Les Occidentaux doivent enfin armer les démocrates syriens – Par Bassma Kodmani

Article  •  Publié sur Souria Houria le 26 juin 2013

 

Après l'accord européen de lundi sur la levée de l'embargo sur les armes en Syrie, la majorité des gouvernements européens ne savent toujours pas où se trouve leur intérêt. | AFP/Ricardo Garcia Vilanova

A la tragédie humaine qu’endurent les Syriens s’ajoute la souffrance de voir le récit de la réalité largement déformé. Le régime de Bachar Al-Assad continue de consacrer un budget considérable à sa propagande médiatique et cible notamment les pays occidentaux. A défaut de pouvoir encore susciter des soutiens, il s’emploie à faire peur. La Russie et laChine paralysent depuis deux ans le Conseil de sécurité sur la question syrienne à coups de veto, tandis que le régime se charge de paralyser la décision des pays dits amis de laSyrie en brandissant l’épouvantail du « tout islamique ». Depuis plus d’un an, Européens et Américains répètent : « Livrer des armes ? Nous sommes prêts à le faire si seulement nous savions à qui les livrer ! »

Le débat est pour le moins mal engagé. Il ne devrait pas tourner autour de la nature de l’aide, mais plutôt de l’identité des bénéficiaires. S’il n’y a plus que des extrémistes en Syrie, comme le prétend le régime, alors pourquoi leur fournir une aide quelconque, même non létale ? L’Europe, les Etats-Unis et les pays dits « amis de la Syrie » ne peuvent avoir unepolitique cohérente sans identifier clairement des partenaires sur lesquels parier pour l’avenir. Pour cela il faudrait commencer par reconnaître clairement un certain nombre de réalités.

Admettre d’abord que, depuis que la révolte s’est militarisée, ce sont les sources de financement et les conditions qui y sont attachées par les bailleurs de fonds qui façonnent le paysage de la résistance, et non l’inverse. La révolution syrienne n’est pas devenue islamiste, mais elle a été financée essentiellement par des sources islamistes identifiées.

Une fois qu’un groupe a pris les armes, il lui faut trouver coûte que coûte des munitions et de la nourriture pour ses combattants qui affrontent la mort. Dans l’incapacité d’entretenirleur bataillon, les officiers de l’armée libre se voient souvent abandonnés par leurs troupes, qui rejoignent des groupes plus radicaux car ils sont plus nantis.

Admettre ensuite que l’absence de moyens a affecté la stratégie même de l’Armée syrienne libre (ASL). Les attentats et les attaques-suicides contre des cibles militaires et sécuritaires sont devenus le seul moyen de progresser dans une guerre asymétrique. C’est en cela que les djihadistes excellent. Ils sont en fin de compte une arme en eux-mêmes. A l’intérieur de cette asymétrie s’est installé un autre déséquilibre entre brigades financées par des sources islamistes et celles qui ont résisté à cette attirance.

Celles qui n’ont pas accepté les financements islamistes sont nombreuses et ont leurs racines au sein de la société : certaines sont encadrées par des militaires sans idéologie politique, d’autres ont un ancrage politique clair, de gauche ou de droite, et comptent des non-musulmans dans leurs rangs ; d’autres encore sont de simples habitants organisés au niveau d’une localité, sans couleur politique. Une étude en cours les recense et montre qu’elles sont présentes partout.

Pousser à l’unification des rangs de l’Armée syrienne libre sans donner aux brigades démocratiques des moyens risque de consacrer l’hégémonie des brigades islamistes. Il est évident que le front commun s’impose contre le régime. Dotées de moyens, les forces démocratiques seraient en situation de coopérer sur un pied d’égalité avec les islamistes au lieu d’être à la merci de ces derniers. La formation du Conseil militaire suprême (CMS) était incontestablement un progrès. Mais son chef, Selim Idriss, reconnaît lui-même que ce conseil n’est qu’une structure de coordination et que ce sont les commandants qui forment le haut commandement militaire qui sont en contact avec les groupes sur le terrain.

Récemment, un groupe d’officiers membres du haut commandement militaire de l’état-major ont annoncé la formation d’un Front des Syriens libres. En cours de préparation depuis plus de trois mois, ce front se place clairement sous l’autorité du CMS. Il regroupe une centaine de bataillons (kataeb) et de brigades triés sur le volet, qui ont souscrit à un code de conduite dans lequel ils s’engagent à respecter les conventions internationales en matière de protection des droits de l’homme et déclarent leur adhésion à une Syrie démocratique et pluraliste. Le Front des Syriens libres regroupe près de 10 000 hommes et s’enorgueillit decompter dans ses rangs des membres, y compris des chefs de brigade, issus des différentes minorités du pays. Ceux-là s’engagent à se soumettre à une autorité civile et peuvent être convaincus de respecter un compromis politique et de faire respecter un cessez-le-feu.

Depuis son annonce à la fin mai, le front se voit approché par des milliers de combattants qui voudraient se joindre à lui. Il s’est constitué autour de principes communs, mais il manque de tout. Cela va de la nourriture pour les familles des combattants jusqu’au matériel militaire avancé.

En annonçant leur intention d’armer les insurgés, les pays occidentaux donnent enfin les moyens aux forces de la révolution d’arrêter la progression de l’armée du régime et de ses alliés du Hezbollah, d’Iran et d’Irak. Mais leur action ira bien au-delà, car ils seront en position d’agir à plusieurs niveaux. A la source, sur les pays de la région pour leur signifierque le financement du courant islamiste effraie un nombre grandissant de Syriens et retarde la chute d’Assad ; à la base, sur les brigades elles-mêmes, pour renforcer celles qui portent le projet démocratique ; enfin, sur les pays qui protègent encore le régime, la Russie en tête, pour les convaincre du fait que les pays occidentaux ont une vraie politique vis-à-vis de la crise syrienne, à un moment où l’absence d’action décisive menace d’une débâcle irréversible toutes les sociétés du Moyen-Orient.

Bassma Kodmani (Directrice du centre Arab Reform Initiative et cofondatrice de l’Initiative pour une nouvelle Syrie, elle fut membre du bureau exécutif du Conseil national syrien, dont elle démissionna en août 2012)

 

Par Bassma Kodmani (Directrice du centre Arab Reform Initiative et cofondatrice de l’Initiative pour une nouvelle Syrie, elle fut membre du bureau exécutif du Conseil national syrien, dont elle démissionna en août 2012)

source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/06/25/les-occidentaux-doivent-enfin-armer-les-democrates-syriens_3436551_3232.html?xtmc=syrie&xtcr=2

date : 25/06/2013