Sauver Alep et la Syrie libre

Article  •  Publié sur Souria Houria le 14 février 2016

Alors que l’aviation russe écrase la ville d’Alep sous les bombes, des dizaines de milliers de Syriens sont contraints de prendre le chemin de l’exil. Parmi cette foule de réfugiés, des familles entières, des enfants fuient dans des conditions terribles. Cinq ans après le début du soulèvement contre la dictature Assad et après des centaines de milliers de morts et des millions d’exilés, il faut empêcher Poutine d’imposer sa loi.

Selon des insurgés syriens confrontés à l’intervention militaire russe, les pourparlers de paix sur la Syrie, lancés le 29 janvier à Genève, sont « de la poudre aux yeux, une simple photo pour la galerie, ces négociations sont vouées à l’échec ». On assiste en effet aux efforts conjugués du pouvoir de Damas, de la Russie et de l’Iran pour conjurer toute avancée vers une solution1 pacifique. Poutine a fait le choix d’anéantir toute possibilité de négociation, au moment même où l’ONU était enfin parvenue à être claire sur les exigences d’un processus de paix.

Les gouvernements occidentaux toujours lâches face au clan de la dictature

300 : c’est le nombre des enfants disparus par noyade lors de la traversée des réfugiés syriens. On doit y ajouter le nombre des adultes également disparus. Face à cette fuite éperdue de ceux qui préfèrent risquer la mort en mer plutôt que la terreur en Syrie, les réactions dans les pays européens se partagent entre une solidarité bienveillante et une hostilité de mouvances xénophobes. On peut s’étonner d’entendre si peu de voix faire le rapprochement entre les effets et les causes, c’est-à-dire entre cette fuite éperdue et l’épouvante de la terreur d’État. Au risque de passer sous silence un élément majeur : le rêve des arrivants n’est pas d’oublier d’où ils viennent et ce qui les a fait partir, mais de voir enfin la chute de la dictature et celle de sa créature Daech, au profit d’une Syrie libre et démocratique.

Se borner à accueillir – ce qui est absolument nécessaire et honorable – sans peser pour la fin du cauchemar syrien, c’est se placer de fait dans le cas de figure d’une Syrie progressivement vidée de ses habitants. Elle sera alors totalement livrée au duo mortifère Assad-Daech et au régime dictatorial et clérical iranien.

320, c’est le nombre des bombardements russes en Syrie2, depuis le lancement des « pourparlers » sous l’égide de l’ONU, essentiellement sur les quartiers hostiles à la dictature. En détruisant les positions encore tenues par l’opposition modérée au régime, V. Poutine arrivé à la rescousse de la dictature, entend neutraliser ceux qui incarnent un avenir de la Syrie sans le clan Assad.

1400, c’est le nombre des civils tués par ces mêmes bombardements russes, dont 527 femmes et enfants.

Dès que la proposition de pourparlers de paix entre les parties prenantes a été émise, Bachar Al-Assad a prétendu exiger de faire le tri parmi les opposants. Interviewé par France 23 en novembre dernier depuis l’Iran, le président Hassan Rohani a montré sa totale identité de vues avec son allié Assad en tenant le même langage.

À la question de David Pujadas « pour vous, Bachar Al-Assad est-il un président légitime ? », Rohani a répondu « ce n’est pas une question de personne (…) mais plutôt une question de terrorisme », et à la question « Pour la France, et pour une partie de l’Occident, Bachar Al-Assad, parce qu’il bombarde son propre peuple, les civils, ne peut pas incarner cette lutte contre le terrorisme, que répondez-vous ? », il a répliqué : « Pensez-vous que l’on peut lutter contre le terrorisme sans un État légitime à Damas ? (…). Quel pays a réussi à combattre le terrorisme sans un État fort ? ». Comme si les dictatures n’étaient pas le terreau idéal du terrorisme. Et s’agissant de futures élections en Syrie, lorsque J-P Elkabbach lui demande si Bachar Al-Assad est « un candidat acceptable », Rohani répond : « on n’a pas le droit de décider pour un pays, tous ces choix doivent reposer sur le peuple syrien ». Comme si, depuis 45 ans de dictature, le peuple syrien avait eu le choix de son régime et de ses dirigeants !

La rhétorique du terrorisme pour écarter l’opposition

Au cours de l’automne 2015, le régime syrien a fait arrêter, sur le trajet de leur retour d’entretiens officiels, deux opposants4 très connus censés participer aux futurs pourparlers de Genève. Rien d’étonnant de la part d’un pouvoir qui, depuis 2011, qualifie indistinctement ses vrais opposants de « terroristes » et « ennemis » de la Syrie et les voue à une disparition violente. Cette hargne meurtrière remonte à beaucoup plus loin : confronté en 1982 à une rébellion de la ville de Hama, Hafez Al-Assad, dictateur d’alors et père de Bachar, y a envoyé ses forces armées qui ont assiégé la ville pendant près d’un mois. Bilan : 30 000 morts, 15 000 disparus et une part notable de la ville détruite, avec ses nombreux joyaux architecturaux. Sans l’ombre d’une réaction de la part des pays occidentaux déjà tétanisés à cette époque par l’épouvantail bien commode des présumés « terroristes ».

