Meeting de solidarité 19/03/2013 – Le texte de l’intervention de Wladimir Glasman

Article  •  Publié sur Souria Houria le 25 mars 2013

A l’occasion de la 2ème anniversaire de la révolution syrienne

Meeting de solidarité 19/03/2013

Le système Assad : Farouk Mardam Bey,
Les massacres du régime Assad 1982/2013 : Jean Pierre Perrin
Droits de l’homme en Syrie: Seve Aydin – Izouli
Les hôpitaux de points, défis et besoins : Garance Le Caisne
La communauté internationale face à la révolution syrienne: Wladimir Glasman

Animation par Thomas Le Grand (Journaliste à France Inter)

 

La communauté internationale face à la révolution syrienne

Le texte de l’intervention de Wladimir Glasman – 19.03.2013

 

Il est de bon ton, dans les milieux académiques, d’interroger le sujet avant de répondre à la question qu’il pose. C’est particulièrement nécessaire avec celui qui nous occupe ici. Ce qui explique en effet la division de la communauté internationale, entre les Etats et au sein-même des Etats, c’est pour une part la qualification du mouvement inauguré, au milieu du mois de mars 2011, à Damas et Daraa.

 

Ceux qui font de la « souveraineté des Etats » un principe absolu, aussi respectable qu’utile pour prévenir la remise en cause de leur propre légitimité, considèrent que == la Syrie n’a pas affaire à une révolution mais à un complot ==. Elle a donc le droit de s’y opposer en mobilisant l’ensemble de ses moyens de répression et de coercition.

Ce complot, ils se plaisent à le rappeler… à l’instar des responsables syriens, est ourdi depuis l’extérieur par ceux qui veulent depuis longtemps renverser le système en place. Certains veulent le faire pour des motifs politiques. D’autres veulent se venger des avanies que la Syrie leur a fait subir au cours des décennies écoulées. D’autres sont mus par des préoccupations d’ordre économique…

L’instrument de ce complot, c’est le « terrorisme islamique ». Tous les ennemis du régime syrien se seraient ligués pour recruter partout des fanatiques suffisamment barbus pour imposer la peur, suffisamment haineux pour terroriser les communautés minoritaires et suffisamment armés pour mettre en danger la stabilité d’un Etat dans lequel, avant le début des Printemps arabes, tout le monde vivait en paix et en bonne harmonie… A condition, évidemment, de garder le silence, d’accepter d’être traités comme des objets plutôt que des sujets, de subir sans raison insultes et humiliations, de voir sans réagir ses droits individuels et collectifs bafoués…

 

Pour ceux qui prêtent davantage l’oreille aux cris des populations, qui comprennent que les peuples se révoltent à un moment ou un autre contre des dirigeants autoritaires, contre l’injustice de leur situation, contre les mauvais traitements, et pour ceux qui considèrent légitimes les tentatives de récupération par les opprimés des droits que la Constitution de leur pays leur reconnaît mais que leurs dirigeants leur refusent, == les Syriens, en descendant dans les rues, il y a deux ans, se sont bien lancés dans une Révolution ==. Sans doute a-t-elle été inspirée, et peut-être aspirée, par les révolutions entamées et parfois déjà « finies » ailleurs. Sans doute les Syriens ont-ils voulu montrer que, souffrants des mêmes dénis de droit que leurs frères du Maghreb et du Machreq, ils n’étaient pas moins courageux qu’eux. Sans doute ont-ils espéré que ceux qui s’étaient impliqués dans la résolution de la crise libyenne feraient de même avec eux. En tout cas, ils n’ont eu besoin de personne pour leur faire toucher du doigt leur malheur et leur dicter ce qu’ils avaient à faire. Encore moins pour organiser leur résistance et leur dicter leurs slogans.

 

Le drame des révolutionnaires est que les « Amis du Peuple syrien » – qui affirment les comprendre, appuyer leur projet de renversement du régime et partager leur aspiration à un Etat civil démocratique – sont loin d’être aussi unis, convaincus et prêts à se mobiliser pour les aider que l’autre camp, celui des « Amis du régime syrien ».

