Pourquoi Alep est-elle tombée ? Une analyse militaire, de l’intérieur

Article  •  Publié sur Souria Houria le 19 mars 2017

Pourquoi Alep est-elle tombée ? Une analyse militaire, de l’intérieur

on Süriye Gündemi [L’Ordre du jour en Syrie] (Turquie), 18 janvier 2017

traduit du turc par Marcel Charbonnier

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Ce qui a été dénommé “la guerre d’Alep” a commencé au mois d’août 2012 lorsque les insurgés syriens réussirent à prendre le contrôle d’une partie de cette ville, la plus grande de Syrie. Cette guerre s’inscrit parmi les plus importants conflits urbains de l’époque contemporaine. Mais à la suite de l’évacuation de cette ville de tous les éléments armés de l’insurrection, le 22 décembre 2016, cette guerre urbaine s’est conclue sur une victoire des forces alliées du régime Assad. Alors que depuis le début 2013 les quartiers de l’Ouest d’Alep contrôlés par le régime étaient soumis aux bombardements des insurgés, le rapport des forces se retourna peu à peu jusqu’à ce que, quatre ans plus tard, le régime parvint à prendre le contrôle de la totalité d’Alep-Est en recourant à des bombardements impitoyables.

Le régime et ses alliés n’ont réussi à bombarder les quartiers tenus par les insurgés qu’au cours des trois derniers mois de cette guerre urbaine qui se prolongeait depuis quatre ans (une campagne de bombardements [du régime] entreprise durant l’été avait pu être arrêtée au bout de quelques semaines seulemnt). Mais les efforts déployés à la fin du mois d’octobre 2016 durant deux semaines par les Rebelles pour faire cesser des bombardements du régime étant demeurés vains, les lignes de défense des insurgés commencèrent à tomber de manière ininterrompue durant les quelques semaines qui suivirent et la ville d’Alep finit par tomber [totalement] aux mains des forces alliées du régime Assad en relativement peu de temps.

La Vieille Ville d’Alep a été le théâtre d’une guerre urbaine dont le rythme a été profondément conditionné par l’évolution du conflit syrien – une guerre urbaine au cours de laquelle ont été utilisés des éléments conventionnels et asymétriques, ainsi que des armements hybrides mis au point localement. La guerre d’Alep a connu, en matière d’affrontements entre  une armée rrégulière et des acteurs non-gouvernementaux, et ce, sur les plans militaires technique, tactique et stratégique, d’importants développements qui entreront dans l’Histoire.

Nous, à Suriye Gündemi, nous nous sommes attachés à analyser, du point de vue des combattants de l’Insurrection, la guerre d’Alep sous l’angle militaire – cette guerre qui servira de cas d’espèce, à l’avenir, dans les académies militaires. Nous avons particulièrement veillé à mettre en évidence les facteurs qui ont entraîné la défaite des Rebelles dans la guerre d’Alep.

Parallèlement à la déclaration faite sous le titre “Les raisons pour lesquelles nous avons perdu le contrôle de de la ville [d’Alep]” par le chef que s’étaient choisi les insurgés, Abu Abdel-Shadda, nous avons tenu à partager [avec vous] cette analyse de ce qui a été vécu de l’intérieur, sur le front – du point de vue des insurgés – en nous appuyant sur des données précises émanant de sources rebelles, de rencontres que nous avons eues avec des commandants de l’insurrection et d’études de terrain, que nous avons effectuées en Syrie.

 

Les étapes du bombardement d’Alep

Première étape

Sous couvert de combattre Daesh, la Russie a commencé à intervenir militairement dans le conflit syrien à partir du mois de septembre 2015 et à prendre pour cible les insurgés : peu à peu, le rapport de force militaire sur le terrain s’est modifié – au profit du régime Assad. Tirant profit de cette situation, le régime Assad et des forces liées à l’Iran ont mis en oeuvre une stratégie militaire prenant Alep directement pour cible. Environ 5 semaines après le début de l’intervention russe, le régime Assad parvint à faire cesser le bombardement [rebelle] contre la base aérienne de Kuweiris, au nord-est d’Alep, si bien que celle-ci put reprendre du service. Pour les campagnes [de bombardement] ultérieures, cette base aérienne fut modifiée afin de servir à la fois de ligne de front auxiliaire et de piste de décollage extrêmement importante pour l’utilisation de ses avions bombardiers par le régime. À la suite de cette reprise de la base de Kuweïris, le régime Assad et ses alliés, qui voulaient isoler les quartiers contrôlés par les insurgés à Alep, entreprirent étape par étape une stratégie de bombardements systématiques de ces quartiers.

À cette fin, leur première initiative consista à viser les routes d’approvisionnement reliant Alep à la Turquie, au nord. Au mois de février 2016, le régime et ses milices supplétives parvinrent à casser, à la suite d’une offensive lancée à partir de la localité de Bashköy, le blocus imposé depuis trois ans par les insurgés aux villes de Nubbol et de Zahra. Les intenses bombardements de l’aviation russe furent l’élément décisif dans cette victoire du régime et de ses supplétifs.

Longtemps avant cet assaut, la région de Nubbol et de Zahra avait été bombardée par les insurgés de trois côtés, l’un de ces trois fronts ayant été la limite de la région contrôlée par [les Kurdes du] YPG. En parvenant jusqu’à cette région à partir de Bashköy, le régime avait atteint deux de ses objectifs : d’un côté il mettait un terme aux bombardements des insurgés, et de l’autre il coupait la principale route d’approvisionnement permettant de ravitailler les insurgés d’Alep – à savoir celle qui relie cette ville à la ville d’E‘zâz, au nord. Ensuite, avec le soutien aérien de la Russie, les forces [kurdes] du YPG réussirent à prendre le contrôle de Tall Rif‘at et à constituer ainsi une région tampon entre les forces du régime et celles des insurgés, au nord. Durant l’offensive du YPG contre Tall Rif‘at, une offensive de Daesh contre Mâri‘ mobilisait les défenses des insurgés. Mais, par ailleurs, la prise de l’École d’Infanterie par les hommes de Daesh, avant même l’opération qui allait partir de Bashköy, avait constitué un autre élément facilitateur pour l’offensive militaire du régime.

Deuxième étape

A la suite de la campagne contre Nubbol et Zahra, en juin 2016 la deuxième phase des bombardements du régime contre Alep commença. L’aviation russe et l’aviation du régime bombardèrent sans relâche, systématiquement, l’autoroute de Castello – la seule route continuant à desservir Alep. Du fait des bombardements  terrestres des unités alliées au régime à partir de Handarat, au nord, en direction des fermes de Mallah – et de ceux du YPG, à partir de la région de Shaikh Maqsûd, au sud – l’autoroute de Castello fut rendue inutilisable. Cela signifiait qu’Alep pouvait désormais être bombardée ad libitum. Si les rebelles avaient pu mener une offensive contre les forces du YPG à Shaikh Maqsûd, ces campagnes de bombardement auraient été impossibles. Les forces du YPG alliées du régime Assad ayant réussi à s’emparer des fermes de Mallah à partir du sud, elles parvinrent avec les forces du régime à prendre le contrôle de l’autoroute de Castello. Avec la chute de cette route stratégique, au mois d’août 2016, le régime tenait désormais les Insurgés d’Alep à la merci de ses canons…