Portraits de Syriens: « Le seul fait de rester est un acte de résistance » – par Hala Kodmani

Article  •  Publié sur Souria Houria le 5 novembre 2013

Raqqa (Syrie)- "Les conditions de travail avec les pénuries de matériel, de pièces de rechange pour les appareils et de médicaments sans parler des raids aériens sont insoutenables pour les médecins. On n'arrive plus à soigner et à sauver des vies par manque de moyens, élémentaires parfois!" M. Abdelaziz

Le Dr M., 54 ans, gynécologue à Raqqa continue de donner ses consultations dans son cabinet alors que tant de médecins sont partis, tout en pestant contre les extrémistes.

Raqqa, grande ville du nord de la Syrie, est administrée depuis le mois de mars par la rébellion. Notre envoyée spéciale a rencontré quelques-uns de ses habitants qui témoignent sur leur vie quotidienne à l’heure du pouvoir djihadiste. Pendant une semaine, L’Express vous livre ces tranches de vie. Aujourd’hui, un gynécologue.

Le Dr M. a le visage fermé quand il accueille une patiente amie dans son spacieux cabinet au 1er étage d’un immeuble en plein centre-ville. Avant même de l’interroger sur son problème médical, il engage la conversation sur la situation dans la ville. « Jusqu’où veulent nous entraîner ces bandits sortis de je ne sais où et d’un autre âge ? », s’énerve le gynécologue en parlant des extrémistes de « l’Etat islamique d’Irak et du Levant » qui tentent d’imposer leur loi à Raqqa.

 

 

Contrairement aux nombreux habitants qui peuvent éviter le contact avec « ces bandits », le médecin ne peut refuser de les accueillir. « Ce sont eux qui se marient le plus et font des enfants ces temps-ci », précise-t-il à propos de cette nouvelle clientèle. Car, outre les consultations dans son cabinet, le Dr M. travaille dans une clinique privée de la ville, en particulier pour les accouchements. « Quand ils amènent leur femme, je leur interdis l’accès au-delà du hall d’accueil pour des raisons hygiéniques et de sécurité: je leur explique clairement que leurs cagoules ou leurs barbes sont incompatibles avec un environnement médical! » raconte le médecin joufflu, rasé de près. « Ils n’osent pas trop me contrarier, surtout que j’ai l’âge de leur père et l’autorité de la profession… Mais ils préfèrent de plus en plus avoir affaire à mes collègues femmes. »

Le Dr M. aurait pu suivre l’exemple des dizaines de ses collègues qui ont quitté Raqqa depuis qu’elle n’est plus sous le contrôle de l’Etat. « Les conditions de travail avec les pénuries de matériel, de pièces de rechange pour les appareils et de médicaments sans parler des raids aériens sont insoutenables pour les médecins. On n’arrive plus à soigner et à sauver des vies par manque de moyens, élémentaires parfois! » Il aurait pu s’installer pour un temps à Damas où il a loué un appartement pour ses deux fils qui poursuivent leurs études de médecine et où sa femme se trouve le plus souvent. « Je m’interroge parfois, mais je ne me résoudrai pas à abandonner ma ville, mes proches, mon cabinet et ma clientèle de 25 ans. Je ne me mêle ni de politique, ni de l’organisation des services médicaux comme le font d’autres collègues engagés. Je trouve que le seul fait de rester sur place et de continuer à travailler est en soi, aujourd’hui, un acte de résistance. »

source : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/portraits-de-syriens-le-seul-fait-de-rester-est-un-acte-de-resistance_1291853.html

date : 21/10/2013