Ces derniers n’ont pas besoin d’être convaincus. Tout le monde sait que leur soutien au régime n’a rien à voir, ni avec le prétendu complot dont celui-ci se dit l’objet, ni avec la présence en Syrie de terroristes et de jihadistes. Il ne s’agit – comme dans l’autre camp d’ailleurs… – que de questions d’intérêts. Les intérêts des « Amis du régime syrien » sont simplement plus forts que ceux des « Amis du peuple syrien »… les intérêts des uns et des autres se recouvrant même en partie.
S’agissant de la Russie, qui s’est imposée comme un acteur incontournable, ses intérêts en Syrie sont connus :

–        sa flotte militaire dispose dans le port de Tartous de facilités importantes,

–        ses industries d’armement ont avec l’armée syrienne un client de choix,

–        Damas représente pour les Russes la dernière porte d’accès au Proche-Orient,

–        les compagnies pétrolières et gazières russes sont très présentes dans le pays,

–        des milliers de Russes y vivent, conseillers militaires, experts civils, femmes et enfants d’anciens étudiants syriens en Russie,

–        la Patriarcat de Moscou est en relation avec les Orthodoxes syriens, dont les Eglises sont majoritaires au sein de la minorité chrétienne…

Mais aussi, et peut-être surtout, intervenant après l’affaire libyenne dans laquelle les Russes ont été bernés par les Occidentaux, l’affaire syrienne leur offre l’occasion qu’ils attendaient de montrer que l’époque est révolue où on pouvait les prendre de haut. Puisque leur abstention au Conseil de Sécurité, lors de l’adoption de la Résolution 1973 (le 17 mars 2011), a été prise pour une marque de faiblesse, ils n’hésitent plus dorénavant à imposer leur véto. Ce qu’ils disent ainsi – et malheureusement pour les Syriens leur révolution leur sert de prétexte – c’est qu’ils sont de retour sur la scène internationale, au-delà des limites de l’ancien empire soviétique. Ils ne veulent plus se contenter du strapontin ou du siège de faire-valoir qui leur avait été concédé, pour sauver la face… et pour les oublier ensuite, lors de l’ouverture de la Conférence de Paix de Madrid en 1991. Désormais, ils prennent part à la décision et ils disent haut et fort ce qu’ils pensent. Et dans le cas présent, ils disent : « Vous ne toucherez pas à la Syrie ».

Au cours des derniers mois, les Russes ont émis des doutes sur la capacité de Bachar al-Assad à reprendre le contrôle de la situation. Leurs interrogations sont réelles : elles se sont traduites par l’amorce d’un mouvement d’évacuation de leurs ressortissants. Mais on aurait tort d’imaginer qu’elles entraineront un ralentissement de leur soutien. Bien au contraire : puisque Bachar al-Assad a commis des erreurs et se trouve en situation difficile, ils ne l’aideront que davantage. Pas pour lui uniquement ou pas d’abord pour lui, mais pour eux, pour continuer à montrer que ce sont eux qui détiennent les clefs de la solution et que c’est avec eux que l’opposition syrienne et les « Amis du Peuple syrien » doivent négocier la solution politique qui a leur préférence. Sinon, l’intensification de leur soutien militaire interdira, ou retardera considérablement, ou rendra plus couteuse en vies humaines et en destructions,  la victoire par les seules armes de la Révolution.

 

Terrorisme ou pas, les Iraniens sont résolus à assumer le prix du soutien qu’ils apportent au chef de l’Etat. La tension provoquée dans la région et au-delà par la crise en Syrie a ceci pour eux de bénéfique qu’elle a fait disparaitre de l’actualité immédiate la question de leurs activités dans le domaine nucléaire. Mais les deux questions sont intimement liées. Un renversement du régime en place en Syrie, qui permettra à la communauté sunnite majoritaire de peser de nouveau dans la décision, se traduira fatalement par la dislocation de l’axe qui, via Bagdad et Damas, permet à Téhéran de faire parvenir au Hizbollah libanais les moyens de sa puissance et le maintien d’une menace militaire contre l’Etat d’Israël. Or la perspective d’une telle dislocation est redoutable pour les Iraniens, car elle fera de leurs menaces verbales contre l’Etat d’Israël de simples vitupérations, et elle rendra plus aisé le traitement, par les Israéliens, du problème que leur pose les activités proliférantes – réelles ou supposées – du régime des Mollahs.

