Lettres de Syrie (28) – de Joumana Maarouf – présentées par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 30 avril 2014

29 décembre 2013

Chère amie, bonjour,

Recherché par le régime, le fils de l’une de mes amies n’était pas, comme on le croyait, dans les rangs de l’Armée libre. Il combattait dans ceux du Front al-Nosra. Cela m’aurait probablement incitée à m’éloigner d’elle, si son fils n’avait pas été tué hier, avec des dizaines d’autres, dans une embuscade où des traîtres les avaient attirés. Elle a ainsi perdu son deuxième enfant. Le premier était déjà mort en prison.

Je ne vais pas te relater pourquoi et comment il a été tué. C’est une trop longue histoire. Ce que je veux te raconter ici, c’est comment la nouvelle a été transmise à sa mère. Quand son portable a sonné, elle se trouvait dans la salle d’attente bondée d’un médecin. « Appelle Ala’ », lui a dit sa belle-fille, « il y a quelqu’un qui utilise son téléphone ».

Sur le coup elle n’y a pas accordé trop d’importance, d’autant qu’au même moment on l’invitait à passer dans le cabinet du médecin. Mais sa belle-fille l’a rappelée pour insister. L’affaire paraissait grave. Elle a donc composé le numéro de son fils. La sonnerie a retenti, et une voix inconnue a répondu.

– C’est le portable de mon fils. Qui est à l’appareil ?

– Ton fils ?

– C’est son portable. Qui est à l’appareil ? Où est-il ?

– Pour combien tu l’achètes, ton fils ?

– Tout ce que vous voulez, mais passez-le moi, pour que je lui parle.

– Tu peux pas lui parler, on l’a crevé.

– Ne dîtes pas ça, je vous en prie…

– Tu m’as pas répondu ! Tu l’achètes combien ?

– Je vous donnerai tout ce que j’ai. Mais laissez-moi lui parler, que Dieu vous garde !

– Je t’ai déjà dit : c’est plus qu’un cadavre. T’as déjà parlé à un cadavre ? Combien tu l’achètes ?

Oum Ala’ s’est effondrée sur le sol. Sa plainte s’est élevée dans tout le bâtiment. Les malades et le médecin se sont attroupés autour d’elle. Quand elle s’est rendu compte de leur présence, elle a vu leurs visages en pleurs.

Elle a coupé la communication. Elle s’est reprise. Elle s’est relevée. Accompagnée par un flot de formules – « Dieu te donne la patience », « Dieu soit avec toi »… -, elle s’est dirigée vers la sortie. Elle a fait quelques pas dans la rue, puis s’est souvenue du téléphone.

A nouveau, la voix inconnue a retenti.

– Je vous vous en prie, je veux lui parler.

– Imbécile ! Tu veux toujours parler au cadavre ? Il est par terre devant moi. Si tu le veux, achète-le !

Oum Ala’ s’est tue un moment, puis elle a rétorqué :

– S’il est vraiment mort, c’est un martyr auprès de Dieu. Et son cadavre, fais-en ce que tu veux, car son âme est maintenant au ciel.

– De quel ciel tu parles, la vieille ? On a crevé ton fils parce que c’était un terroriste !

– Mon fils est un martyr.

– Ton fils est une charogne, pas un martyr !

– Mon fils est un martyr ! Youyouyouyouyouyouyouyouyou !

D’une voix brisée, elle s’est mise à lancer des youyous. L’homme l’insultait à l’autre bout du fil, et les passants, dans la rue, la prenaient pour une folle. Puis elle a pris un taxi et elle est rentrée chez elle.

Quand je lui ai demandé pourquoi elle avait fait cela, elle m’a répondu : « Je ne voulais pas qu’il savoure mon malheur ».

Le cri d'une femme (Ahmed Ali)Le cri d’une femme
(Ahmed Ali)

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4 février 2014

Ma chère amie, je te salue.

Hier soir j’ai dormi chez une amie à Doummar. A deux heures du matin on a entendu du vacarme. Des coups étaient frappés aux portes de maisons du quartier. Mon amie a regardé par la fenêtre. Un soldat l’a invectivée : « Toi là-bas, rentre tout de suite » ! Ils fouillaient les maisons. On ne savait pas ce qu’ils cherchaient. J’ai eu très peur. Je ne savais pas quoi faire d’autre que d’attendre le tour de notre appartement. On s’est habillées, et on s’est préparées à une arrestation certaine. Mais ils n’ont pas frappé à notre porte. Mon amie a regardé à nouveau par la fenêtre, et les a vus emmener un jeune garçon et un homme dans la quarantaine. Le lendemain, on a demandé autour de nous la raison de cette arrestation. On a compris que les militaires étaient à la recherche de tagueurs.

