Qui veut la place de Souheïr Al Atassi au sein de la Coalition Nationale ? par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 6 mai 2013

« Gardez-moi de mes amis »… Une fois encore, au cours des premiers jours du mois de mai, la Coalition Nationale des Forces de la Révolution et de l’Opposition Syrienne a peut-être fait sien ce mot généralement attribué à Voltaire. Depuis sa reconnaissance internationale,  elle est la cible de critiques récurrentes. Elles proviennent souvent de ses amis, en Syrie et à l’extérieur, voire de ses propres membres. Elles ne sont pas toutes infondées. Mais puisque parfois « à quelque chose malheur est bon », elle a cette fois-ci profité de l’occasion pour fournir des éléments d’information bienvenus sur l’action de l’un de ses bureaux, l’Unité de Coordination et de Soutien.

Coalition Nationale des Forces
de la Révolution et de l’Opposition Syrienne

Le 18 mars 2013, Zaman al-Wasl, un site internet syrien passé à l’opposition, avait annoncé la création au sein de son équipe de journalistes d’un « gouvernement de l’ombre ». Il lui donnait pour mission de « suivre l’activité du chef du gouvernement provisoire, et de lui adresser les conseils ou les critiques » dont il pouvait avoir besoin dans l’accomplissement de son travail. Chacun des membres du futur cabinet de Ghassan Hitto aurait un double dans ce gouvernement de l’ombre, chargé de surveiller « son » ministre, de s’informer de ses agissements heure par heure et dans les moindres détails, de lui rappeler ses promesses et ses engagements, et de le ramener dans le droit chemin en tant que de besoin. Alors que la composition et l’annonce du gouvernement provisoire se faisaient toujours attendre, Zaman al-Wasl avait désigné quelques jours plus tard la journaliste Lama Chammas comme chef de son « gouvernement de l’ombre », faisant observer qu’elle ne portait pas d’autre nationalité que la syrienne et qu’elle n’avait pas prêté serment à l’américaine….

Dans le cadre de ce suivi critique, le site a publié, le 2 mai, des passages d’un rapport sur le fonctionnement de l’un des bureaux de la Coalition Nationale, l’Unité de Coordination et de Soutien, ordinairement désignée sous l’abréviation ACU (Assistance Coordination Unit). Présidé par l’activiste Souheïr Al Atassi, qui est également l’une des 3 vice-présidentes de la Coalition, ce bureau a pour tâche la collecte des dons en provenance des soutiens internationaux de la Coalition. Il en assure la distribution aux Syriens en détresse, en Syrie et dans les camps de réfugiés à l’extérieur, après repérage et hiérarchisation des besoins. Pour allécher les lecteurs, Zaman al-Wasl indiquait dans son titre que l’ACU avait « recruté 150 personnes dont le traitement mensuel moyen est de 10 000 dollars », que « 8 Européens figurent parmi ses employés », et que « le bureau avait déjà reçu des dons pour un montant de 80 millions de dollars ». Pour accroître la curiosité, il occultait le nom du signataire du texte. Mais il indiquait qu’avaient pris part à sa rédaction un groupe d’opposants, dont certains étaient membres de la Coalition. Ses destinataires n’étaient pas précisés.

Souheïr Al Atassi
(@ Reuters)

A en croire ce rapport, l’ACU « emploie 5 Britanniques, 2 Français – tous liés au ministère des Affaires Etrangères de leur pays d’origine – et 1 fonctionnaire de l’Union Européenne ». Deux des Britanniques seraient membres d’un service de renseignement. « La majorité des dirigeants de la Coalition n’aurait connaissance ni de ces recrutements, ni du fonctionnement détaillé de l’Unité ». Ses 150 employés, un nombre qui n’est pas définitif, sont répartis entre l’intérieur et l’extérieur de la Syrie. Certains d’entre eux percevraient jusqu’à 15 000 dollars de salaire, tandis que la moyenne des traitements tournerait autour de 10 000 dollars mensuels. Les auteurs du rapport soutiennent que « la Coalition ne sait pas grand-chose de l’ACU, qui opère de manière autonome et dont le volume des activités est peut-être supérieur à celui de la Coalition elle-même ». Elle vivrait d’ailleurs sur un très grand pied, dans une certaine gabegie, et aurait confié la responsabilité des rémunérations à un fonctionnaire détaché du Foreign Office répondant au nom de Simon.

S’agissant de l’encadrement de l’ACU, le rapport estime que « l’autorité de Souheïr Al Atassi ne dépasserait pas celle d’un président honoraire, et que la réalité du pouvoir serait entre les mains de son directeur exécutif ». Après la nomination de Ghassan Hitto au poste de Premier ministre du gouvernement provisoire et la désignation de son principal assistant, Adib Al Chichakli, comme représentant de la Coalition auprès du Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe, cette fonction aurait échu à Wisam Tarif, dont « personne ne sait par qui et comment il a été choisi ». Précédemment directeur des campagnes d’Avaaz pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord, ce Libano-syrien âgé de 38 ans serait le seul et unique responsable des embauches. Lors des réunions avec les donateurs, il n’autoriserait la présence d’aucun de ses collaborateurs. Il tenterait d’ailleurs de transférer le siège de l’Unité à Beyrouth, pour y bénéficier d’une plus grande liberté de manœuvre qu’en Turquie.

Adib Al Chichakli
(@ http://bit.ly/WARzaq)

Pour les auteurs du rapport, « il est donc impossible de parler jusqu’à présent de véritable travail en équipe au sein de cette Unité où règne au contraire la pagaille administrative ». Mentionnant une réunion des donateurs à Gaziantep, à laquelle seuls des Etats occidentaux ont participé, ils vont jusqu’à affirmer que « la plupart des rencontres entre l’Unité et les délégations européennes servent à ces dernières à recueillir renseignements et informations, davantage qu’à fournir des aides ».

