«Never again» et ce tralala ne semble qu’être des foutaises qui ont aveuglé la conscience internationale par Esma Kucukalic

Article  •  Publié sur Souria Houria le 1 avril 2017

«Never again» et ce tralala ne semble qu’être des foutaises qui ont aveuglé la conscience internationale

سلام الكواكبي: بناء الهوية يحتاج إلى مشروع وطني مشتركEntretien avec Salam Kawakibi, chercheur en sciences politiques et relations internationales. L’ancien directeur de l’Institut Français du Proche Orient, à Alep, en Syrie. Est depuis quelques années, le directeur adjoint de l’Arab Reform Initiative. Il est membre du Conseil Consultatif de la Fondation ACM.

Esma Kucukalic, 30.03.2017. 

Lorsque la guerre en Syrie entre dans sa septième année, nous passons revue de son impact sur la population civile, les voies pour mettre fin au conflit et le rôle des intellectuels et de la société civile avec Salam Kawakibi, chercheur franco-syrien et membre du Conseil Consultatif de la Fondation ACM.

 Selon vous, quels sont les principaux chiffres de six années de conflit?

Il est très difficile, comme douloureux, de parler des chiffres : plus que la moitié de la population syrienne n’est plus chez elle. Entre réfugiés et déplacés, la donne démographique est complétement défigurée. DE plus, l’infrastructure est presque entièrement détruite et la dernière catastrophe en date se déroule en ce moment puisque les forces kurdes et celles de l’alliance occidentale sont en train de détruire le barrage de Tabka avec tout ce que cela veut dire : inondation de plusieurs villes entièrement en Syrie et partialement en Irak. Ainsi, la catastrophe humaine est insupportable : 500 mille morts au moins avec des dizaines de millier de disparus qui sont probablement tous morts dans les prisons et sous la torture. Le dernier rapport d’Amnesty international qui évoque la mort par pendaison de plus que 13 mille prisonniers dans les geôles du régime, dévoile une petite partie de la réalité atroce qui se saura un jour. 

Alep a été définie comme l’effondrement de l’humanité. Nous n’avons rien appris des épisodes noirs de notre histoire?

Tout simplement : NON. « Never again » et ce tralala ne semble qu’être des foutaises qui ont aveugler la conscience internationale. Les experts juridiques internationaux ne croient toujours pas que des telles atrocités se déroulent sous nos yeux en 21 ème siècle. Alep, vieille de 7000 ans, a été démoli, dans sa partie historique, par des barils de TNT et des missiles balistiques lancés de la mer Méditerranéenne à partir des bateaux russes. La déportation des milliers de ses habitants après la chute de sa partie Est été considérée par les Nations Unies comme une victoire. C’est tout simplement une honte. 

La Syrie est encore un conflit régional ou est le scénario où une guerre mondiale se prépare?

Ni l’un ni l’autre. Je pense qu’il existe maintenant un accord international, à l’exception de certains pays comme la France, pour que le dossier syrien soit traité par la Russie. L’alliance Russo-Turco-Américaine se concrétise avec Trump et l revirement de la politique de Erdogan suite au coup d’Eta de juillet 2016. En revanche, même si les acteurs régionaux et internationaux se sont mis d’accord sur la gestion du Kremlin, reste à savoir, que les Russes, qui sont aussi des bons alliés du gouvernement de Tel Aviv et avec laquelle ils ne cessent de coordonner leurs opérations en Syrie, vont avoir face à eux un dossier relativement complexe : comment gérer les intérêts de l’allié dérangeant qui est l’Iran. 

Six ans de guerre ont de conséquences dévastatrices pour les enfants et les civils. On parle de la faim, des maladies, la migration désespérée… Est-ce que nous connaissons les réels dommages que la population souffre en Syrie?

Plus que 3 millions d’élèves syriens sont hors circuit scolaire déjà. De plus, le traumatisme de la guerre a impacté plus que 76 % des enfants. Il y a une génération qui n’a connu que la mort et les destructions. Comment elle va se développer ? Surtout avec la pérennité des atrocités et l’absence d’une justice transitionnelle. La fissure sociale est déjà énorme. AU début de la révolution pacifique, et avant sa militarisation, cette fissure était uniquement fondée sur une base économique due à une économique d’un libéralisme de clan qui a favorisé la division la société d’une manière étanche en supprimant la classe moyenne. Actuellement, il s’ajoute à cette rupture des classes, une rupture des régions, des religions et des confessions. 

