Les clignotants s’allument de toutes parts en Syrie – par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 30 janvier 2012

La centaine de morts faits par le régime dans les rangs des déserteurs organisés dans l’Armée Syrienne Libre et parmi la population syrienne, qui célébrait vendredi 27 janvier son droit à « l’auto-défense », ne signifie pas que le pouvoir syrien est en train, à force de violence, de reprendre la main et d’assurer son contrôle sur la situation en Syrie. Malgré les rodomontades du ministre de l’Intérieur qui a – encore une fois… – promis de « purifier » le pays et « d’éradiquer le terrorisme », il semble que Bachar Al Assad et son entourage voient leur autorité se réduire sur l’ensemble du territoire. Les signaux d’alerte se multiplient et les clignotants s’allument de toute part.

Carte des manifestations du vendredi 27 janvier 2012

Samedi 28 janvier, plusieurs centaines d’hommes ont fait défection dans le gouvernorat de Damas campagne. Parmi eux figurait le général Mohammed Khallouf, ancien chef des moukhabarat de la « branche Palestine », originaire du village de Asal al Ward, dont la population avait subi au cours des jours précédents des bombardements meurtriers. D’autres militaires ont fait de même à Rastan, Lattaquieh et ailleurs encore. Ils ont rejoint les rangs de l’Armée Syrienne Libre pour l’assister dans sa mission de protection de la population. A la tête de ses hommes, le général Khallouf aurait intercepté, dimanche matin, un cortège de voitures de la présidence qui conduisait à l’aéroport de Damas la mère du chef de l’Etat, Aniseh Makhlouf, sa femme, Asma Al Akhras, les enfants du couple présidentiel, et Rami Makhlouf accompagné de ses enfants. Le convoi est parvenu à faire demi-tour et à regagner la capitale. L’exode sera pour une autre fois.

La polémique concernant le nombre d’éléments de l’Armée Syrienne Libre apparaît de plus en plus stérile. Qu’ils soient 10 000 ou 40 000 compte peu devant les défis qu’ils posent au pouvoir en place. Ils font subir des pertes croissantes aux forces mobilisées par Bachar Al Assad pour prévenir une chute qui apparait fatale et pour tenter de repousser cette échéance en redoublant de férocité contre les populations. Selon les Comités Locaux de Coordination, il y aurait actuellement au seul bagne de Palmyre quelque 12 000 militaires détenus pour tentative ou velléités de désertion. 5 000 autres seraient répartis entre les diverses prisons du pays.

L’Armée Syrienne Libre. Vaincre ou mourir

Dimanche 29 janvier, l’armée du régime a pris position avec des chars et d’autres moyens mécanisés sur l’ensemble des places de la capitale. Ce pourrait être la réponse du pouvoir à l’annonce faite le jour précédent, par un porte-parole de l’ASL, que l’Armée Syrienne Libre se trouvait désormais à 5 km du centre de Damas et 8 km du palais de la Présidence. Ce déploiement n’a pas dissuadé des habitants de manifester de Salhiyeh à Cheykh Mouhieddin, sur les pentes du Qasioun, où ils se sont rendus au terme de la prière de la mi-journée pour participer aux funérailles d’un déserteur tué la veille. Selon les Comités Locaux de Coordination, des bombardements étaient audibles, ce même dimanche 29 janvier, à proximité de quartiers périphériques et de banlieues de la capitale : Qaboun, Jobar, Rankous, Maliha, Jisrin, Jisr Ghayda, Irbin, Kafr Batna, Saqba. La route menant de Bab Charqi, à la limite orientale de la vieille ville, en direction de la Ghouta était ce matin fermée au trafic.

Si le mouvement de défection reste peu significatif parmi les hauts fonctionnaires civils, dont certains n’ont pas de passeport et dont la plupart redoutent les représailles qui ne manqueront pas de s’exercer sur leurs proches en cas de fuite, un frémissement semble agiter les religieux sunnites. Selon Abdel-Jalil Al Saïd, ancien directeur du bureau d’information du cheykh Ahmed Badreddin Hassoun, un millier d’oulémas ont l’intention de se rendre bientôt au Caire pour demander au cheykh Ahmed Tayyeb, directeur de l’Université Al Azhar, de retirer ses diplômes au mufti général de la République, de lui dénier le droit de prononcer des avis juridiques et de lui interdire de participer à toute rencontre internationale. Ils entendent lui indiquer que, depuis le début du soulèvement en Syrie, 223 oulémas et hommes de religion ont été arrêtés, et que seuls 115 d’entre eux ont été relâchés. Plusieurs ont trouvé la mort en raison de leur engagement au côté de la révolution. Certains des cheykhs détenus par les services de renseignements ont affirmé que le mufti Hassoun avait assisté à leur interrogatoire et que, parfois, il y avait participé… les moukhabarat cherchant à impliquer l’intéressé pour prévenir toute tentative de retournement de sa part. Peut-être craignaient-ils que le double avertissement constitué par l’empoisonnement du mufti d’Alep, Ibrahim Al Salqini (le 6 septembre 2011), puis par l’assassinat de son propre fils, Sariya Hassoun, par des « terroristes armés » (le 2 octobre 2011), n’ait pas été suffisant.