Reproduisant le texte de ce rapport dans son intégralité, au contraire de Zaman al-Wasl, le site All4Syria soupçonne que ses auteurs sont des « néo-islamistes ». Il s’agirait de Syriens qui « aspirent à mettre la main sur l’Unité de Coordination et de Soutien et qui veulent en changer tous les membres, sa présidente, son directeur exécutif et ses agents, de manière à pouvoir réserver les secours aux membres de leur courant ». Cela expliquerait la mention, à divers endroits du rapport, de remarques telles que celles-ci : « à l’intérieur et à l’extérieur, les 150 employés de l’Unité sont tous des laïcs » ; « l’organisation Avaaz, on le sait, réserve son soutien aux activistes du courant laïc et refuse d’avoir affaire à les islamistes » ; « de manière directe ou indirecte, Wisam Tarif cherche continuellement à faire du tort aux islamistes »… Cela expliquerait aussi certaines des propositions finales : « remplacer Wisam Tarif », « nous laisser procéder au recrutement des employés », et « rester en contact avec le gouvernement turc pour améliorer la coordination de l’action commune ».

Livraison de tentes et de boîtes de lait de l’ACU à Alep
(@ http://bit.ly/1184Xe4)

L’Unité de Coordination et de Soutien n’a pas tardé à dénoncer les erreurs contenues dans ce rapport, auxquelles se mêlaient des accusations sur lesquelles elle ne pouvait garder le silence. Elle écrit :

– Tous uniquement diplomates, les 8 étrangers mentionnés n’ont pas été embauchés par l’ACU. Ils ont été détachés auprès d’elle par les Etats donateurs qui prennent en charge l’intégralité de leur salaire. Leur mission consiste à contrôler l’affectation et l’utilisation des crédits alloués par leurs pays à des projets spécifiques : la Justice, la Police, les Droits des femmes et les Droits des minorités pour la France, par exemple.

– Loin d’être dispendieuse, la gestion de l’ACU fait l’objet d’une surveillance régulière de la part d’un contrôleur interne, un Syrien doté d’une longue expérience et internationalement reconnu. Elle produit un bilan financier tous les 3 mois, qui est soumis à l’aval d’un contrôleur externe. Ces bilans ont vocation à trouver place sur le site de la Coalition. Quant à l’anarchie présumée de sa gestion, la poursuite de la coopération avec les Etats donateurs arabes et non-arabes, attachés au bon usage des fonds qu’ils offrent pour soulager les souffrances du peuple syrien, suffit à démontrer qu’il s’agit d’une calomnie. Tous les employés de l’ACU affectés à la gestion et au contrôle des fonds sont Syriens. La moyenne des salaires n’est pas de 10 000 dollars par mois mais de 2 000 uniquement. Les documents qui en attestent sont à la disposition de ceux qui en doutent.

– Les relations entre la Coalition et l’ACU sont claires, institutionnelles et dépourvues d’ambiguïté. L’Unité de Coordination et de Soutien n’est en effet qu’un bureau de la Coalition et, composée uniquement de technocrates, elle travaille sous son autorité.

– Il est erroné de prétendre que Wisam Tarif a pris la place de Ghassan Hitto à la direction de l’ACU. L’intéressé est uniquement conseiller au bureau de la présidente de l’Unité, et il ne perçoit aucune contrepartie financière à son activité de consultant. Il n’intervient pas dans les recrutements, qui sont assurés par le bureau des Ressources Humaines de l’ACU dont le directeur et les agents sont, eux aussi, tous de nationalité syrienne.

– L’absence des pays arabes à la réunion des donateurs de Gaziantep ne signifie pas que les premiers n’aident pas le peuple syrien :
* les Emirats Arabes Unis contribuent, au côté de l’Allemagne, au projet de création d’un fonds de reconstruction de la Syrie ;
* ils ont par ailleurs offert des rations alimentaires qui ont été distribuées en Syrie ;
* le Koweït a fait un don, via l’Organisation Mondiale de la Santé, en faveur des réfugiés syriens accueillis dans les pays voisins de la Syrie ;
* le Qatar a donné 10 millions de dollars pour assurer l’approvisionnement en carburants des véhicules assurant les transports en direction du territoire syrien ;
* la Jordanie a été approchée pour permettre l’ouverture d’une antenne de l’ACU sur son territoire…

– Contrairement à ce que prétend le rapport, la Coalition est au courant des activités de l’ACU, puisque celle-ci publie des comptes rendus périodiques à ce sujet et que sa présidente, Souheïr Al Atassi, côtoie régulièrement les autres membres du bureau de la présidence de la Coalition. Elle oriente le travail de l’Unité conformément à ses directives et en accord avec les lignes politiques définies par elle.

– L’ACU rappelle enfin que, s’il est de son devoir de collecter les informations requises par l’identification des populations dans le besoin, par l’acheminement des aides et par la reconstruction de la Syrie, elle n’a rien à voir avec l’Armée Syrienne Libre ou les autres unités combattantes. Elle n’échange aucune information avec les pays donateurs sur la sécurité de son équipe, sur les Conseils locaux ou sur les organisations travaillant dans le domaine des secours à l’intérieur de la Syrie.

– Ceux qui veulent des preuves de la satisfaction des Etats partenaires pour leur coopération avec l’ACU peuvent leur poser directement la question. En attendant, il leur suffit d’observer que, rassurés par son organisation, son professionnalisme et la compétence de ses cadres, ils insistent pour qu’elle reste leur principal interlocuteur pour l’acheminement des secours.

source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2013/05/05/qui-veut-la-place-de-souheir-al-atassi-au-sein-de-la-coalition-nationale/
date : 05/05/2013