Pas de vacances pour le cauchemar syrien – Tribune de Salam Kawakibi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 26 août 2016
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Alep, scène de combat 2016 – Reuters

Voici le texte de la tribune de Salam Kawakibi, ancien directeur de l’Institut français du Proche-Orient, à Alep, parue ce jeudi 25 août dans Ouest-France. Salam Kawakibi  dirige actuellement l’Arab Reform Initiative. Il est également le petit-fils du grand intellectuel alépin Abd al-Rahman Kawakibi, auteur de textes importants sur la démocratie (en 1902),  parus cette année sous sa direction sous le titre « Du despotisme » chez Actes Sud.

« Les dates se renouvellent dans les discours onusiens pour désigner des deadlines pour la fin espérée de la tuerie en Syrie qui perdure depuis mars 2011. Cependant, les vacances sont là et il ne faut pas déranger la quiétude des décideurs de ce monde.

Dès lors, il est presque inutile de rappeler les origines du « cauchemar syrien » et de répéter à l’envi que c’est l’histoire d’une révolte pacifique réprimée dans le sang et qui a été militarisée avec une volonté explicite de l’avorter.

Il est presque inutile désormais de décrire la lâcheté de ladite « communauté internationale », notamment celle des Etats-Unis : hormis les beaux discours, le peuple syrien est livré à son sort.

Il est presque tout aussi inutile de souligner que tous les régimes arabes ont œuvré ardemment et par tous les moyens- services de renseignements, armements, diplomaties, etc.- afin de transformer une révolution populaire en catastrophe humanitaire, comme pour servir d’exemple à leurs propre populations. »

 

Il est presque tout aussi inutile de souligner que tous les régimes arabes ont œuvré ardemment et par tous les moyens- services de renseignements, armements, diplomaties, etc.- afin de transformer une révolution populaire en catastrophe humanitaire, comme pour servir d’exemple à leurs propre populations.

Il est presque inutile ainsi de révéler le rôle destructeur de la Russie, d’énumérer les massacres que son armée a perpétrée contre les civiles, violant les conventions internationales sur l’usage des armes interdites, telles que les bombes à fragmentation et au napalm. A cette Russie qui crie victoire devant la souffrance humaine, s’ajoute la complicité de certains des élus européens qui félicitent de temps à autre ces bourreaux, à des fins idéologiques ou lucratifs, n’importe.

Il est presque inutile enfin de signaler l’implication iranienne par l’entremise de ses bras armés irakiens, libanais et afghans dans la chaîne diabolique des massacres, en s’appuyant sur une idéologie confessionnelle, contre les civils syriens.

Après un long sommeil moral, le réveil s’annonce dur pour les Occidentaux : les flux des réfugiés et les attentats terroristes.

Notre conscience s’est contentée d’observer cyniquement et longuement, avec une impuissance cuisante, l’arène syrienne où le sang coule à flot et où on ne compte plus les morts. Ce que nous avons vécu n’est qu’une goutte au regard de l’épreuve traversée par cette population qui a osé se soulever pour sa liberté, après 54 ans de tyrannie,.

Si la période électorale privilégie de débattre de questions aussi cruciales que celle du « burkini », en invitant même des intellectuels à considérer que les porteuses sont des « militantes », ce niveau « raffiné » du débat public marginalise fortement les sujets « légers » comme celui d’un massacre à ciel ouvert, qui a coûté la vie à plus que 300 milles êtres humains, tout près de notre Europe éclatée.

En revanche, nous n’éprouvons aucune indécence à rappeler, d’une manière récurrente, les « valeurs européennes », en soutenant le retour de la dictature en Egypte ou en essayant de promouvoir la réintégration d’autres bourreaux sur la scène internationale. Nos « valeurs » ne deviennent tangibles qu’au moment où nos grandes entreprises perdent des marchés ou que nos intérêts deviennent menacés. Le soutien implicite de certains parmi nous à un coup d’Etat militaire en Turquie ne doit pas étonner les avertis, qui se rappellent de l’appui inconditionnel aux militaires égyptiens, ou l’alliance rentable avec les monarchies pétrolières.

Ces fameuses « valeurs » sont évocables seulement au moment où nous traitons par exemple des libertés en Turquie, bafouées par le gouvernement qui ne nous plait pas. Ainsi, ces « valeurs » ne surgissent qu’au moment de développer un discours islamophobe creusant la fracture au sein de nos propres sociétés.

Les vacances se passent paisiblement. Durant nos bains de soleil, des bains du sang inondent l’humanité en Syrie.

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Lire également Entretien avec Salam Kawakibi :

« La Syrie que j’ai connue n’existera plus »

Extrait de « Du despotisme »