Nibras Chehayed, jésuite et poète de la révolution – par Pierre Prier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 16 mars 2012

Les textes du Syrien Nibras Chehayed, écrits dans une langue à la fois simple et soutenue, possèdent la puissance des grands poèmes de la Résistance française.

La Révolution syrienne a son poète. C’est un jésuite. On sait peu de chose du père Nibras Chehayed, originaire du sud du pays et à peine âgé de 30 ans. Il a étudié à Homs, où l’ordre possède une maison, et vit aujourd’hui en exil au Liban. Sa voix est en train de devenir celle des révoltés. Une voix humaine, forte et bouleversante. Ses textes, écrits dans une langue à la fois simple et soutenue, possèdent la puissance des grands poèmes de la Résistance française.

L’une des dernières parutions, publiée dans le quotidien libanaisal-Safir, évoque immédiatement le célèbre texte de Louis Aragon, La Rose et le Réséda, sur la mort de deux résistants, l’un chrétien et l’autre athée, «Celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas…» Aragon le communiste franchissait les lignes idéologiques en évoquant le sacrifice d’un chrétien. Chehayed le chrétien ose célébrer celui d’un «sans Dieu», dans une région où il est culturellement presque impossible de se dire athée.

Les évêques interpellés

Sous le titre «La Syrie entre les noms de Dieu et les noms de la mort» le père Chehayed rapporte l’assassinat d’un manifestant parmi d’autres.

«L’un des millions de martyrs syriens est mort sans religion. Il criait avec les manifestants: “Nous irons au paradis en martyrs par millions!” Il criait parce qu’il était avec eux. Il criait parce qu’il les aimait, pourtant il n’était pas croyant. Une balle… l’a fait martyr. Mais quel Dieu aurait pu le protéger, le récompenser, ou le pourrait venger? Il est tombé sans ciel pour étendre sur lui sa protection. Il est tombé nu. Il ne rêvait pas du paradis, il ne craignait pas l’enfer. Il ne souhaitait pas être un héros. Il est tombé sans pourquoi. Il est devenu alors une source d’espoir pour tous les croyants. Il est mort et il nous rappelle que la patrie n’a pas de religion, que la liberté n’a pas de religion, que Dieu n’a pas de religion.»

Par cette conclusion provocatrice, le père Chehayed veut envoyer un message fort, le refus de la lecture confessionnelle de la crise. Les Syriens combattent ensemble, chrétiens, musulmans, et même ceux qui ne veulent pas de Dieu, clame le jeune jésuite. Il s’adresse à des hiérarchies religieuses qui ne partagent pas son avis. En février dernier, dans une lettre ouverte intitulée Du sang sur nos autels Nibras Chehayed avait déjà interpellé les évêques des différentes Églises: «De la bouche de certains de nos prédicateurs les mots claquent comme autant de balles…»

Avocats du pouvoir

Aucun responsable chrétien de haut niveau, il est vrai, n’a remis en cause le régime. Certains s’en font même les avocats, au nom de la protection des chrétiens, qui figurent pourtant parmi les victimes, écrit le jésuite: «Comme si jamais aucun chrétien ou aucun laïque ne sortait des mosquées le vendredi (pour se joindre aux manifestations), comme si nous n’étions pas voisins, comme si nous n’avions aucun passé en commun, comme si nous n’avions jamais partagé le pain, le sel ou le café…» Derrière la virulence de Nibras Chehayed se profile toutefois la crainte de voir la réalité rejoindre les souhaits du pouvoir, profitant des divisions de l’opposition.

source: http://www.lefigaro.fr/international/2012/03/15/01003-20120315ARTFIG00645-nibras-chehayed-jesuite-et-poete-de-la-revolution.php