Tu ne sais sans doute pas qu’à Damas et dans les banlieues de la capitale encore sous le contrôle du régime, on a ordonné aux commerçants de peindre les portes de leurs boutiques aux couleurs du drapeau : une bande noire en bas, une bande blanche au milieu et une bande rouge en haut, avec deux étoiles vertes au milieu de la bande blanche. Cette nouvelle mesure aurait pu passer, à la rigueur, si elle n’avait pas coïncidé avec la campagne électorale menée par certaines institutions gouvernementales et quelques syndicats pour « supplier » Bachar de se représenter à la présidentielle ! Elle aurait pu passer si ce drapeau n’était pas devenu le symbole d’une catégorie bien définie de Syriens, ceux qui ouvrent le feu sur des civils syriens. Ce drapeau est accroché aux barils de dynamite lâchés par les avions sur Alep. Ce drapeau, tel un feu rouge ou un épouvantail, surplombe les check-points où les jeunes gens sont humiliés et arrêtés pour les motifs les plus futiles. On le voit aussi sur les chars qui bombardent les villes, sur les missiles, les douchkas, les casques des soldats, etc. A Damas, même les microbus doivent maintenant arborer cet étendard sur leur capot. Mon directeur m’a vertement tancée un matin parce que j’étais « arrivée trop tard pour saluer le drapeau ». Que te dire de plus ?

Certains adolescents de Doummar n’ont pas apprécié l’apparition des couleurs du régime sur les portes des magasins. D’autant que leur parviennent des nouvelles de leurs frères et de leurs pères, qui, emprisonnés à la « section 215 », meurent quotidiennement sous la torture. Ils ont tagué « liberté » et « le peuple veut la chute du régime » sur le blanc du drapeau. Les jeunes gens qui, il y a un an, avaient écrit les mêmes slogans sur les murs de Doummar, sont probablement tous morts. Les uns en prison. Les autres, qui avaient pris les armes, au cours de batailles. Voici maintenant une nouvelle génération. Elle a grandi en l’espace d’une seule année. Les enfants de Syrie grandissent aujourd’hui à la même vitesse que les événements. Une génération est décimée. Une autre se lève pour continuer. J’ai constaté ce phénomène de mes yeux dans la plupart des régions éprouvées par la violence du régime.

Dans leur recherche des « tagueurs terroristes », les militaires ont arrêté le propriétaire de la papeterie qui vend de l’encre et des stylos. Ils ont aussi arrêté son frère. Puisqu’il est calligraphe, c’est peut-être lui le criminel…

Le jour suivant, le blanc des drapeaux avait été recouvert d’une couche de peinture noire. Une couleur sale, jetée à la hâte par des mains coléreuses.

Ils sont sidérés par la persistance de nos slogans.

"La révolution, c'est un sacrifice et non un gain" (Tag sur un mur à Alep)« La révolution, c’est un sacrifice et non un gain »
(Tag sur un mur à Alep)

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5 mars 2014

Bonsoir, ma chère amie.

Depuis que je suis ici, je n’arrive plus à écrire. Je ne parviens à rassembler ni mes pensées, ni mes affaires. J’ai deux vies. Une à Damas. Une autre dans cet endroit calme où j’ai emménagé avec mes enfants. Ils sont arrivés avant moi, au début de l’année scolaire. C’était une décision difficile. Mais en dernière instance, j’ai choisi ce qu’un de mes amis appelle « les évidences vitales » : j’ai opté pour la sécurité de mes enfants. Toutefois, je ne te cacherai pas que je me heurte chaque jour à des situations qui sont à deux doigts de me faire perdre l’esprit.

