porter plainte contre elle auprès de la justice britannique. Nous sommes en train de réunir des preuves de crimes qu’elle aurait éventuellement perpétrés : il ne suffit pas de l’accuser d’avoir couvert des criminels ou d’avoir fermé les yeux sur les crimes perpétrés par son mari. On ne peut accuser personne du fait que son mari soit un criminel. Mais nous nous efforçons de réunir des preuves selon lesquelles elle aurait perpétré personnellement des crimes, auquel cas nous pourrions l’attaquer devant la justice britannique. Cela serait un point important marqué pour la cause syrienne dans son ensemble. En ce qui concerne l’Iran, je pense que ce pays est dans une situation extrêmement inconfortable, le dos au mur. L’Iran redoute que la Russie ne le laisse tomber, voire qu’elle ne le vende, lui et le régime syrien. Par conséquent, nous allons vraisemblablement assister à une escalade des actions [militaires] de l’Iran dans la région. Mais à ce qu’il semble, l’annonce que Khameneï était mourant a eu un impact sur la situation intérieure iranienne et sur les décisions de politique intérieure iraniennes et nous espérons que cette disparition prochaine marque le début d’une évolution et d’un changement de la position iranienne sur la situation dans l’ensemble du Moyen-Orient. Il peut y avoir tous les jours des surprises. Personne ne sait…

[26:02][A. T.] : … Espérons qu’il s’agira de bonnes surprises, Pr. Anwar. Je remercie le Pr. Anwar al-Bunni, directeur du Centre syrien des études et des recherches juridiques, qui était avec nous depuis Berlin et je remercie également le professeur Mumtaz Suleïman, chercheur en droit international, qui était en notre compagnie en direct depuis Londres…