Préparation de Genève II: «Tous les amis de la Syrie sont responsables» de la situation actuelle – interview de Salam Kawakibi par Juliette Rengeval

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 janvier 2014

Ce dimanche se tient à Paris une réunion avec l’opposition syrienne d’un côté, les Amis de la Syrie de l’autre, les puissances occidentales et les pays du Golfe. Salam Kawakibi, chercheur en sciences politiques et en relations internationales, ancien directeur de l’Institut français du Proche-Orient à Alep en Syrie et directeur adjoint à l’Arab Reform Initiative analyse les enjeux de ce rendez-vous.

RFI : A quoi va servir cette réunion de Paris ?

Salam Kawakibi : En principe, cette réunion est prévue pour préparer Genève II. En réalité, c’est aussi pour forcer l’opposition politique syrienne à accepter d’y participer sans pré-conditions et sans avoir aucune garantie de la part de ladite communauté internationale et des « Amis de la Syrie ».

Les pré-conditions, c’est le sort réservé à Bachar el-Assad dans une transition syrienne. Est-ce cela le principal point de désaccord ?

Les pré-conditions, c’est le respect de Genève I sur lequel il y a eu cet engagement de la communauté internationale et de l’opposition, pour être présent à Genève II. Mais il semble que les forces « décideurs » au sein des forces internationales veulent oublier un petit peu les détails de Genève I, qui stipule très clairement : un gouvernement de transition qui a toutes les autorités et le pouvoir et le départ du régime actuel.

Est-ce qu’on peut attendre des résultats de cette réunion de Paris ?

Bien entendu. Les résultats peuvent être l’acceptation de principe de la part de l’opposition politique présente affaiblie, divisée, et pas seulement par ses incapacités, mais aussi par le traitement injuste et l’incapacité, l’indécision, de la communauté internationale de la soutenir depuis sa création.

Il faut dire les choses telles qu’elles sont. Maintenant, on va forcer la main de cette opposition pour accepter d’aller à Genève dans les conditions actuelles. Mais il faut savoir qu’elle n’aura pas la possibilité de prendre des décisions réalisables sur le terrain après cet affaiblissement chronique.

Quand vous dites qu’au moment de Genève I, c’était très clair sur la transition et sur la non participation de Bachar el-Assad à cette transition, qu’est-ce qui a fait changer les Occidentaux ? Comment se fait-il qu’aujourd’hui, finalement, le régime de Bachar el-Assad fait aussi toujours partie de la solution ?

Après la fin de l’Allemagne nazie, que le général Franco, fort allié de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, a été recyclé au sein de la communauté internationale, rétabli dans sa position pour faire face au communisme, soi-disant, par les libéraux et les démocrates occidentaux.

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Maintenant, il est fort probable que cela soit reproduit d’une manière ou d’une autre, sous la bannière de faire la guerre contre le terrorisme. Ce terrorisme qui est issu de l’incapacité de la communauté internationale, devrait agir rapidement et fermement, même au niveau diplomatique et politique, dès le début de cette révolution qui a été matée dans le sang et la mort.

Vous faites le parallèle entre la guerre d’Espagne et le conflit actuel en Syrie. Vous l’avez dit, il y a une opposition qui est morcelée, divisée, affaiblie. Est-ce que malgré tout les Occidentaux ne sont pas obligés de prendre acte aujourd’hui des affrontements entre diverses tendances de l’opposition syrienne, notamment d’islamistes liés à al-Qaïda, pas tous mais une partie d’entre eux, qui combattent d’autres opposants ?

Cette incapacité et cette indécision de l’Occident à soutenir l’opposition dès le début a amené à ce résultat, avec un travail minutieux du régime, qui a réussi à créer ce danger et à le renforcer.

Maintenant on voit très bien dans les confrontations qui se déroulent sur le terrain, que c’est les rebelles syriens qui sont en train de mettre l’ordre ou d’essayer de mettre l’ordre, avec le peu de moyens qu’ils ont, face à ces terroristes d’al-Qaïda infiltrés en Syrie, par aussi une volonté régionale de dominer la scène intérieure syrienne.

Cela n’est pas tout à fait la responsabilité seulement des autres. C’est de la responsabilité des Syriens eux-mêmes. Mais on ne peut pas continuer à soutenir les tyrans et accepter les tueries, sous prétexte que cela est mieux qu’un terrorisme qu’on a nous-mêmes renforcé, qu’on a nous-mêmes encouragé.

Qui visez-vous quand vous dites que le terrorisme a été renforcé et encouragé ? Est-ce que certains pays amis de la Syrie sont responsables de ce renforcement ?

Vous savez, tous les amis de la Syrie sont responsables. Ceux qui n’ont pas voulu faire aucun geste clair dans le soutien de l’opposition démocratique syrienne sont responsables. Ceux qui ont essayé de manipuler les opposants à l’intérieur de la Syrie sont responsables. Ceux qui ont essayé d’avoir leur part du gâteau sur la scène intérieure syrienne sont responsables.

Et aussi les voisins de la Syrie et notamment l’Irak et la Turquie sont responsables. En fin de compte, les Syriens sont les premiers responsables parce qu’ils ont accepté d’être aussi sujets de manipulations. Mais cela est tout à fait normal dans une situation pareille. Les Syriens se retrouvent maintenant à faire leur révolution contre un régime tyrannique, contre des terroristes et contre l’indifférence internationale pathétique.

Vous l’avez, dit, l’opposition syrienne aujourd’hui a peu de moyens. Les Américains et les Anglais par exemple, avaient décidé de cesser leur livraison d’armes, de peur que ces armes ne retombent finalement, entre les mains d’al-Qaïda. Est-ce que l’opposition syrienne à Paris peut demander demain un plus fort soutien ? Quel genre de soutien est-ce qu’elle peut demander aux Occidentaux en échange peut-être de sa participation à Genève II ?

D’abord, les Américains et les Anglais n’ont jamais fourni des armes, ou très peu d’armes, à l’opposition démocratique syrienne. Ensuite, l’opposition qui va être présente à Paris demandera demain peut-être quelque chose de réalisable, comme l’aide humanitaire.

On sait très bien qu’il y a des localités, notamment le camp palestinien de Yarmouk, qui sont affamées. Les gens mangent des cadavres, mangent des chats et des chiens. Il y a aussi Homs qui est sous encerclement, des centaines de personnes meurent à cause de la famine. Il y a une situation humanitaire très critique. Peut-être ce sera l’une des choses qui va être la plus discutée par l’opposition, vu son incapacité à forcer la main à l’Occident de lui donner de l’aide réelle sur le terrain.

Aussi peut-être, ils vont reparler des No fly zones pour protéger aussi des localités de bombardements aveugles, avec les barils de TNT qu’ils déroulent tous les jours sur les localités civiles et qui touchent très peu de rebelles.

source : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20140111-paris-amis-syrie-geneve-assad-al-qaida-responsables-situation-actuelle-le-pays

date : 12/01/2014