L’Ukraine paie pour l’inaction de la communauté internationale en Syrie – par Frédéric Farid Sarkis

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 mars 2014

TRIBUNE
Gandhi disait: «Là où il n’y a le choix qu’entre la lâcheté et la violence, je conseillerai la violence.» Cette phrase est aujourd’hui plus vraie que jamais. Il ne s’agit pas d’user de la violence mais de comprendre qu’avec des gens comme Poutine, en Syrie comme en Ukraine, sans rapport de force, il n’y aura pas de solution politique.

Les Syriens, bien plus que d’autres suivent au plus près le combat des Ukrainiens et en saisissent les enjeux. En laissant la Russie maîtresse du jeu en Syrie depuis trois ans, on lui a permis de croire qu’elle n’avait personne en face et qu’elle peut refaire ailleurs ce qu’elle a si bien réussi en Syrie. La révolution ukrainienne vient aujourd’hui de mettre en évidence cette stratégie cynique.
L’Europe et les Etats-Unis se trouvent dans l’embarras. Ils ne peuvent pas laisser faire à leur frontière ce qu’ils ont regardé impuissants en Syrie. Le «soft power» si cher à Obama trouve aujourd’hui sa limite et montre que devant des criminels tels que Assad, Poutine et consorts, il n’y a pas de «soft power», il n’y a que lâcheté.

L’espoir né après les révolutions arabes laisse aujourd’hui place à la consternation. Ces mouvements populaires appelant à la dignité et à la liberté affrontent depuis plus de trois ans des contre-révolutions initiées par les tenants des anciens régimes décidés à rétablir leurs privilèges et doivent faire face à des puissances étrangères qui ne veulent pas perdre leur influence. Le cas le plus dramatique est bien sûr la Syrie, où l’ancien régime a tenu, perfusé par l’Iran et la Russie, et avec le soutien des milices libanaises et irakiennes.

Le peuple syrien a dû non seulement lutter contre un régime féroce et barbare mais aussi contre plusieurs nations dont une puissance internationale, la Russie, et une puissance régionale, l’Iran. Ceci avec une aide a minima de l’Occident ou des pétromonarchies arabes cherchant une solution pour stabiliser la situation et préserver leurs intérêts géopolitiques au moindre coût.
La communauté internationale a laissé la situation pourrir au point de voir se renforcer l’extrémisme avec le développement de groupes jihadistes tel que l’Etat islamique d’Irak et du Levant. Le calcul étant probablement qu’il sera toujours possible de contenir ce danger comme cela a été le cas en Irak.

La répression sanglante lors des manifestations en Ukraine n’a pas pu se faire sans le feu vert russe. Heureusement pour le peuple ukrainien, n’est pas Assad qui veut et l’appareil du régime à Kiev n’a pas suivi la ligne de son président, le criminel Ianoukovitch a été démis et a dû fuir.
La première bataille ayant été perdue par Poutine, il a lancé l’offensive sur la Crimée pour diviser l’Ukraine et réaffirmer son autorité, soucieux de donner l’exemple et d’éviter que cela donne des idées à d’autres dans l’espace post-soviétique.

Aujourd’hui, alors que les peuples revendiquent comme jamais dans l’Histoire les valeurs de liberté, de dignité et de droits de l’homme, l’Occident qui se réclame de ces valeurs est devant un choix cornélien. Se refermer sur lui-même et laisser les contre-révolutions s’étendre jusqu’à sa frontière avec le risque que ce repli sur soi ne finisse par le ronger de l’intérieur et amplifier encore la peur de l’autre et la xénophobie ou alors soutenir une politique non pas néocoloniale mais de soutien au droit des peuples à l’autodétermination, sujet au cœur du discours qui valu à Obama le prix Nobel de la paix.

Le moment de vérité est là. Rien n’est écrit, il tient à tous ceux qui luttent pour le droit des peuples à l’autodétermination et à vivre libre et en paix à «oser le changement» comme certains l’ont dit.
Rappelons qu’en Syrie, devant une menace crédible d’intervention, le recul fut instantané et Poutine a su sans difficulté obliger le régime à accepter le démantèlement (encore à réaliser) de ses armes chimiques. Une fois la menace d’intervention disparue, par contre, aucune avancée concrète n’a pu être obtenue à Genève II, la Russie n’ayant pas fait pression sur le régime syrien pour arriver à une solution politique.

En Ukraine, c’est bien sûr une solution politique qu’il faut obtenir. Pour cela, il ne faut pas laisser le peuple ukrainien seul face à Poutine. C’est une responsabilité des Etats-Unis et de l’Europe.
Le point de vue que je livre ici est celui d’un révolutionnaire Syrien pour qui la non-violence est essentielle, mais qui a été confronté à des sommets de barbarie et de lâcheté dont on voit aujourd’hui les résultats tragiques.

C’est aussi la vision du militant écologiste français que je suis, confronté depuis trois ans à l’incapacité de son pays à faire bouger la communauté internationale ou l’Europe et empêcher le massacre en Syrie et qui ne veut pas que l’histoire se répète à nouveau chez ses amis ukrainiens.

Par Frédéric Farid Sarkis, universitaire franco-syrien, élu EELV à Colombes.