Bien que la ville soit calme, il règne dans la nouvelle école de mes enfants une tension et une violence qui la font ressembler à toutes les autres écoles du pays. Je ne parviens pas à me libérer de la peur que j’éprouve pour les miens. Au contraire, elle augmente quotidiennement. Il y a deux jours, un élève a soudain brandi un couteau et tranché la gorge d’un de ses camarades, qui a failli mourir. Tout le monde s’est répandu en accusations contre les déplacés nouvellement arrivés. De fait, le garçon qui a commis cet acte vient de la banlieue de Damas. Il est arrivé ici avec sa famille pour fuir la violence. Ses nouveaux camarades n’ont pas tardé à l’accuser d’être sale, arriéré, terroriste… Ils l’ont harcelé à longueur de journées. Ils l’ont traité avec arrogance. Au bout d’un moment, à bout de nerf, il a pris un couteau de cuisine. Il a bien failli égorger son camarade.

Dans le jardin qui jouxte l’école, des dealers se livrent à leurs trafics. Le commerce de la drogue est le seul qui n’ait pas souffert de la guerre. Au contraire, en l’absence de surveillance, il a véritablement explosé. Or la région dont je te parle, celle où je suis, est considérée comme une région sûre ! La plupart de ses habitants sont des « loyalistes ». A vrai dire, ce mot ne les définit pas correctement. Il vaudrait mieux les appeler : « Ceux qui haïssent tout opposant au régime ». Ici, au premier abord, on a l’impression d’être hors de Syrie. Mais peu de temps suffit pour se rendre compte qu’il s’agit d’une illusion. Comme ailleurs, des jeunes gens de la région meurent chaque jour. Les voitures qui apportent les nouvelles de leur « mort en martyr au combat », le plus souvent sans ramener leur cadavre, déclenchent de terribles tintamarres : chansons patriotiques et coups de feu tirés en l’air.

On raconte beaucoup d’histoires à propos de nouvelles mensongères. On assiste, par exemple, à « l’enterrement » d’un soldat tombé en martyr, et quelques jours plus tard il téléphone à sa famille. Il est arrivé qu’on organise des condoléances dans une maison, mais que la mère de famille refuse de recevoir ces condoléances. Elle avait, dit-elle, vu son fils en rêve, et il lui avait annoncé qu’il était toujours vivant. Tout cela se produit car il n’y a pas de corps. Même lorsqu’un cercueil arrive, il est interdit de l’ouvrir pour voir qui est allongé à l’intérieur. La terre l’engloutit immédiatement et l’histoire s’arrête là. Mais l’imagination, elle, ne s’arrête pas…

J’ai peu entendu ici des formules telles que : « Tout est de la faute de ceux qui veulent la liberté », comme c’était le cas à Damas. Les choses se passent différemment. L’opposition souffre d’une totale désaffection, y compris parmi les couches populaires. L’Etat est toujours présent, et personne ne se risque à prononcer le mot « liberté », même dans un sens négatif, même avec la haine de ce soldat, le pied sur la nuque d’un homme allongé par terre, et hurlant, dans une vidéo devenue tristement célèbre : « Prends ça ! C’est pour la liberté ! »

Ici, ce mot de « liberté » ne se prononce tout simplement pas. La peur s’est emparée des gens à un point que j’étais loin de pouvoir imaginer. Je marche dans la rue, et je me trouve nez à nez avec des combattants de « l’Armée de défense nationale » : le vendeur de légumes, le boulanger, le vendeur de cigarettes au coin de la place, le fonctionnaire, mes collègues de travail… Tous sont prêts à attaquer au premier commentaire sur la situation, quel qu’il soit. La seule solution est de feindre d’ignorer ce qui se passe dans le pays. Ils ignorent, ils nient, ils refusent d’écouter. J’aurais souhaité que l’un d’entre eux me demande, ne serait-ce que par curiosité, d’où je venais, où j’habitais auparavant, pourquoi j’avais déménagé pour m’installer chez eux. Ils font semblant de ne pas s’intéresser à tout cela, parce que le simple fait d’écouter est un crime.

Tous les jours je me demande : « Le jour où on a crié : « Un, un, un, le peuple syrien est un ! » a-t-il vraiment existé ou n’était-ce qu’une illusion » ?

En vérité, chaque Syrien est aujourd’hui plusieurs. La schizophrénie est une maladie largement répandue parmi nous.

Je vais devoir te rapporter désormais des expériences totalement nouvelles, en provenance d’une « région sûre » dont les habitants appartiennent aux minorités que le régime prétend protéger. Ils sont prisonniers de leurs peurs de « minoritaires ». Elles les rendent semblables à l’autruche qui enfouit sa tête dans le sol pour ne rien voir.

