Les Kurdes, les oubliés du conflit ? par Amir Sharifi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 11 août 2013

Après avoir été blessé lors d'un bombardement à Alep, un homme kurde est soigné dans l'hôpital d'Afrin, le 9 avril 2013. (Photo AFP/ Dimitar Dilkoff)

Un éditorialiste du journal du Kurdistan irakien Rudaw s’inquiète du silence de la communauté internationale face aux violents combats qui opposent les Kurdes du nord de la Syrie à des djihadistes.

Les grands médias occidentaux sont très rares à se faire l’écho des violences religieuses dont sont victimes depuis plusieurs semaines les Kurdes du nord de la Syrie (« Rojava » pour les Kurdes à savoir le Kurdistan de l’ouest – la zone ethnique du Kurdistan est divisé entre quatre pays, Iran, Irak, Turquie, Syrie). Il est pourtant notoire que les groupes armés affiliés à Al-Qaida ont ouvert un nouveau front pour revenir sous les projecteurs au Moyen-Orient.

Selon des médias kurdes et l’Observatoire syrien des droits de l’homme(OSDH), les milices du Front Al-Nosra et celles de l’Etat islamique en Irak et au Levant mènent des sièges et des offensives contre les comités de protection du peuple kurde (YPG, milice kurde) et tuent, kidnappent, dépouillent, séquestrent et torturent des civils comme des combattants.

Comme l’annonçait l’OSDH le 31 juillet, « des hommes du Front Al-Nosra et de l’Etat islamique en Irak et au Levant ont ainsi pris le contrôle du village de Tall Aren, dans la province d’Alep, et ils assiègent déjà un autre village de la zone, Tall Hassel (…). Ils ont pris en otages environ 200 habitants des deux villages, tous des civils. »

Cette vague de brutalités remonte en fait à l’hiver dernier, quand des djihadistes équipés d’armes lourdes ont lancé une attaque sur la ville de Sere Kaniye (Ras Al-Ain en arabe [à la frontière turco-syrienne]), où ils ont fait de nombreuses victimes et pris un grand nombre d’otages. Depuis le 18 juillet, cette guerre de terreur s’est intensifiée, semant le pillage, la destruction et la mort.

Le rôle déterminant de la Turquie

Des éléments incontestables viennent prouver que des groupes tels que la brigade Ahfad Al-Rassoul, une unité de l’Armée syrienne libre, bénéficient de soutiens militaires et financiers du Qatar. En ne condamnant pas ces attaques, la Coalition nationale syrienne et l’Armée syrienne libre se montrent complices de ces crimes. Le Front Al-Nosra, de son côté, reçoit une aide militaire et logistique de la Turquie [ce que démentent les autorités turques].

Mais alors que Saleh Moslim, le chef du Parti de l’union démocratique kurde (PYD, branche syrienne du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan basé en Turquie et à tendance séparatiste), vient d’être invité officiellement à Istanbul en vue de négociations sur l’autonomie kurde et sur le rôle de la Turquie et ses intérêts dans le conflit syrien, il se pourrait bien que la Turquie soit en train d’effectuer un « virage à 180 degrés« , pour reprendre l’expression utilisée le mois dernier par le journaliste turcCengiz Çandar. Ankara pourrait infléchir sa politique à l’égard des Kurdes de Syrie, revoir ses relations avec l’ensemble des Kurdes mais aussi veiller à prendre ses distances avec des groupes proches d’Al-Qaida.

Et cela pourrait conduire la Turquie à faire pression sur la Coalition nationale syrienne pour qu’elle reconnaisse une représentation kurde et recentre sa lutte contre le régime syrien.

Dans une situation difficile aggravée par la crise sans cesse plus grande que traverse la Syrie, menacés par des milices brutales de djihadistes islamistes, cernés par un blocus économique, les Kurdes vont avoir du mal à s’en sortir sans une aide humanitaire ou, à tout le moins, le soutien moral des Occidentaux dans leur combat contre les groupes affiliés à Al-Qaida et les fanatiques religieux.

Après ces attaques sauvages, force est de se demander pourquoi les Etats-Unis, l’Union européenne et l’ONU refusent d’ouvrir vraiment les yeux sur cette réalité cruelle et terrifiante. Les droits de l’homme des kurdes ne sont-ils pas bafoués par les forces les plus obscures qu’on ait jamais vues ? Comment se fait-il que les Kurdes soient laissés à leur sort face à des cannibales qui n’ont aucun principe moral, sinon leurs dogmes aveugles et obsolètes et leur nihilisme, contraires au droit à la vie, à la démocratie et à la liberté ?

Les Kurdes de Syrie, comme d’autres communautés ethniques et religieuses, sont en droit de se demander pourquoi aucune voix ne s’élève, pourquoi aucune mesure n’est prise pour condamner les violences systématiques de ces milices.

Jusqu’à présent, les Occidentaux ont mis leurs pas dans ceux de la Turquie. Les Kurdes n’attendent pas des Occidentaux ni de leurs voisins qu’ils leur apportent les droits de l’homme. Ils savent ce que représentent ces droits et se sont attelés de longue date à préparer le terrain à une société civile et démocratique, envers et contre tout, et en dépit des lacunes de leur propre mouvement social et nationaliste.

Ils espèrent seulement que la communauté mondiale des droits de l’homme comprenne la situation difficile et les aspirations qui sont les leurs.

De plus en plus de violences religieuses

C’est le spectre du nettoyage ethnique et des violences religieuses qui plane aujourd’hui sur des dizaines de milliers de Kurdes et d’autres minorités. Comme l’a montré le cruel précédent irakien [attaques chimiques menées par Saddam Hussein contre les Kurdes], cela aurait des répercussions dramatiques bien au-delà des frontières syriennes.

Il est inquiétant de voir que l’expansion des violences religieuses commises par les islamistes ne préoccupe guère la communauté internationale. Au lieu d’accorder leur soutien et de chercher à plaire à des forces religieuses ultraconservatrices qui s’alignent sur l’Arabie saoudite et le Qatar, les démocraties occidentales devraient faire preuve de plus de nuance et contribuer au processus de démocratisation de la Syrie en appelant, pour l’après-Assad, à la reconnaissance et à l’intégration de ces minorités religieuses, ethniques et linguistiques dont les demandes sont parfaitement fondées.

C’est là un impératif moral et une nécessité politique pour les Occidentaux : défendre les droits de l’homme et les libertés civiles des Kurdes, qui se consacrent à la construction de leurs institutions et d’une démocratie laïque encore balbutiante, aux antipodes de la férule autocratique de Bachar El-Assad et des fanatiques barbares et sanguinaires d’ici et d’ailleurs.

 

Note :Amir Sharifi est président de la Kurdish American Education Society à Los Angeles
source : http://www.courrierinternational.com/article/2013/08/09/les-kurdes-les-oublies-du-conflit?page=all
date : 09/08/2013