Les djihadistes de l’Etat islamique reculent en Syrie Par Benjamin Barthe

Article  •  Publié sur Souria Houria le 9 janvier 2014

En Syrie, la pieuvre djihadiste est blessée mais elle n’est pas morte. « Da’ech », acronyme arabe de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), a subi de cuisantes défaites dans la guerre intestine qui l’oppose, depuis vendredi 3 janvier, aux brigades rebelles syriennes. Mais le conflit promet d’être encore long et violent. En Irak aussi, l’EIIL est sous pression : la ville de Fallouja, aux mains des combattants de Da’ech et de tribus hostiles au gouvernement de Nouri Al-Maliki, est assiégée par l’armée dans l’attente d’un assaut qui s’annonce sanglant. Quelque 13 000 familles ont déjà quitté Fallouja.

Des prisonniers exécutés dans l’un des hôpitaux d’Alep, en Syrie, par des djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), mercredi 8 janvier 2014. | MEDO HALAB/AFP

Bien qu’en déroute dans le nord de la Syrie, après la chute de son quartier général à Alep, le mouvement djihadiste n’est pas prêt à abandonner le champ de bataille, comme l’ont prouvé les déclarations de son porte-parole, Abou Mohamed Al-Adnani, appelant à « écraser » les « alliés des croisés et des juifs »« En tournant leurs armes contre une force déjà bien implantée, disposant de sources de financement visiblement solides et de réseaux de recrutement en provenance des quatre coins du monde, les rebelles syriens se sont forgés un ennemi qui va générer dans les années qui viennent une profonde instabilité », prédit Charles Lister, analyste au Brookings Doha Center, dans le magazineaméricain Foreign Policy.

Mercredi 8 janvier, les combattants djihadistes ont été délogés de l’hôpital pour enfants qu’ils avaient transformé en place forte, dans le quartier de Kadi Askar à Alep. L’assaut a été mené par le Front islamique, une alliance de brigades d’obédience salafiste, l’Armée des moudjahidin, une force d’inspiration islamiste modérée et le Front des révolutionnaires syriens, de tendance nationaliste. Ces trois mouvements sont à l’origine de l’offensive déclenchée vendredi contre l’EIIL, qui passait jusque-là pour la force militaire la plus puissante, dans les zones libérées du nord et de l’est de la Syrie.

COMBATTANTS ACCUSÉS DE « VOLER » LA RÉVOLUTION

Considérés initialement comme des alliés dans le combat contre la dictature Assad, ses combattants, souvent étrangers, ont vite été accusés de « voler » la révolution, du fait de leurs prétentions hégémoniques et des multiples actes de barbarie qu’ils ont commis.

Dans l’hôpital libéré d’Alep, les rebelles ont ainsi découvert les corps d’une quarantaine de prisonniers, dont au moins cinq militants révolutionnaires et vingt et un combattants, que les anciens maîtres des lieux ont exécutés dans leur fuite. Selon Charles Lister, qui s’appuie sur un décompte dressé par des militants de l’opposition, l’EIIL a perdu le contrôle de 24 localités sur les 40 où des affrontements ont éclaté. Difficile cependant de distinguer dans ce mouvement de reflux les véritables défaites des simples replis tactiques.

Les assaillants espèrent encore s’emparer d’Adana (province d’Idlib) et de Rakka, à l’est, dont l’EIIL avait fait sa capitale. Dans cette dernière, les combats sont menés par le Front Al-Nosra, la branche officielle d’Al-Qaida en Syrie, composée d’insurgés en majorité syriens, appréciés pour leur discipline et leur ardeur dans la lutte contre les forces pro-Assad.

Restée à l’écart des hostilités dans beaucoup d’autres provinces, cetteformation djihadiste a rejoint l’attaque anti-EILL à Rakka, dans l’espoir dereconquérir la position de force qui était la sienne, en mars – lorsque la ville était tombée aux mains de l’insurrection –, avant que l’EIIL ne l’en évince.

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Dans un communiqué audio diffusé mardi, le chef d’Al-Nosra, Abou Mohamed Al-Joulani, a tendu la main à son rival, en proposant un cessez-le-feu et la création d’un tribunal islamique, destiné à trancher les disputes. Le Front pourrait sortir renforcé de la confrontation en cours, en récupérant dans ses rangs une partie des troupes en débandade de l’EIIL. Il semble que ce soit déjà le cas dans le sud d’Alep, où une centaine de ses hommes se sont rendus à Al-Nosra, qui leur offre l’amnistie.

Quelques heures plus tard, dans un message sur Internet, le porte-parole de l’EIIL, Al-Adnani, promettait « l’anéantissement » à ses ennemis, mais se montrait moins agressif à l’égard d’Al-Joulani, à qui il demandait simplement : « Qui vous a poussé à vous battre contre nous ? » Une tactique destinée àfissurer l’union à laquelle l’EIIL est confrontée et à lui redonner une marge de manoeuvre sur le terrain.

« SEULE L’OPPOSITION LUTTE RÉELLEMENT CONTRE LE TERRORISME »

Dans les milieux proches de la Coalition nationale syrienne (CNS), on insiste sur le fait que l’ouverture de ce nouveau front est une étape positive, contrairement aux assertions du régime, qui y voit une nouvelle manifestation du morcellement de la rébellion. « La débâcle de Da’ech est un soulagement pour le peuple, déclare Marouan Abou Omar, un activiste de la société civile, joint par Skype, dans la banlieue d’Alep. Ses membres régnaient par la terreur. Les attaques des derniers jours démontrent que seule l’opposition lutte réellement contre le terrorisme. »

Au sein de l’opposition, personne ne se risque cependant à décréter la victoire finale sur l’EIIL. La façon dont le paysage politique des zones libérées va serecomposer fait l’objet d’intenses spéculations. « Le Front Al-Nosra devrait tirerson épingle du jeu à Rakka, mais à Alep, c’est le Front islamique et l’Armée des moudjahidin, qui est formée de combattants quasi exclusivement alépins, qui vont l’emporter », assure un cadre de la CNS, sous couvert d’anonymat.

A court terme, l’EIIL pourrait se replier sur Deir ez-Zor, l’un de ses bastions, dans l’est de la Syrie, qui résiste pour l’instant aux attaques des rebelles. Facile à ravitailler depuis la province sunnito-irakienne de l’Anbar, le berceau de l’EIIL, cette localité pourrait lui servir à la fois de sanctuaire et de tremplin pour repartirà l’assaut de ses ennemis syriens. « J’ai peur que ça n’en finisse jamais, que des voitures piégées se mettent à exploser un peu partout dans nos villes, dit Marouan Abou Omar. Tout le monde se bat contre tout le monde alors que le régime continue à nous bombarder. La vérité, c’est que nous sommes perdus. »

Source : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/01/09/les-djihadistes-de-l-etat-islamique-reculent-en-syrie_4345135_3218.html