L'horloge de Amouda dont les aiguilles signalent la destruction de toutes les villes, les unes après les autresL’horloge de Amouda dont les aiguilles signalent la destruction de toutes les villes, les unes après les autres

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12 mars 2014

Je ne saurais te dire aujourd’hui bonjour. Ils ont tué mon ami Marwan al-Hasbani !

Tous les habitants d’Achrafiet Sahnaya avaient entendu les coups frappés avec brutalité contre sa porte. Ils portaient des vêtements militaires, et arboraient tout leur harnachement. En un éclair, ils s’étaient dispersés dans toute sa maison. Ils avaient cassé, piétiné, vandalisé tout ce qui leur tombait sous la main, puis ils l’avaient poussé dans l’escalier. Ils bourraient de coups de botte cet homme dans la cinquantaine, bon et pacifique. Sa femme et ses enfants hurlaient. Les voisins regardaient par l’œilleton de leur porte ou depuis l’embrasure de leurs fenêtres.

Marwan était originaire de Souweïda, une ville habitée principalement par la minorité druze, dont le régime prétend assurer la protection contre Da’ech (l’acronyme arabe de l’Etat Islamique en Irak et au Levant) et les groupes qui lui sont apparentés. Marwan était un modéré. Il était aimé de ses amis, de ses collègues, de ses voisins. Mais comme on dit, « l’œil voit tout mais le bras est court ». Aucun de ses voisins n’avait osé demander à ces hommes pourquoi ils l’emmenaient et pourquoi ils le rouaient de coups devant sa femme et ses enfants, au lieu d’attendre d’arriver au siège des services de renseignements… Les chambres de torture ne servent plus à arracher des informations. Aujourd’hui, on torture pour la torture. Pour « éduquer » les gens d’une région. Pour « donner une leçon » aux gens d’un quartier. Pour humilier les familles. Pour que ceux qui continuent à croire en un combat pacifique quittent la Syrie. Pour qu’ils meurent.

L’une de mes voisines m’a raconté qu’elle avait uriné de peur dans ses vêtements en regardant la manière dont ils le passaient à tabac avant de le pousser dans leur voiture.

Marwan avait été arrêté le 17 février. Et aujourd’hui, le 12 mars, ils ont téléphoné à sa famille pour leur demander de venir récupérer son cadavre à l’hôpital de Harasta. La famille a demandé qui avait amené le cadavre à cet hôpital. Ils n’ont reçu aucune réponse. Personne ne sait rien aujourd’hui en Syrie, tout simplement parce qu’on ne peut pas demander. Comme on dit, « l’œil ne peut rien contre l’aiguille ».

Dans la voiture où ils avaient jeté Marwan, il y avait aussi Nasser Boundouq, qui est également originaire de Souweïda, l’avocate Jihane Amine, originaire de la ville à majorité ismaélienne de Salamieh, et Ranim Maatouq, la fille de l’avocat chrétien Khalil Maatouq, lui-même détenu depuis un an et demi. Quatre syriens issus de trois confessions minoritaires, convaincus par le combat pacifique et l’engagement dans la société civile, avaient été tirés de leurs maisons à Sahnaya, menottés, humiliés, passés à tabac… Aujourd’hui, Marwan est revenu à Sahnaya sous forme de cadavre. Il était défiguré au point d’en être méconnaissable. Personne ne l’a photographié à cause du choc, de la surprise, de la peur, mais surtout parce que, à la porte de l’hôpital militaire de Harasta, les soldats ont confisqué la carte mémoire des téléphones de ceux qui étaient venus récupérer sa dépouille.

Quand ses proches sont arrivés à l’hôpital, on les a tout de suite faits descendre à la morgue. L’odeur y était pestilentielle. Un responsable a fait ouvrir un réfrigérateur. « C’est lui ? » Ils ont acquiescé. Il a alors jeté le cadavre par terre. Ils lui ont demandé un drap ou une couverture pour l’emmener jusqu’à la voiture. « Il n’y a rien, débrouillez-vous », se sont-ils entendu répondre. Ils ont emporté le corps et l’ont déposé sur la banquette arrière. Ils l’ont recouvert d’une vieille couverture qui se trouvait par hasard dans le véhicule, et sont partis en silence. Ils avaient repris leurs téléphones à la porte de l’hôpital. Soudain l’un d’eux a sonné. La sonnerie avait été modifiée. En examinant les appareils, ils ont constaté que les cartes mémoires ne s’y trouvaient plus. Chacun a alors essayé de se rappeler s’il avait oublié sur la carte quelque chose de compromettant. Ils ont eu tellement peur des informations qui pouvaient s’y trouver qu’ils en ont oublié le cadavre de leur proche, de leur ami Marwan, défiguré et profané, sur la banquette arrière.

