Projet dans l’est de la Méditerranée pour la Russie ? Par Subhi HADIDI

Article  •  Publié sur Souria Houria le 26 janvier 2016

Projet dans l’est de la Méditerranée pour la Russie ?
par Subhi HADIDI traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

ARTICLE • PUBLIE SUR SOURIA HOURIA LE 17 JANVIER 2016
المشروع الروسي: شرق المتوسط – صبحي حديدي

Subhi Hadidi

Les données annoncées, et non plus seulement des indices et des supputations, confirment que l’intervention russe en Syrie et ses conséquences ne seront pas l’affaire d’une centaine de jours et que le soutien apporté au régime de Bachar al-Assad depuis les airs visant à permettre à son armée d’initier un changement tangible sur le terrain ne constitue pas le sommet du projet du président russe Vladimir Poutine en Syrie, ni de manière générale dans l’est du bassin méditerranéen. En effet, au cours des derniers jours écoulés, après la révélation du siège imposé à Madaya et de la famine infligée à sa population, le surréalisme russe n’atteignit pas encore son apex lorsque quelques avions russes ont lancé ce que Moscou a appelé des « secours alimentaires » après que ses bombardiers Sukhoï 24 eurent fait pleuvoir sur les civils (y compris de cette même localité) leurs bombes à fragmentation et leurs missiles surpuissants.
De même, le fait que le Kremlin ait choisi de faire tomber le voile, provisoirement, sur les détails d’un accord conclu en août 2015 avec Al-Assad, ne doit rien au hasard. Cet accord donne à la Russie le droit d’utiliser la base militaire aérienne syrienne de Hamimim, proche de Lattaquié, jusqu’à nouvel ordre. De même que ne devait rien au hasard le fait que Poutine ait tenu à annoncer personnellement que l’asile politique ne serait accordé à Assad – au cas ô combien improbable où celui-ci serait battu aux élections présidentielles syriennes de 2017, bien entendu – serait pour la Russie une décision plus facile à prendre que cela n’avait été le cas en ce qui concernait Edward Snowden, cet ancien collaborateur des services de renseignement américains (CIA), ni le fait que les officines de la propagande russe se soient focalisées sur les informations relatives au déploiement de stations d’alerte précoce, de bombardiers T-50 et de missiles Su-35 d’une manière bien propre à inquiéter le voisin turc.
Certes, l’objectif immédiat que la Russie vise en s’installant en Syrie n’est autre que l’imposition d’un fait accompli sur le terrain, un fait accompli fondamentalement militaire aux conséquences politiques immédiates, qui permet de sauver autant que faire se peut ce qui est encore susceptible de l’être parmi les divers éléments d’un régime ami, et ce, quoi qu’il en soit du départ ou non d’Assad du pouvoir en Syrie. Il est vrai, aussi, que la présence militaire russe actuelle en Syrie peut rapidement être renforcée (voire démultipliée) rapidement, ce qui permettrait à la Russie de réaliser le rêve ancestral des Tsars, celui d’installer un pied-à-terre à proximité des « mers chaudes » sous la forme d’une base militaire formidable, la plus puissante que n’aurait jamais construite jusqu’ici la Russie dans l’ensemble du Moyen-Orient.
Mais il est tout aussi vrai, en contrepartie, qu’au cœur de ce « Moyen-Orient », il existe une équation compliquée, peut-être la plus difficile de toutes à résoudre, qui a pour nom Israël. Et Moscou ne pourra pas poursuivre son ambitieux projet méditerranéen sans que celui-ci colle en tous points avec les divers intérêts (en particulier sécuritaires et militaires) de Tel-Aviv. En ce sens, la visite du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu à Moscou (intervenue aux premiers jours de l’intervention militaire russe en Syrie), tout en jetant les bases fondamentales du partenariat russo-israélien, avait défini les frontières de cette présence russe (au Moyen-Orient) du point de vue israélien. Et cette visite n’a pas tardé à porter ses fruits, en réalité, lors de raids de l’aviation israélienne contre des positions du « parti de Dieu » (le Hezbollah) dans les profondeurs du territoire syrien : parmi ces raids, l’assassinat de Samir Al-Qintâr, au vu et au su de cette même armada russe.
C’est là le niveau suprême atteint par le surréalisme du masque de théâtre de la Russie en Syrie, car ce raid portait atteinte au célèbre « axe de l’irrédentisme » (mihwar al-mumâna‘a) allégué : comment pourrait-on commercialiser cette contradiction flagrante dans la position de la Russie, qui protège le régime d’Al-Assad tout en étant complice d’Israël sous les yeux de comparses soi-disant « irrédents » ? Et s’il est vrai que, par le passé, des considérations politiques parfaitement opportunistes ont pu donner lieu à une coopération directe entre Israël et la République Islamique d’Iran (le scandale Iran-contra, avec vente d’armes israéliennes au régime de Téhéran), le présent du « parti de Dieu » montre très clairement que le fusil de ce qu’il reste de sa prétendue « résistance » est pointé non pas (ou plus) contre Israël, mais qu’il s’est retourné contre l’insurrection du peuple syrien et qu’il contribue directement à assiéger et à affamer des civils syriens.
Il reste, naturellement, la théorie de l’enlisement (de la Russie) dans un (nouveau) marécage. C’est le sort sur lequel comptent les adversaires de Moscou, à Washington et au sein du Pacte Atlantique – un sort que ne font que confirmer des cas analogues d’interventionnisme d’autres grandes puissances dans la région du Moyen-Orient.
Au final, pour Moscou, la moisson des fruits (de son intervention militaire) sera beaucoup plus difficile que l’atterrissage de ses bombardiers sur les pistes de sa base militaire de Hamimim : ça sera une autre toute autre paire de manches.
Un aventurier madré ayant autant de bouteille que Poutine devrait en être conscient.
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