Quel est le rôle de la société civile dans ce conflit? Où sont les voix civiles et intellectuelle contre la guerre et la crise des réfugiés?

Avant 2011, l’espace public était confisqué par le régime et sa fausse société civile (FLNGO : First lady NGO’s). Les Syriens découvrent sur le tas ce que veut dire la société civile ainsi que l’engagement civil. Depuis, ils ont réussi à fonder plus que 2500 associations de tous genres. C’est cette nouvelle société civile émergente qui a réussi durant les dernières années, avec très peu de moyens, à subvenir aux besoins sanitaires, éducatifs et municipaux. En ce qui concerne les intellectuels, ils ont été eux aussi marginalisé durant des décennies par la cooptation ou la peur ou la répression (emprisonnement, assassinats) et l’exil.  Ils sont très actifs en ce moment avec une grande réflexion littéraire et artistique ainsi avec une production scientifique en sciences sociales qui a été un rêve pour la plupart d’entre eux et notamment ceux et celles qui vivaient à l’intérieur de la Syrie. Ils sont contre l’injustice et la répression. Ils expriment, comme ils peuvent, leurs opinions sur le sujet de la guerre menée par le régime contre les civiles, la radicalisation des groupes armées, le rôle des acteurs régionaux dans la manipulation de la scène syrienne et les conflits régionaux qui se soldent sur le sol syrien au prix des victimes syriennes, etc.. Les intellectuels syriens sont les ennemis de la dictature et de l’obscurantisme. Leur lutte n’est pas soutenue ou peu soutenue. 

Les guerres ne finissent pas quand la paix est signée. Les conséquences et les blessures se poursuivent. Le patrimoine syrien a été dévasté. Les réfugiés et déplacés N’auront pas où rentrer. Pensez-vous que la société civile et les gouvernements sont conscients de l’ampleur de cette tragédie?

Containment. Cependant, comment faire face, c’est la grande question. Le travail pour la reconstruction immatériel est en cours. Plusieurs initiatives sur ces sujets avec un soutien timide de ladite communauté internationale. Rebâtir la paix ne se réalisera pas sans justice. C’est une équation basique et si certains acteurs internationaux pensent ou souhaitent tourner la page et recommencer à zéro, ils se trompent de solution et ils sont en train de préparer le terrain pour une déflagration future. 

Vous avez été un des intellectuels les plus activiste contre ce conflit. Pensez-vous que cela a aidé à prendre conscience de l’ampleur du conflit en Europe?

J’ai essayé d’être utile dans le domaine que je maitrise, c’est à dire, la recherche. J’ai ainsi travaillé sur plusieurs projets pour la Syrie de demain avec des experts syriens et internationaux dans les domaines de la justice transitionnelle et l’Etat de droit et les droits de l’Homme. Avec plusieurs amis et collègues, nous essayons de réfléchir sur les meilleurs moyens pour reconstruire l’être humain très affecté durant ces dernières années. Développer des projets de rencontres et de dialogues est un des domaines de mon engagement aussi.  J’essaye ainsi avec mes écrits d’alerter l’opinion internationale sur la tuerie qui se déroule à proximité et dont les retombés affectent l’ensemble de l’humanité. Des fois, je me sens très fatigué et très désespéré. Mais je retrouve mon courage et je continu mon chemin. 

Quel rôle ont eu et devraient avoir des institutions com la Fondation ACM par rapport à la sensibilisation?

La tuerie syrienne doit être une priorité pour ces organismes et notamment la nôtre. Il faut qu’elle attire l’attention des citoyens méditerranées à ce qui se déroule chez leurs voisins syriens sans tomber dans le piège de la gauche pavlovienne qui déforme la réalité et qui détruit l’authenticité de l’engagement citoyen en se ralliant aux dictateurs sous prétexte de combattre le radicalisme religieux. Le choix entre la peste et le choléra est une fausse calcule. Les citoyens libres et qui soutiennent la démocratie dans le monde doivent combattre et les dictatures et les obscurantistes.