Six mois de contestation en Syrie. Et après ?

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 septembre 2011

L’heure des premiers bilans a sonné pour la contestation syrienne. Six mois se sont écoulés depuis la première manifestation à Deraa, le 15 mars, qui a donné lieu à une vague de contestation dans l’ensemble du pays. La violence de la répression opposée par les forces de sécurité du président Bachar Al-Assad n’a pas eu raison de la détermination des militants anti-régime. Tout comme les appels répétés de la communauté internationale à mettre un terme à une répression qui a fait, selon l’ONU, plus de 2 600 morts, n’ont été, à ce jour, entendus à Damas. Et ce, malgré des sanctions qui devraient avoir un impact certain sur l’économie du pays.

Six mois déjà … et après ? « Quiconque a vécu la révolution avortée des années 1980, ou les « incidents » comme nous les appelons, vous dira que la révolution actuelle a encore un long chemin devant elle », prédit Syrian Prometheus, un homme d’affaires syro-américain, dans une note sur le blog Syrian Comment. Et, au bout du chemin, « deux options. Soit le régime part ou soit le peuple part », dit un révolutionnaire syrien à Robin Yassin-Kassab, auteur du blog Qunfuz. L’homme se dit confiant, comparant le peuple syrien à un phœnix : « chaque jour, il meurt, abattu, matraqué, poignardé ou étranglé, et chaque jour, il renaît à la vie, de ses propres cendres. Les funérailles sont de nouvelles naissances ».

Six mois après, les contestataires cherchent toujours le moyen de porter un coup décisif au régime. La mobilisation pacifique n’ayant pas encore permis de le déstabiliser profondément, les appels à une protection internationale se multiplient alors que de rares voix osent désormais envisager des solutions plus radicales.

L’EXEMPLE LIBYEN

Après la chute de Kadhafi en Libye, « certaines voix au sein de l’opposition syrienne ont commencé à invoquer l’expérience libyenne comme modèle pour renverser le régime de Bachar Al-Assad : premièrement, en lançant une rébellion armée ; deuxièmement, en établissant une place forte et un gouvernement rival sur une partie du territoire syrien ; troisièmement, en appelant à une intervention aérienne étrangère et à d’autres mesures coercitives pour affaiblir l’infrastructure du pouvoir syrien ; et quatrièmement, en lançant une offensive majeure pour prendre Damas et s’assurer le renversement de la dictature », rapporte le commentateur Hussein Ibish sur son blog.

Selon la chaîne d’opposition Sham News, un membre des milices pro-régime vêtu d’un uniforme militaire vise un homme de son arme à Homs, le 5 septembre 2011.

Le pavé dans la mare avait été jeté, le 28 août, par le chef du Conseil révolutionnaire des Comités de coordination locale en Syrie. « Nous avons pris la décision d’armer la révolution qui prendra rapidement un tour violent parce que nous sommes victimes aujourd’hui d’un complot face auquel le soulèvement armé est la seule réponse », avait-il déclaré au quotidien pan-arabe Al-Sharq Al-Awsat, dénonçant la lâcheté des pays arabes.

L’option fait polémique. Pour Syrian Prometheus, « la seule façon de mettre un terme au massacre est de laisser la population sunnite prendre les armes. Les Alaouites, eux, se sont déjà armés ». Et, à ceux qui pointent le risque de voir la Syrie sombrer dans la guerre civile, il répond :« La Syrie est déjà dans un état de guerre civile. Il se trouve seulement qu’un seul camp a toutes les armes ». Des rumeurs circulent pourtant, rapporte Chris Keeler sur le blog Notes from a Medinah, que des armes ont été introduites en contrebande en Syrie depuis l’Irak et le Liban, après un article du quotidien Christian Science Monitor.

Nombreux, ses détracteurs pointent le risque qu’un soulèvement armé ne joue en faveur du régime, qui n’a eu de cesse d’accuser l’opposition de chercher à fomenter une guerre civile. Sur son blog Tabachir, la syrienne Chirine Al-Hayek s’y oppose, appelant à ne pas laisser se développer une « culture de la violence » dans la « Syrie moderne »« La rue, dit-elle, ne possède pas l’expertise des armes que possède le régime militaire. » La contestation se verrait ainsi rapidement écrasée. Par ailleurs, dit-elle, les contestataires pourraient être taxés de terroristes et bandits armés par les médias et perdre ainsi et la sympathie de la communauté internationale et la confiance de ceux qui les soutiennent.

UNE INTERVENTION ÉTRANGÈRE

De nouveaux gradés de l’Académie Assad d’ingénierie militaire à Alep, le 8 septembre 2011.

