Syrie: 6 choses à savoir sur les propositions de dialogue de l’opposition – Par Catherine Gouëset

Article  •  Publié sur Souria Houria le 7 février 2013

Le chef de l’opposition syrienne, Ahmed Moaz al-Khatib, a proposé lundi d’ouvrir des négociations avec le vice-président Farouk al-Chareh comme représentant du régime de Damas pour chercher une issue au conflit meurtrier dans le pays. Explications.

Le chef de l’opposition syrienne, Ahmed Moaz al-Khatib, a proposé lundi d’ouvrir des négociations avec le vice-président Farouk al-Chareh comme représentant du régime de Damas. Ahmed Moaz al-Khatib avait déjà créé la surprise la semaine passée en se disant prêt, pour la première fois, à dialoguer avec des représentants du régime n’ayant pas de « sang sur les mains ». Une première pour l’opposition qui a toujours refusé de discuter avec le régime de Bachar el-Assad.

Pourquoi maintenant ?
Il s’agit mettre fin au bain de sang qui a fait, selon l’ONU, plus de 60.000 morts. La population syrienne est épuisée par près de deux ans de tueries, de destructions et d’une terrible situation humanitaire: le nombre de réfugiés à l’extérieur du pays et de déplacés à l’intérieur ne cesse de croître.

L’opposition est freinée dans son avancée militaire « par le refus d’aide promise par des pays arabes et occidentaux », explique un spécialiste de la Syrie. En novembre dernier, les combattants avaient pris l’avantage sur le terrain dans la majorité des fronts à travers le pays. « Autour de la capitale, les combattants de la révolution étaient regroupés pour la seconde bataille de Damas, mais ils ont été bloqués dans leur avancée, faute d’armes anti-aériennes et anti-char. Ils subissent en revanche les bombardements aériens quotidiens sans pouvoir se protéger. Dans le même temps, le régime qui dispose déjà d’un arsenal très supérieur aux rebelles, reçoit, lui, de nouvelles munitions russes et un fort soutien iranien, ce qui lui a permis de reprendre temporairement l’initiative sur certains des fronts des banlieues de la capitale », complète cet expert.

Pourquoi l’opposition refusait-elle tout dialogue jusqu’à présent?
Les opposants au clan de Bachar el-Assad estiment que celui-ci a perdu toute légitimité: Il est impossible de faire confiance à un régime qui a systématiquement piétiné toutes les promesses de réformes aussitôt qu’elles étaient annoncées. Depuis le début de la contestation, longtemps pacifique, le régime a répondu par une répression qui a sans cesse monté en puissance face à la résistance de la population.

Pourquoi Farouk el Chareh?
« M. Chareh, depuis le début de la crise, voit que les choses ne vont pas dans le bon sens », a affirmé Moaz al-Khatib. « Si le régime accepte l’idée (du dialogue), je lui demande de déléguer Farouk al-Chareh pour qu’on discute avec lui ».

La Ligue arabe, les Nations unies et la Turquie ont à plusieurs reprises évoqué le nom du vice-président, chef de la diplomatie syrienne pendant 22 ans, pour remplacer Bachar al-Assad en cas de transition négociée. Farouk al-Chareh, avait reconnu, en décembre, qu’aucun des belligérants ne pouvait l’emporter militairement et expliqué que des désaccords existaient au sommet de l’Etat sur la résolution de la crise en Syrie.

De confession sunnite, contrairement à l’essentiel de l’appareil répressif syrien recruté dans la minorité alaouite, il est marginalisé au sein du régime, ce qui peut constituer un atout. « Il ne fait pas partie de l’appareil militaire ou sécuritaire et n’a donc pas de sang sur les mains », expliquait le politologue Ziad Majed: « C’est un personnage que certains considèrent rassurant pour les minorités. En tant que diplomate, Il est familier des chancelleries occidentales mais aussi arabes, russe et iranienne ». Selon des experts, il jouit d’un soutien total de Téhéran.

Quel rôle jouent les parrains de Damas?
Des responsables iraniens, qui ont rencontré ces derniers jours pour la première fois le chef de l’opposition, ont salué sa proposition de dialogue, emboîtant le pas à la Russie, l’autre grand allié de Damas qui a également entamé une ouverture inédite à son égard. Le 27 janvier, le premier ministre russe Dmitri Medvedev avait accusé le président Bachar al-Assad d’avoir commis une « erreur peut-être fatale » en retardant les réformes. Ce n’est toutefois pas la première fois que des dirigeants russes critiquent leur allié. Et à plusieurs reprises, un autre responsable a corrigé le tir en faveur de Damas.

