L’histoire d’Abdu, réfugié de Syrie – par Amnesty International

Article  •  Publié sur Souria Houria le 19 mai 2015

Syrie, 2012. Alors qu’Abdu manifestait pacifiquement contre les violences perpétrées par le gouvernement, il a été arrêté et jeté en prison. Torturé en prison puis relâché, il décide de quitter la Syrie pour fuir les violences et vivre dans un pays « des droits humains ».

Je n’aurais jamais imaginé que les violences atteignent de telles proportions. J’ai été battu et humilié en prison. J’ai eu de la chance : beaucoup ne sortent pas vivants de ces prisons. Je n’étais plus en sécurité, il fallait partir. Mais en fait c’est très difficile de franchir les frontières et même de passer d’une ville à une autre.

C’est l’armée syrienne libre, c’est-à-dire les rebelles, qui m’ont aidé. C’est en France que je voulais aller. C’est un pays qui me plait et mon frère Faheim y était déjà installé. Ce que je cherchais en France, c’était surtout la paix, parce qu’en Syrie et dans tous les pays où je suis passé par la suite, le Liban, la Turquie et l’Egypte, je n’y ai rencontré que de la violence. On y vit toujours avec une boule dans le ventre.

Je me suis d’abord rendu en Turquie. Je n’avais nulle part où aller, aussi j’ai dormi pendant deux jours dans un parc municipal. La police m’a arrêté : c’était interdit de dormir dans un endroit public. Il me fallait absolument travailler si je voulais continuer le voyage, mais je n’ai rien trouvé en Turquie. Je n’ai eu aucune aide du gouvernement turc. C’est un pays assez cher aussi j’ai décidé de partir à nouveau.

AU LIBAN : 1 HABITANT SUR 4 EST UN RÉFUGIÉ DE SYRIE

Je suis allé au Liban où vivait un de mes amis. J’ai appris que le pays venait de fermer ses frontières. C’est au Liban qu’il y a le plus de réfugiés de Syrie. Je crois qu’un habitant sur quatre de ce petit pays est syrien.

On peut comprendre qu’un tel afflux d’étrangers pose des problèmes aux Libanais. Il y avait du travail au Liban et pas mal de postes à pourvoir, mais quand ils apprenaient que j’étais Syrien on me refusait le travail, ou on me le proposait pour un salaire tellement bas qu’il ne permettait pas de vivre. On était en hiver. Je n’avais pas de travail, plus d’argent et j’ai été obligé de dormir dans la rue.

Heureusement, j’ai rencontré un type de Damas qui m’a aidé. Il avait un stock de chaussettes et de bonnets et je devais les vendre sur un petit étal, dans la rue. La police me laissait faire, mais des habitants m’ont empêché de faire ce commerce : deux fois des gens sont venus et ont cassé les tables. Alors, j’ai dû arrêter de travailler.

LA GALÈRE D’EGYPTE EN TURQUIE

Heureusement, mon frère Faheim m’a envoyé un peu d’argent et m’a conseillé de me rendre en Egypte chez un ami à lui.

Celui-ci m’a très bien reçu. Il m’a donné un logement, mais il était si précaire que je ne pouvais y vivre. On m’a proposé un travail pour 100 euros par mois et je l’ai accepté. Bien sûr, avec 100 dollars par mois, on ne peut pas vivre mais je n’avais pas le choix.

J’ai dû repartir en Turquie car mes parents restés en Syrie traversaient une période difficile. Pour les aider, j’ai trouvé une place dans une fabrique des chaussures, j’ai mis de l’argent de côté et j’ai pu leur permettre de quitter la Syrie. Je suis resté un an en Turquie. J’avais un travail mais des difficultés pour trouver un logement puisque là aussi on ne donne pas facilement un logement aux Syriens. Et puis, je rêvais toujours de venir en France. Je suis enfin parti en 2013. J’avais commencé à chercher des passeurs. Les passeurs, c’est une autre histoire.

La France peut et doit faire plus pour accueillir les réfugiés de Syrie. Interpellez François Hollande. SIGNEZ

LA TRAVERSÉE, UNE QUESTION DE VIE OU DE MORT

Les passeurs, c’est autre chose. On peut tomber sur des voleurs, sur des tueurs, des arnaqueurs, des menteurs… C’est un jeu de vie ou de mort. On ne sait pas à qui on va avoir à faire. On pourrait écrire un livre entier sur les passeurs.

A partir d’Ankara, la capitale de la Turquie, on peut partir en Europe pour 6000 euros. Il faut mettre l’argent dans un bureau qu’on appelle un « bureau de confiance ». On y dépose l’argent, et on reçoit un code qu’on donnera au passeur. On a vite compris que les passeurs et les « bureaux de confiance », c’étaient les mêmes.

