L’intervention israélienne affaiblit Damas militairement mais pas politiquement – Par Christophe Ayad

Article  •  Publié sur Souria Houria le 6 mai 2013

Le régime syrien était lancé dans une violente et large contre-offensive depuis plus d’un mois quand il a subi coup sur coup les deux raids israéliens des vendredi 3 et dimanche 5 mai. Il faudra un peu de temps avant que l’on mesure l’ampleur et les effets de ces attaques aériennes, mais, d’ores et déjà, elles portent un coup sévère à la crédibilité de la capacité dissuasive du régime syrien. Incapable de protéger son espace aérien, il a été frappé au cœur de son dispositif militaire : l’aéroport international de Damas puis, quarante-huit heures plus tard, le mont Qassioun, siège de la présidence de Bachar Al-Assad et cœur du dispositif militaire du pouvoir syrien, ont été tour à tour visés.

Selon des sources bien informées localement, des dépôts d’armes d’installations de la IVe division, dirigée par Maher Al-Assad, ont été touchés, ainsi que la 105e brigade, une unité appartenant à la Garde républicaine. Ces deux corps d’armée sont la garde prétorienne du régime. Aucun bilan officiel n’est disponible, les chiffres circulant sur les réseaux sociaux syriens vont de 250 à un millier de soldats tués. La chaîne de télévision libanaise Al-Mayadeen, proche du Hezbollah, évoque, elle, un bilan de 4 morts et 70 blessés

Par ailleurs, le centre de recherche de Jamraya, censé abriter le programme chimique et bactériologique syrien, aurait été atteint. Selon le ministère syrien des affaires étrangères, qui a adressé une lettre de protestation au Conseil de sécurité de l’ONU, trois sites auraient été touchés dimanche : « Au nord-est de Jamraya, à Mayssaloun et à l’aéroport de plaisance d’Al-Dimas. » « Cette agression a causé des morts et des blessés et des destructions graves », se contente-t-il d’ajouter.

Reste à savoir si le dernier raid israélien, nettement plus important que les précédents, va changer la donne de la guerre civile syrienne. Va-t-il encore un peu plus fragiliser un régime dont les capacités militaires sont de plus en plus réduites après deux années de répression sans répit ? Ou va-t-il entraîner un accroissement de l’aide fournie par le Hezbollah libanais et l’Iran à leur allié syrien, principales cibles d’Israël ? Probablement les deux à la fois.

En visant les unités d’élite du régime syrien, Israël a fait ce qu’aucun pays occidental n’a osé faire jusqu’à présent – malgré les protestations de solidarité et les mises en garde –, alors même que l’Etat juif n’a jamais fait grand cas de la démocratie ou du respect des droits de l’homme chez son voisin. Il y a pourtant peu de chance que la facilité avec laquelle l’aviation israélienne a mené son raid convainque les Occidentaux ou l’OTAN d’intervenir en Syrie ou d’y imposer une zone d’exclusion aérienne. Car ce raid, s’il affaiblit un peu le régime militairement, justifie sa volonté d’internationaliser le conflit pour échapper aux embarrassantes questions intérieures posées par le soulèvement depuis mars 2011. L’Egypte a ainsi demandé une réunion de la Ligue arabe pour protester contre l’agression israélienne.

Pour des raisons diamétralement opposées, l’opposition a condamné le raid israélien et reproché au régime d’avoir « affaibli les capacités de défense du pays » au point de ne plus pouvoir faire face à une « agression extérieure ».

« NETTOYAGE CONFESSIONNEL »

Il y a peu de chance, en effet, que l’armée syrienne réplique à Israël, de peur d’une intervention de Tsahal qui serait probablement fatale au régime. Le pouvoir a en effet lancé une offensive d’envergure pour sécuriser son « territoire utile » allant de Damas, la capitale, à Lattaquié, au nord de la côte méditerranéenne, en passant par Homs et Qusair, tout en tentant de contenir la poussée rebelle au sud, dans la région de Deraa. Malgré l’appui de milliers de combattants du Hezbollah, l’armée n’est pas parvenue à reprendre entièrement Qusair, ni à chasser les rebelles de la Ghouta, plaine agricole de la banlieue de Damas.

Plus inquiétant, des informations font état de l’infiltration de plusieurs milliers de combattants rebelles sunnites dans la région côtière, censée être un fief alaouite, la communauté chiite dont est issu Bachar Al-Assad. Vendredi et samedi, la région de Baniyas a été le théâtre de deux massacres de civils sunnites de grande ampleur. « C’est un nettoyage confessionnel, souligne Ziad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris. Le régime a très peur de ne plus disposer de base de repli s’il devait quitter Damas. »

Dernière mauvaise nouvelle pour le régime, la rébellion s’est emparée, samedi 4 mai, de la plus grande partie de la base aérienne de Menagh, entre Alep et la frontière turque, à l’extrême nord du pays. Le commandant de la base a été tué, apparemment par un soldat déserteur. Le pouvoir ne dispose plus que de deux bases aériennes dans la région d’Alep, en proie à des combats depuis dix mois.

 

source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/05/06/l-intervention-israelienne-affaiblit-damas-militairement-mais-pas-politiquement_3171457_3218.html