Déjà omniprésents et bénéficiant de toutes les facilités dans l’ensemble des domaines en Syrie avant la crise, les Iraniens sont donc au four et au moulin. Ils ne se restreignent pas à des rôles de conseillers, mais ils interviennent directement dans la surveillance, dans la répression, dans la conduite des combats et, depuis que l’apparition de missiles sol-air plus performants entre les mains de l’ASL exige des pilotes plus expérimentés, on trouve des Iraniens – comme peut-être des Russes… – aux commandes d’appareils de guerre.

Pour suggérer que le soutien de l’Iran à Bachar al-Assad n’a pas de limite, un religieux iranien a qualifié la Syrie, le 14 février 2013, de « 32ème province » de l’Iran, tandis qu’un responsable politique affirmait que Bachar al-Assad serait candidat à sa propre succession en 2014… et au-delà.

 

A l’inverse, dans l’autre camp, depuis le début c’est l’hésitation qui prévaut. Pour une quantité de bonnes et de mauvaises raisons… au premier rang desquelles figure la difficulté qu’éprouvent les « Amis du Peuple syrien » à discerner où se situent leurs intérêts.

–        Quelques Etats préfèrent prudemment ne pas brûler leurs vaisseaux et ne pas altérer jusqu’à aujourd’hui leurs relations avec la Syrie parce qu’ils ne sont pas convaincus que la révolution va aboutir.

–        Certains redoutent que, si elle aboutit, la révolution favorise le remplacement d’un système autoritaire et corrompu par un système qui ne sera ni meilleur pour les Syriens, ni plus fréquentable par eux.

–        D’autres préfèrent se convaincre, avec beaucoup de cynisme, que, malgré la mort de dizaines de milliers de Syriens et malgré le mensonge de telles affirmations, il serait déraisonnable de contribuer à renverser « l’unique système laïc de la région » et à chasser « le protecteur des minorités religieuses ».

–        D’autant que l’opposition, comme certains le font remarquer avec insistance, apparaît incapable de présenter une « alternative » à Bachar al-Assad, autrement dit une personnalité charismatique ou un homme providentiel,  alors que c’est le système dans son ensemble que les révolutionnaires veulent modifier.

–        D’autres encore redoutent de perdre la coopération sécuritaire de la Syrie, qui leur a été utile pour récupérer des postulants au jihad, depuis que la lutte contre le terrorisme est devenue la première des préoccupations. Certes, la Syrie leur a parfois refilé de faux jihadistes qu’elle avait elle-même fabriqués, faute de marchandise en stock, mais elle leur a aussi transmis des renseignements grâce auxquels ils ont pu déjouer des attentats en préparation.

 

Si Israël pèse sur la décision américaine, qui est aussi retenue par l’indécision d’un président non interventionniste ayant fait du redressement économique sa première priorité, c’est la lourdeur des procédures, les contraintes d’une décision à l’unanimité, l’inexistence d’une politique étrangère commune et le manque de vision de la commissaire en charge de ce dossier, qui affectent la prise de décision des 27 de l’Union Européenne. Les uns et les autres estiment faire leur devoir en allongeant périodiquement la liste des sanctions et des responsables syriens dont les avoirs en Europe sont gelés, alors que, partout ailleurs par le passé, l’inefficacité de telles mesures – quand elles sont effectivement appliquées… – a été avérée.

 

Pour compliquer encore les choses, l’apparition du terrorisme brandi comme une menace par Bachar al-Assad depuis le début du soulèvement est venu offrir à ceux qui l’attendaient, au début de 2012, une justification a posteriori à leur refus de s’impliquer. Lorsque les premiers attentats interviennent à Damas et à Alep, les « Amis du Peuple syrien » se posent des questions. Mais comme ce sont les mauvaises questions, elles ne débouchent que sur de mauvaises réponses.

Ils auraient pu se demander :

–        pourquoi, pour se manifester, les terroristes ont-ils attendu 9 mois ?

–        s’ils n’étaient pas en Syrie, comment y sont-ils entrés ?

–        où ont-ils trouvé les centaines de kilos d’explosif qu’ils utilisent ?

–        pourquoi ont-ils choisi de mener leur première opération le lendemain de l’arrivée en Syrie des inspecteurs arabes que les contestataires appelaient de leurs vœux, comme les journalistes étrangers, alors que le régime n’en voulait pas?

–        pourquoi ces attentats, censés provoquer des pertes importantes dans les rangs des moukhabarat dont les bureaux sont les cibles privilégiés, se déroulent-ils des jours où ceux-ci ne travaillent pas ?