Nous étions environ 200 personnes dans le bus qui allait à Izmir, au bord de la mer Egée. On nous a mis dans des petits bateaux qui étaient prévus pour 20 personnes, nous étions 40 bien serrés. On a été arrêtés par les gardes côtes turcs. J’ai réussi à m’enfuir. J’ai couru pendant deux heures, j’avais tellement peur de me faire attraper par la police. Je ne voulais pas laisser mes empreintes, on m’avait dit que c’était dangereux à cause de la convention de Dublin*. (Selon le règlement Dublin II, les demandeurs d’asile ne peuvent demander l’asile que dans le premier pays qu’ils atteignent en Europe. Il aurait été donc impossible pour Abu de rejoindre son frère en France.)

Je suis rentré à Istanbul où j’ai pu récupérer mon argent. Le premier départ avait été un faux départ. Le mieux était de repartir de Mersin, la ville où se trouvaient mes parents. J’ai à nouveau payé un passeur.

Au moment du départ l’angoisse vous étreint. Comment allons-nous vivre ces moments ? Est-ce que le bateau sera petit ou grand ? Est-ce qu’on va mourir ? On a fait 3 tentatives et chaque fois la police nous arrêtait et nous immobilisait pendant quelques heures.  La quatrième fois, on a enfin pu partir.

C’était un grand bateau, j’avais de la chance par rapport à d’autres qui tentent la traversée, pour moi ça allait… C’était la première fois qu’on avait un bateau aussi grand. On avait même à manger ! Il y avait 600 personnes à bord, des Africains, des Iraniens et d’autres nationalités mais la plupart étaient Syriens. Le bateau n’a pas été intercepté en route. Le voyage s’est bien passé jusqu’à l’arrivée en Italie.

LES VEDETTES DE POLICE TOURNAIENT AUTOUR DE NOUS

C’est là que les problèmes ont commencé. La technique des passeurs est toujours la même : ils mettent les bateaux en panne et partent dans un canot. Ils s’en vont, laissant les gens livrés à leur sort.

La police maritime italienne est arrivée assez vite mais elle ne faisait rien. Le bateau tanguait dangereusement à cause du vent, nous étions sûrs qu’il allait chavirer. Il n’y avait plus rien à manger. Les vedettes de la police tournaient autour de nous. A un moment ils ont essayé de nous tirer mais ils n’y sont pas arrivés. Ils auraient dû venir avec une embarcation beaucoup plus grande pour y mettre les gens en sécurité. En fait ce n’étaient que palabres infinies : « Qu’est ce qu’on va faire de ces 600 personnes ? (…)

Ils ne savaient pas quoi faire de nous. Moi pendant ce temps, je n’allais vraiment pas bien. Le bateau tanguait, et un homme à côté de moi s’est cogné et a perdu connaissance. On ne savait pas s’il était mort ou non. J’étais pris de des crises de tremblements, submergé par l’angoisse. A cause du froid je ne sentais plus mon corps. Je ne savais plus pourquoi je tremblais, de peur, de froid ou bien de faim. Cela a duré 48 heures.

SI LE BATEAU AVAIT SOMBRÉ …

La police est repartie parce qu’aucune décision n’avait été prise nous concernant. Personne ne voulait prendre la responsabilité de nous débarquer sur le sol italien. Ils ont fini par revenir avec deux hélicoptères et deux ou trois bateaux militaires. Ils ne bougeaient pas, ils ne faisaient pas grand chose. Tout le monde attendait. Ils ont répété qu’ils ne pouvaient pas recevoir 600 personnes. Si le bateau avait sombré, ça aurait été un message pour les autres : « Voyez ! Ne venez pas ! ».

Puis, enfin, ils nous ont emmenés à terre, dans un camp. J’ai pu m’échapper. Je faisais très attention à ne pas laisser mes empreintes, j’avais peur de rester coincé en Italie. J’ai fait la connaissance d’une fille italienne d’origine tunisienne qui m’a aidé. Elle m’a laissé dormir une nuit chez elle et le lendemain elle m’a pris un billet pour Vintimille (à la frontière avec la France). J’ai appelé mon frère. Il est venu me chercher en voiture avec une très jolie jeune fille française. C’est pour la police : quand il y a une jolie jeune fille, elle fait un sourire et on peut passer en sécurité. »

Abdu et son frèreAbdu et son frère

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LA FRANCE PEUT ET DOIT FAIRE PLUS

Notre organisation mène campagne pour que les réfugiés de Syrie les plus vulnérables puissent reconstruire leur vie, grâce à l’admission humanitaire et à la réinstallation. Sur les 3,8 millions de réfugiés de Syrie présents dans les pays limitrophes (Turquie, Liban, Jordanie, Iraq, Egypte) 380 000 sont considérés comme vulnérables.

La France peut et doit faire plus pour accueillir les réfugiés de Syrie.

 

source : http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Refugies-et-migrants/Actualites/histoire-Abdu-refugie-de-Syrie-15086#.VVc7sUWmeqA.facebook

date : 16/05/20105