Ahmed Badreddin Hassoun

Les protestataires syriens ont salué à travers tout le pays ce qui pourrait constituer la véritable entrée de la ville d’Alep dans la contestation. Vendredi 27 janvier, la seconde ville de Syrie et ses environs immédiats ont été le théâtre de plus de 22 manifestations de diverses ampleurs. Comme à son habitude, puisqu’il n’a toujours pas compris depuis le début de la contestation que la violence accroît le nombre de mécontents et radicalise le mouvement de protestation, le régime a répliqué par les armes à ces démonstrations, faisant une dizaine de morts et près de 70 blessés. Le lendemain, fidèles à la tactique utilisée auparavant à Daraa, Lattaquieh, Homs et partout ailleurs, avec les résultats calamiteux que l’on sait, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les cortèges funéraires. Le cycle manifestation -répression -funérailles -répression -funérailles… semble donc là aussi enclenché.

Outre les désertions, un autre danger guette les forces armées fidèles au régime. Le 9 janvier, le site Internet All4Syria avait publié le tableau d’avancement comprenant le nom des officiers promus et des nouvelles affectations au 1er janvier 2012. Ce document confidentiel lui avait été transmis par un officier supérieur, « acquis à la révolution mais ayant choisi de la servir en restant à son poste ». Il avait lui-même souligné dans un commentaire le caractère discriminatoire de ce mouvement. Il favorisait les officiers alaouites et ceux appartenant aux autres communautés minoritaires que courtise le régime, au détriment des officiers sunnites. Le même site a publié, le 13 janvier, un autre document émanant du même officier. Il soulignait, cette fois-ci, la situation d’anarchie qui régnait au sein de certaines unités de l’armée, de la police et des moukhabarat, où des groupes d’intérêt s’étaient constitués autour d’officiers, indépendamment de toute hiérarchie. Les commandants étaient court-circuités par des subalternes proches de Bachar Al Assad ou de son frère Maher. Personne n’était plus en mesure d’exiger de la discipline et d’imposer l’ordre. Profitant de ces circonstances, certains officiers avaient envoyé en mission certains de leurs subordonnés dont ils souhaitaient se débarrasser, sans leur préciser la nature exacte des dangers auxquels ils allaient se trouver confrontés ou, pire encore, en informant des dissidents de l’Armée Syrienne Libre du déroulement de leur mission. Leur mort brutale permettait au régime de confirmer la présence en Syrie de « groupes terroristes armés ».

Le même site rapporte que, signe de son inquiétude, Bachar Al Assad a procédé, au cours de la semaine écoulée, à la répartition des prérogatives du chef d’état-major, le général Dawoud Al Rajiha, entre les mains de ses trois adjoints : Asef Chawkat, Talal Tlass et Ibrahim Al Huseïn. Le but de l’opération était de faire en sorte qu’aucun haut gradé ne dispose de prérogatives suffisantes pour mener, s’il en avait l’envie, un coup d’état. Il s’est bien gardé en revanche de relever de ses fonctions désormais symboliques le général Al Rajiha, qui fournit une « couverture chrétienne » aux crimes commis par les forces du régime.

Dawoud Rajiha

Pour tenter de mater la révolution avant la fin de la première semaine de février, puisque au-delà le veto russe pourrait ne plus être suffisant pour interdire une mobilisation internationale contre la Syrie, le chef de l’Etat a également réparti le soin de coordonner les opérations militaires et sécuritaires entre quelques uns de ses officiers les plus fidèles. Le général Hasan Turkmani, directeur du Comité de crise, a été chargé de la supervision directe de toutes les opérations militaro-sécuritaires. Le général Jamil Al Hasan, directeur des services de renseignements de l’armée de l’air, a eu pour mission de poursuivre les activistes les plus influents dans la rue syrienne. Il a aussitôt donné l’ordre d’abattre ceux que ses hommes ne parviendraient pas à arrêter. Les cousins Rami Makhlouf et Hani Makhlouf ont reçu pour consigne d’apporter leur soutien financier à tous ceux qui appuient le régime. Quant à Hafez Makhlouf, chef d’un secteur des Renseignements généraux, il doit assurer la couverture médiatique des opérations militaires et sécuritaires. Il doit de même suivre les activités politiques et veiller à diffuser rumeurs et désinformations sur les opposants et les lieux des affrontements. Quant à Maher Al Assad et Asef Chawkat, ils ont pour mission de tenir à l’œil les dirigeants politiques et leur famille, à l’intérieur du pays, afin de prévenir toute fuite ou défection de leur part.

source: http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/01/30/les-clignotants-s%E2%80%99allument-de-toutes-parts-en-syrie/