–        pourquoi les cadavres des présumées victimes présentent-ils au moment des explosions un état de décomposition avancée ?

–        que faisaient sur les lieux une majorité de victimes inconnues des habitants des quartiers ?

 

Au lieu de s’interroger sur le message de ces attentats, qui restent sans revendication durant plusieurs semaines, les « Amis du Peuple syrien » – dont la première réunion a lieu à Tunis le 24 février 2012 – estiment que la tournure prise par la révolution leur impose plus de circonspection que jamais. Le tableau de la situation leur apparaît brouillé. L’apparition de l’ASL les avait laissés perplexes ; celle du terrorisme les tétanise. Fermant l’oreille aux demandes formulées dans les rues par ceux qui veulent conserver à la révolution son dynamisme et son orientation pacifique et unitaire, mais qui ont besoin pour cela de pouvoir assurer leur auto-défense, ils mettent en avant la présence de terroristes puis des jihadistes pour différer leurs réponses.

Cette inaction bénéficie aux parties qui, en principe, n’ont pas leur faveur :

–        le régime syrien, qui gagne du temps

–        et les groupes jihadistes qui ont fait leur apparition et qui, bénéficiant de sources propres de financement, exercent une attirance, peut-être ponctuelle mais peut-être aussi plus durable, sur un nombre croissant de Syriens pour lesquels la mise en place d’une nouvelle Syrie passe nécessairement par le renversement du régime de Bachar al-Assad.

 

Profitant de la paralysie des « Amis du Peuple syrien », les « Amis du Régime syrien » se donnent le beau rôle. Tout en appelant au dialogue politique et aux négociations pour « éviter davantage de victimes dans les rangs de la population »… ils continuent de fournir au régime toutes les armes dont il a besoin, non seulement pour lutter contre le terrorisme, mais pour châtier les Syriens favorables à la révolution et pour mettre en œuvre, au nom du slogan « Bachar ou la terre brûlée », une politique de destruction systématique.

 

Il est vrai que, depuis le 8 juillet 2011, les Syriens ont dit « Non au dialogue »… Non pas au dialogue en général ou comme moyen de sortir de la crise. Mais au dialogue avec Bachar al-Assad, puisque celui-ci, tout en parlant de dialogue et en invitant les Syriens à dialoguer, n’entend ni rappeler les militaires dans les casernes, ni mettre un frein à la folie répressive des moukhabarat, ni juguler les chabbiha, ni relâcher les dizaines de milliers de prisonniers qui encombrent ses geôles, ni autoriser la poursuite des manifestations de protestation pacifique. Alors qu’il veut un dialogue, à ses conditions et au son du canon, les révolutionnaires veulent un dialogue sur les conditions de transmission d’un pouvoir dont ils refusent que Bachar al-Assad fasse dorénavant partie.

 

Après le Premier ministre britannique (le 12.03.2013), le Président de la République annoncé (le 14.03.2013) son intention de livrer à l’ASL certains matériels militaires. Ils ne permettront aux révolutionnaire ni de modifier le rapport des forces, ni de s’emparer du pouvoir par les armes.

Ils sont destinés à autre chose :

–        offrir un peu plus de sécurité aux populations dont le régime se venge, parce qu’il sait qu’il n’a plus les moyens de reconquérir ni leurs villes, ni leurs cœurs ;

–        redonner du courage à ceux qui se battent depuis deux ans aujourd’hui sans avoir bénéficié du soutien dont d’autres ailleurs avaient profité, et qui ont déjà payé un trop lourd tribut à la liberté ;

–        favoriser, au sein des forces qui luttent pour renverser le régime, celles dont on a des raisons de penser qu’elles contribueront, plus que d’autres, à l’instauration en Syrie de « l’Etat civil démocratique » qui a les faveurs de la majorité de la population ;

–        faire savoir au régime que le moment approche où, s’il ne joue pas sérieusement le jeu du dialogue, il devra être confronté à de plus graves difficultés ;

–        indiquer aux « Amis du Régime syrien » qu’il est temps de dissocier leur soutien au régime de leur soutien à Bachar al-Assad, puisque son retrait du pouvoir est la condition sine qua non qui permettra aux Syriens l’ayant déclaré illégitime d’envisager une sortie politique à leur révolution.