Même ambigüité côté iranien: le président Mahmoud Ahmadinejad, a appelé Damas et l’opposition à une « entente nationale », affirmant que la guerre n’était « pas la solution ». Mais la féroce bataille que se livrent le président en fin de mandat et le Guide de la révolution rendent difficile la lecture de l’évolution de Téhéran sur la crise syrienne.

« Le soutien de ces deux parrains est stratégique et son maintien dépendra des enjeux géopolitiques régionaux et internationaux. La proposition du chef de l’opposition ne changera pas complètement la donne, mais elle peut aider ces deux pays à mettre de l’eau dans leur vin », estime Salam Kawakibi, chercheur à l’Arab reform initiative.

Moaz al-Khatib sera-t-il suivi par le reste de l’opposition?
Le Conseil national syrien (CNS) a réaffirmé mardi être contre tout dialogue avec le régime de Bachar al-Assad: dans un communiqué, lil a souligné « son attachement à ses principes et ses objectifs, soit la chute du régime syrien avec toutes ses composantes, le refus de tout dialogue avec lui, et la protection de la révolution pour qu’elle ne devienne pas otage de compromis internationaux ». Il aussi dénoncé la rencontre dimanche entre Moaz al-Khatib et le ministre iranien des Affaires étrangères, affirmant « refuse(r) cette démarche, tant que l’Iran soutient le régime ».

Certains opposants soutiennent toutefois cette proposition. »Tenter de mettre fin au bain de sang avec une proposition aussi humaine pourrait avoir plus de résultats que (…) participer à des conférences », a affirmé l’opposant kurde indépendant Massoud Akko sur sa page Facebook.

« L’opposition a longtemps fait l’impasse sur la politique, permettant au régime d’en faire autant, et de rejeter toute réforme, toute négociation, toute transition graduelle. En reportant toute politique au lendemain de la ‘chute du régime’, explique Peter Harling, spécialiste de la Syrie à l’International Crisis group. L’opposition avait ainsi renforcé un argument clef de l’adversaire, à savoir qu’elle n’est composée que de jusqu’au-boutistes susceptibles de livrer le pays au chaos ».

« L’opposition a été affaiblie et poussée à la division avant même cette proposition par l’indifférence et l’hypocrisie de plusieurs acteurs occidentaux, fait valoir Salam Kawakibi. L’initiative de Moaz al Khatib jette une pierre dans une marre d’eau stagnante qui coûte très cher en vies humaines. »

« Cette initiative ne vise pas l’organisation immédiate d’une table de négociation avec des représentants d’un régime qui joue sa survie. En revanche, elle met les acteurs intérieurs et extérieurs devant leurs responsabilités, complète Salam Kawakibi. L’ASL fait partie de la solution militaire qui doit être accompagnée d’une solution politique. Il n’y a pas de contradiction s’il y a une gestion efficace du dossier. »

Que signifie cette offre de dialogue pour le régime?
« Le régime syrien avait jusqu’à présent profité du rejet par l’opposition du dialogue et rejetant sur elle l’absence d’ouverture », complète Peter Harling. Il a fait une proposition de solution politique, le 27 janvier, annonçant la suspension de toute poursuite judiciaire contre les membres de l’opposition politique autorisés à participer au « dialogue national » de Bachar al-Assad -non sans préciser que « ces forces de l’opposition seront désignées par le gouvernement « …

« Bien qu’irréaliste, cette annonce donnait au régime l’occasion de reprendre l’initiative face à une opposition absente sur ce plan, alors qu’elle fait face à de cruelles limites sur les volets diplomatiques, militaires et humanitaires de son action », ajoute Peter Harling.

« Moaz al-Khatib prend le régime à son propre piège, conclut le chercheur, puisque l’ouverture politique proposée par Damas repose justement sur l’absence de tout interlocuteur crédible, de toute alternative sérieuse. Il pose des conditions, engage le dialogue avec les alliés du régime, et contourne la question de Bachar en envisageant d’autres interlocuteurs au sein du pouvoir. Militairement le régime reste très puissant, mais politiquement c’est une coquille vide, et Moaz al-Khatib joue sur ce tableau ».

source: http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/syrie-6-choses-a-savoir-sur-les-propositions-de-dialogue-de-l-opposition_1217268.html