Point de vue (1) : Quelle paix dans les villes « mises au pas » en Syrie ? par Marc GOGNON

Article  •  Publié sur Souria Houria le 19 octobre 2011

Les communiqués du pouvoir sont formels et les premières observations paraissent le confirmer : les villes syriennes, parmi les plus rebelles, ont été « mises au pas » par le régime. Les grands cortèges de Hama et de Deïr al Zor s’estompent, en dépit de la persistance de quelques irréductibles à manifester chaque vendredi. L’heure n’est plus, en apparence, à une contestation englobant la totalité des villes.

Plutôt que de chercher dans les récits de l’agence de presse officielle syrienne SANA une quelconque vérité, il faut tenter de recouper et de clarifier la situation des différentes agglomérations syriennes. Une phase de contestation avait atteint les centres urbains, souvent depuis les banlieues. Hormis la ville de Homs, qui connait une situation particulière, toutes ont été le théâtre de l’envoi répété de colonnes de blindés. La répression à l’arme lourde a sévi dans certains de leurs quartiers. Le bilan officiel reste encore sujet à caution tant que nul observateur neutre ou indépendant n’aura pu accéder au cœur de ces villes.

Le pouvoir aurait-il donc repris en main la situation?

La présence maintenue de check point et de barrières de contrôle à l’intérieur des villes, qui interdisent l’accès à un ou à plusieurs quartiers, paraît plutôt indiquer l’inverse. La ville de Deïr al Zor, qui porte les stigmates de la bataille urbaine de juillet dernier, est encore isolée et un contrôle sévère s’exerce sur le moindre déplacement d’habitants en son sein. De même, le quartier de Raml al Janubi à Lattaquié reste encerclé à l’heure actuelle par des forces de sécurité abritées derrière des sacs de sables. Ce sont bien les traces, aussi discrètes soient-elles, d’un système de contrôle mis en place par le régime.

Incapable de rétablir son autorité, le pouvoir syrien prend en otage une partie des villes. Il les isole. Il tente de les couper du monde extérieur, sanctionnant collectivement l’adhésion à la rébellion de leurs habitants. Mais cette punition apparaît sans effet : chaque retrait des forces de sécurité et de leurs auxiliaires laisse le champ libre aux contestataires, qui se lancent une fois encore de toute leur énergie dans la protestation. Ces secteurs « isolés » sont en réalité les témoins les plus visibles de la faillite du régime, de sa faiblesse, de son incapacité à reprendre la main, de son impuissance face au mouvement de rejet populaire qui le frappe.

Seuls quelques quartiers étant concernés, doit-on en déduire que la majorité d’entre eux auraient désormais viré en faveur du régime ? Seraient-ils prêts à le suivre dans son escalade de violence ? Probablement pas. Il faut plutôt voir là un début de fragmentation de l’espace syrien.

Aux premiers temps du mouvement, avant l’été surtout, la foule partisane desmenhabbakjis (ceux qui font profession de crier leur amour pour le chef de l’Etat), armés de drapeaux aux couleurs du pays et d’effigies du président, envahissaient le centre des villes au volant de belles voitures, klaxonnant et invitant – contraignant ? – les passants à se joindre à leurs démonstrations. Or celles-ci se raréfient. Dans les villes « reconquises », elles ont tout simplement disparu. De même, ceux qui pour des raisons souvent économiques, se retrouvaient dans les masira (marches) du pouvoir, n’osent plus venir dans les centres villes.

La situation se fige donc autour des espaces que le mouvement de contestation s’est appropriés. Qu’un quartier soit entièrement bloqué, ou que seuls quelques points de contrôle soient établis en son sein, la situation est identique. Pliant devant le recours immodéré à la violence et aux arrestations, les manifestations ont diminué. Elles se sont espacées dans le temps. Mais la mobilisation n’a rien perdu de son énergie : elle l’utilise différemment. En revanche, une conscience claire de l’appropriation de l’espace a vu le jour et s’est affirmée. Réfugié derrière les forces de sécurité, le pouvoir tient un espace reconquis. Mais celui-ci laisse entrevoir des « zones occupées » qui ne confirment pas le rétablissement de son autorité.

La paix est peut-être revenue. Mais la vie ?

Marc GOGNON

source: http://syrie.blog.lemonde.fr/2011/10/18/point-de-vue-1-quelle-paix-dans-les-villes-mises-au-pas-en-syrie/