Des pourparlers tandis que les attaques continuent ?

De leur côté, les représentants du HCN (Haut Comité pour les Négociations, représentatifs de la rébellion) ont fait valoir des conditions minimales à la tenue des discussions projetées : la levée du siège des villes, la libération de prisonniers, la libre arrivée des secours humanitaires là où ils sont attendus, notamment dans les villes assiégées, l’arrêt des attaques contre les civils, tant de la part du régime que de ses alliés. Force est de constater que ces prérequis ne sont pas du tout réalisés, n’en déplaise au journal l’Humanité5toujours complaisante pour le régime Al-Assad sous la plume de P. Barbancey lorsqu’il écrit : « L’opposition syrienne, qui a contribué à tuer dans l’œuf toute négociation politique, en favorisant jusqu’alors une solution militaire, est-elle aujourd’hui disposée à s’asseoir autour de la table ?», faisant mine d’ignorer que c’est le régime qui, dès 2011, a militarisé le conflit.

Selon Le Monde du 3 février 2016, les pourparlers de Genève sont suspendus jusqu’au 25 février et « des dirigeants du monde entier doivent se réunir à Londres pour tenter de lever 9 milliards de dollars en faveur des millions de Syriens victimes de la guerre, avec l’ambition d’endiguer la crise des réfugiés qui, du Moyen-Orient à l’Europe, pèse sur les pays d’accueil ». Le groupe international de soutien à la Syrie (une vingtaine de pays dont l’Iran et la Russie) se réunirait à Munich le 11 février.

Manœuvres de partition et menace sur Alep-Est

Le but avoué de l’axe Assad-Poutine-Khameneï (le « guide suprême » iranien) est de neutraliser l’opposition syrienne et d’enfermer le pays dans l’alternative Assad / Daech, dont l’immense majorité des Syriens ne veut pas. L’un des scénarios envisagés est une partition de la Syrie avec notamment une zone restant sous la coupe du régime Assad, dite « Syrie utile », même si diverses mouvances6 du pouvoir s’entredéchirent sur ce point. Dans ce cas de figure d’une partition, certains partis et groupes combattants kurdes jouent une alliance de fait avec le régime, en contrepartie de leur projet d’une certaine autonomie dans la région de la Rojava. Ce plan serait le substitut illusoire de l’horizon d’un Kurdistan agrégeant les zones des différents pays habitées par des Kurdes. Des factions kurdes ont entrepris de chasser du Rojava au nord les populations arabes qui y vivent depuis des siècles et de débaptiser leurs localités. À la satisfaction du régime qui y voit un atout à jouer dans son projet de partition en se réclamant de la « cause kurde ». Or cette vision est minoritaire chez les Kurdes syriens eux-mêmes qui restent attachés à l’unité d’une Syrie multiconfessionnelle et multiethnique.

Comme les autres minorités et comme la majorité arabe sunnite, les Kurdes syriens, qui ont des représentants dans la Coalition nationale syrienne (CNS), partagent son exigence lorsqu’elle affirme par son communiqué du 22 novembre 2015 que Bachar Al-Assad et « tous les criminels responsables du meurtre du peuple syrien dans l’instance de pouvoir » ne doivent jouer aucun rôle dans la phase transitoire et dans « l’avenir politique de la Syrie ».

Quoiqu’il en soit, le lancement d’un assaut d’Assad et de ses alliés pour faire tomber Alep fait planer une menace gravissime sur le territoire libéré d’Alep-Est où les habitants se sont donnés les organes d’une société civile. L’actuel encerclement d’Alep, conforté et « légitimé » de facto par une offensive sous label kurde, risque d’aboutir à un massacre qui ferait des milliers de victimes et qui assombrirait les perspectives d’une Syrie affranchie de la dictature.

Accompagner et soutenir cette exigence est une œuvre de salut public, tant pour les Syriens que pour l’avenir du des populations dans toute la région.

Urgence

L’urgence immédiate est de s’opposer à l’offensive et aux bombardements du trio Assad-Russie-Iran sur Alep et sa région.

C’est pourquoi, avec de nombreuses associations Memorial 98 appelle à des actions dans les différentes villes et à un rassemblement à Paris le vendredi 12 février.

Non au massacre de la population d’Alep !

N’abandonnons pas un peuple faisant face à son bourreau
depuis bientôt cinq ans

Mobilisation vendredi 12 février 18h30

Devant le Ministère des Affaires Étrangères Quai d’Orsay
Métro Invalides

Gérard Lauton pour Memorial 98

http://www.memorial98.org/2016/02/sauver-alep-et-la-syrie-libre.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=
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