Quelque chose ne tourne pas rond dans le progressisme de nos progressistes et dans le révolutionnarisme de nos révolutionnaires…par Hâzem Sâghiyé

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 juin 2015

Hazem Saghyeh

Quelque chose ne tourne pas rond dans le progressisme de nos progressistes et dans le révolutionnarisme de nos révolutionnaires…

par Hâzem Sâghiyé

traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

Il est compréhensible – mieux : il est désirable, en un certain sens – que les factions dépendantes de l’Iran se soient toujours opposées à la Révolution syrienne (ce qu’elles continuent à faire), et ce, depuis son tout début.

En effet, dans le même temps, celle-ci entre en collision avec les concepts stratégique et intellectuel du soi-disant irrédentisme (mumâna‘a) tel que Téhéran le dirige et elle comporte pour la région du Moyen-Orient un certain niveau de rationalité que remet gravement en cause la conjonction de l’expansion iranienne et du repli arabe.

Il est également compréhensible que des groupuscules gauchistes dispersés qu’habite une haine constitutionnelle à l’encontre des Etats-Unis soient contre la Révolution syrienne, dès lors que celle-ci a bouleversé la carte des contradictions et des priorités, faisant de la question « tyrannie ou liberté » en Syrie une priorité sur d’autres considérations qui avaient été imposées décennie après décennie aux peuples arabes, soit par la terreur et la force, soit par la séduction et la manière douce.

Cela étant, il est une question que l’on ne saurait plus longtemps nier, ni même minimiser en se contentant de la passer sous silence en tournant autour du pot, à savoir celle des problèmes que rencontre la Révolution syrienne dans ses rapports avec d’importants partenaires progressistes à l’étranger. C’est ce que nous avons constaté depuis le tout début de la Révolution syrienne, mais cela n’a fait que s’aggraver par la suite tant en Turquie qu’en Tunisie, et ailleurs.

De fait, c’est là un problème qui n’aurait jamais dû apparaître, ni dans le principe ni dans la pratique. [Mais il est apparu], et ce qui l’a créé, c’est en même temps la crise du progressisme que connaissent les progressistes en dehors de la Syrie, et celle du révolutionnarisme de la Révolution en Syrie même.

En effet, le progressisme des progressistes n’est pas à l’abri de la réfutation et de la mise en doute dès lors que ses champions n’accordent aucune marque d’intérêt pour les souffrances des Syriens et dès lors qu’ils excluent de leurs agendas modernistes et progressistes la question de la tyrannie et le problème du droit [de quiconque] à se révolter contre une dictature telle que la dictature des Assad, qui remonte loin dans le temps et dont la transmission est devenue héréditaire, ce qui n’en diminue nullement l’emprise.

L’on dirait que la laïcité et l’égalité entre les sexes, ainsi que toutes les avancées sociétales requises, ne sont susceptibles d’advenir que par le seul geste de bonté des dirigeants politiques ou des grands intellectuels, isolément de tout mouvement, seule la liberté du mouvement social étant pourtant susceptible d’en garantir la validité.

A contrario, le révolutionnarisme de la Révolution [syrienne] est imparfait dès lors que des forces telles que Dâ‘esh et Al-Nuçra peuvent en devenir les forces principales les plus actives et les plus influentes (même s’il est licite de rechercher certaines des causes de cet état de fait ici ou là dans telle ou telle prise de position internationale ou régionale, dans la venue en Syrie de djihadistes étrangers ou encore dans l’élargissement [à point nommé par Assad] de takfiristes [qui étaient] emprisonnés [en Syrie].

[Ces faits, qui sont réels] ne sauraient nous dispenser de l’obligation d’en rechercher la cause principale, à savoir certaines manipulations de la société durant des décennies par un pouvoir sécuritaire effrayant.

En effet, par définition, les takfiristes ne rejettent-ils pas tout soutien et tout allié, non seulement à l’extérieur, mais même à l’intérieur de la Syrie ? (leurs dernières victimes en date ayant été les villageois druzes de Qalb Lôzé).

Même si leur discours se fondait sur le fait qu’ils sont la majorité et que, par conséquent, ils auraient le droit de faire ce qu’ils veulent, la conclusion de ce discours ne serait pas la reconnaissance que les autres (y compris les sunnites qui ne partagent pas leurs vues) constitueraient une minorité. Les takfiristes constituent donc une soi-disant « majorité », en face de laquelle il n’y a personne. Leur soi-disant « majorité » fait face à des forces qu’ils estiment impies ou déviantes et dont le sort mérité et inéluctable est la mort et l’éradication.

Je dis cela en ayant à l’esprit les dernières élections en Turquie, qui ont démontré clairement l’éloignement total existant entre l’état d’esprit de la Révolution syrienne et l’état d’esprit des démocrates turcs progressistes…

En dépit de certaines considérations pratiques afférentes à la présence des [nombreux] réfugiés syriens en Turquie et même si l’on doit prendre en compte le poids indéniable de la minorité alévie dans le bloc progressistes turc, qui sont des facteurs qui peuvent expliquer une certaine sympathie pour Erdoğan [chez les révolutionnaires syriens], que dire de ce même éloignement qui existe, aussi, entre l’état d’esprit largement partagé par les progressistes tunisiens et l’état d’esprit général de la Révolution syrienne ?

Comme nous le savons : et la Turquie et la Tunisie font [historiquement] partie des premiers pays du Moyen-Orient [sic ! ndt] à avoir eu une ouverture sur la modernité et sur une certaine tendance au constitutionnalisme. La Turquie et la Tunisie font partie des pays de la région [sic] où vit une importante classe moyenne ayant certaines habitudes sociales [l’auteur écrit taqâlîd, c’est-à-dire « traditions », ndt].

Mais la Turquie est également engagée aujourd’hui dans une expérience démocratique dont ont attesté les élections récentes (même si son horizon n’est pas débarrassé de toute inquiétude), tandis que la Tunisie est elle aussi engagée dans une expérience démocratique dont rien ne garantit qu’elle ne va pas échouer ou s’enliser, mais qui n’en reste pas moins « la plus réussie des révolutions du « Printemps arabe » ».

Cet éloignement entre les deux types d’état d’esprit est préoccupant, et préoccupant, il l’est pour les deux camps.

Il en dit long sur la force des contre-révolutions qui sont à l’œuvre au sein même de nos fragiles révolutions, ainsi que sur l’ampleur du conservatisme qui existe encore à l’intérieur de nos progressismes en quête d’aggiornamento.