Cela faisait longtemps qu’on n’avait plus entendu dire qu’un service de renseignements rendait aux siens le cadavre d’un détenu. Quand une famille était convoquée pour « récupérer son fils », cela signifiait réceptionner sa carte d’identité, ses effets personnels et un certificat de décès. Dans ce cas précis, ils ont modifié la règle. Ils leur ont permis de le voir. Ils tiennent à ce que les habitants de Sahnaya, qui appartiennent pour la plupart à des minorités, voient la manière dont ils châtient. Tout comme ils avaient voulu qu’ils assistent à l’arrestation.

Aux condoléances, les femmes chantaient à la manière des Druzes une mélodie à fendre les pierres. J’écoutais. Je pleurais. La peur saisissait le cœur des hommes. La place était remplie de soldats et d’agents de sécurité. Il tombait des trombes d’eau, comme ce n’était jamais arrivé tout au long de cet hiver.

Le soir, j’ai vu Bachar al-Assad à la télévision. Il exprimait sa brûlante compassion aux déplacés de la ville d’Adra. Il les embrassait, et ils lui rendaient ses baisers. Il demandait à une fillette comment son père et ses frères avaient disparu. Puis il est reparti sans s’attarder, entouré de ses hommes qui arboraient tous de larges sourires. Je regardais le visage de ces gens qui avaient perdu leur maison et le contact avec leurs proches. Le Front al-Nosra et l’Armée de l’Islam avaient occupé la zone ouvrière d’Adra. Ils avaient perpétré des massacres contre ceux qu’ils qualifient de « collaborateurs du régime » et de « chabbiha« . C’est la même prétendue Armée de l’Islam qui avait arrêté Rezan Zeytouneh et Samira Khalil, sous le prétexte qu’elles n’auraient « pas respecté les lois », comme le disent certaines personnes qui défendent les comportements radicaux de ces groupes extrémistes.

Bachar al-Assad n’a pas de temps à perdre. Il est en campagne électorale. Pour s’accrocher à son trône, il marche sur le sang de centaines de milliers de martyrs, civils et militaires de toutes les confessions. Il piétine notre sang et notre dignité. Il ne nous permet ni la joie ni la peine. S’il le pouvait, il mettrait l’oxygène en état d’arrestation.

Sur un mur qui fait face à un tunnel du centre de Damas, on a écrit en lettres longues et claires : « Vingt-quatre millions de Syriens vous aiment, Monsieur le président ! » Quand j’ai vu cela, il y a quelques jours, j’ai eu la nausée. « Vingt-quatre millions moins un ! » aurais-je voulu crier.

Je ne nie pas qu’une mère de martyr ou une femme de détenu puisse dire : « On ne veut plus ni de la liberté, ni de la victoire de la révolution. Qu’il reste. Qu’il continue de siéger sur son trône. Mais que s’arrête l’effusion de sang. Que les détenus cessent de mourir. Que prennent fin les exécutions sur la base des appartenances confessionnelles. Qu’on cesse d’affamer les gens et de détruire les villes ».

Dans les mois qui viennent de s’écouler, j’ai entendu beaucoup de gens tenir de tels propos.

« Le désespoir est une trahison », disent certains. Ce à quoi d’autres répondent : « C’est aussi une trahison de permettre notre mort, de s’y habituer jour après jour. Ce n’est pas seulement trahir la patrie, mais aussi trahir les évidences vitales ».

Qu’allons-nous bien pouvoir nous dire encore, dans quelques temps, si nous restons en vie ?

(Faris Syriaa)(Faris Syriaa)

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(A suivre)

 

Ni les circonstances de plus en plus précaires de son existence,
ni la publication en livre de ses premières lettres
n’ont dissuadé
Joumana Maarouf
de continuer à livrer à son amie traductrice
son témoignage d’opposante ordinaire en Syrie.
Il permet de porter un autre regard sur le conflit en cours.

Pour accéder aisément à ses lettre précédentes :
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202122, 23242526 et 27

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source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2014/04/25/lettres-de-syrie-28/

date : 25/04/2014