Réussir son simulacre d’élection en six leçons, par Bachar el-Assad par Pascal Riché

Article  •  Publié sur Souria Houria le 5 juin 2014

Pour la première fois de l’histoire, une élection présentée comme « pluraliste » par le régime de Bachar el-Assad était organisée ce mardi en Syrie. Effectivement, le bulletin de vote comporte trois noms, ce qui n’est pas habituel. Bachar et son père Hafez el-Assad se contentaient jusque-là de plébiscites organisés tous les sept ans (en 2007, Bachar el-Assad a officiellement recueilli près de 98% de « oui », un point de mieux qu’en 2000).

Avec la guerre civile en cours, le président syrien a sophistiqué la formule du simulacre démocratique. Son nom figure donc sur les bulletins de vote aux côtés de deux concurrents, parfaits inconnus et parfaits faire-valoir  :

  • Maher Al-Hajjar, parlementaire d’Alep, membre du Parti communiste ;
  • Hassan Al-Nouri, ancien ministre producteur de cirage et brosses à reluire.
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Un Syrien s’apprête à cocher son bulletin (avec les photos des trois candidats), à Damas le 3 juin 2014 (Dusan Vranic/AP/SIPA)

Les électeurs sont invités à cocher le nom du candidat de leur choix. Mais plutôt « Bachar el-Assad », le responsable de la mort de 200 000 Syriens.

1 – Limiter le nombre de vos adversaires

  • Pour être candidat, il fallait l’aval de 35 membres du Parlement (pro-Assad) et il fallait avoir vécu en Syrie les dix dernières années, ce qui exclut les opposants en exil.
  • Vingt-quatre candidats se sont présentés, Assad étant le septième de la liste. Vingt-et-un ont été rejetés pour des « raisons obscures » par la Cour constitutionnelle. Parmi les trois validés : Bachar el-Assad, bien sûr.

2- S’afficher franchement

  • Couvrir les murs de portraits de Bachar el-Assad.

3- Exclure les électeurs réfugiés à l’étranger

  • Empêcher les trois millions de réfugiés de voter : les électeurs, à l’étranger,devront présenter leur passeport « avec le tampon attestant qu’ils sont sortis de leur pays de façon régulière ».

4- Forcer les fonctionnaires et les étudiants à voter

Damas annonce qu’il y aura 15 millions d’électeurs dans le pays. Ce qui, selon le calcul du Monde, est arithmétiquement impossible : La population était estimée à 23 millions avant 2011. On compte 3 millions de réfugiés, 6 millions de personnes déplacées… « Le nombre réel d’électeurs potentiels ne devrait pas dépasser les 5 ou 6 millions. »

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Bachar el-Assad et son épouse Asma, en train de voter, à Damas le 3 juin 2014 (Agence officielle syrienne Sana/AP/SIPA)

 

Pour que le taux de participation soit crédible, il faut pousser le plus de monde possible à voter. Et il y a plusieurs méthodes.

  • Forcer les agents publics (soit la moitié des travailleurs syriens) à voter. Parlant sous couvert d’anonymat, plusieurs ont témoigné du fait qu’ils n’avaient pas trop le choix, ayant reçu « des ordres stricts d’aller aux urnes, sous peine d’être soumis à l’interrogatoire des services de sécurité ».
  • Colorer à l’encre rouge les index des personnes qui ont voté, officiellement pour éviter la fraude. Très utile pour contrôler qu’elles ont fait leur « devoir patriotique ». Menacer celles dont l’index n’a pas changé de couleur.
  • Fixer les examens universitaires le jour de l’élection, pour mieux contrôler le vote des étudiants. Une technique racontée au New York Times par un étudiant d’Hama contacté par Skype. Libération rapporte le témoigage d’une étudiante de la faculté des beaux-arts d’Alep, qui considère cette élection comme une comédie, mais qui est prise dans un dilemme : « Les membres de l’Union des étudiants du Baas, qui travaillent en étroite collaboration avec les services de sécurité, ne se priveront pas de me dénoncer. Ils peuvent m’interdire l’accès à la salle d’examen, voire me faire renvoyer de la faculté si je ne montre pas mon index rouge. »

5- Bien choisir ses observateurs

6- Préférer un résultat flatteur

  • Le résultat est à votre guise. Les dictateurs aiment généralement les situer aux alentours de 95% des voix. C’est le score atteint par le général Sissi en Egypte. Bachar el-Assad peut faire beaucoup mieux.

Source : http://rue89.nouvelobs.com/2014/06/03/reussir-simulacre-delection-six-lecons-bachar-el-assad-252661