Pour Chris Keeler, « les conditions nécessaires à une rébellion armée sont remplies au Liban, mais pas en Syrie ». Selon lui, il manque aux contestataires une base géographique, telle qu’à Benghazi, en Libye, pour organiser l’offensive armée et accueillir les officiers séditieux. Il est improbable, au vu de la loyauté communautaire qui s’exerce au sein de l’armée syrienne, que de haut-gradés fassent défection sur le modèle libyen, poursuit-il. Même armée et financée, la rébellion serait écrasée par les forces alaouites, entraînées et disciplinées. Finalement, conclut-il, « il faut qu’il y ait une coopération entre des forces rebelles organisées sur le territoire syrien et des acteurs extérieurs qui seront en mesure de rapidement mettre les forces en présence sur un pied d’égalité ».

La militarisation du soulèvement ne serait ainsi pas envisageable sans une intervention étrangère. Or, d’une part, la communauté internationale est réfractaire à une militarisation de la contestation pour des raisons que Joshua Landis énumère sur son blog Syria Comment. Et d’autre part, une intervention étrangère est, pour le moment, totalement exclue de la part de l’ensemble des acteurs internationaux. Et, note Chris Keeler, « sans organisation de l’opposition syrienne, il est improbable que les manifestations actuelles évoluent vers une révolte armée qui soit assez efficace pour garantir ou même justifier une intervention militaire ». Or, ajoute-t-il, l’opposition demeure largement divisée sur des bases sectaire et économique, et il existe des désaccords majeurs sur la stratégie et la théorie.

Certaines personnalités de l’opposition syrienne jugent pourtant cette intervention inévitable. A l’instar d’Achraf Al-Miqdad, président du mouvement d’opposition la Déclaration de Damas en Australie. Dans le quotidien pan-arabe Al-Sharq Al-Awsat, il assure que seule une intervention étrangère pourra donner l’avantage à la contestation face à l’ampleur de la répression. Des officiers syriens lui auraient confié être prêts à faire défection si la Syrie faisait l’objet de bombardements aériens. En outre, affirme Abdoul-Halim Khaddam, ancien vice-président syrien, dans un entretien au quotidien libanais Al-Akhbar, la population soutient totalement une intervention militaire.

« Nous nous en remettons à Dieu, pas à la Russie ou au reste du monde », assurent les contestataires lors de la Journée de colère contre la Russie, le 13 septembre 2011.

UN SOUTIEN INTERNATIONAL

Pourtant, sur le terrain, les principaux mouvements de contestation sont fermement opposés tant à une militarisation du soulèvement qu’à une intervention militaire étrangère. Ainsi, rapporte le blog Syria Revolts, les Comités de coordination locale en Syrie, ainsi que la Commission générale de la révolution syrienne, refusent ces deux options, soutenant davantage« une pression internationale accrue sur le régime pour protéger les civils, par l’envoi d’observateurs internationaux pour documenter les événements dans le pays ». Ces deux options ont également été rejetées par le secrétaire général des Frères musulmans syriens, Mohammad Riyad Al-Shaqfa, dans le quotidien Al-Sharq Al-Awsat.

Décidés à maintenir leur mouvement pacifique, les principaux organes de la contestation en Syrie appellent depuis plusieurs semaines à une protection internationale. Non sans désillusions. Ammar Abdoulhamid commente ainsi sur sonblog Syrian Revolution Digest« un des chants devenus populaires parmi les manifestants ces jours-ci est : ‘Dieu, tu es seul à nos côtés’. Les manifestants en appellent à une protection internationale, mais ils ne nourrissent pas l’espoir d’être entendus, si ce n’est de Dieu ». Des désillusions renforcées par l’initiative de la Ligue arabe, présentée au président syrien samedi et qui prône notamment une solution négociée entre le régime et l’opposition. Un appel à manifester a été lancé pour vendredi contre cette initiative, sur la page Facebook du groupe The Syrian Revolution 2011.

http://www.youtube.com/watch?v=dH5j_2SqYD8&feature=player_embedded

« Journée de la colère contre la Russie », le 13 septembre, à Deraa. Sur la pancarte : « Le président russe porte des lunettes fabriquées par le régime syrien ».

Sur la scène internationale, les contestataires ont désormais leur « bête noire ». Mardi 13 septembre, ils ont appelé à une « Journée de colère contre la Russie ». Après avoir assuré qu’il continuerait à vendre des armes au régime, le gouvernement russe a réaffirmé mercredi son soutien au processus de réformes promis par le président Al-Assad, pointant à nouveau la menace terroriste que pèserait sur la Syrie, en cas de déstabilisation du régime.

Source : http://printempsarabe.blog.lemonde.fr/2011/09/15/six-mois-de-contestation-en-syrie-et-apres/

Date : 15/9/2011