Syrie: Audrey soigne la détresse des âmes – interview par Catherine Dehay

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 avril 2013

 

En Syrie, Audrey Magis a tenté se soulager les souffrances psychologiques d’une population à bout.

Elle a déjà connu Gaza, la Libye et les camps de réfugiés de la frontière syrienne.«Du solide», comme elle dit. Mais la Syrie,«c’est terrible». Audrey Magis revient d’une mission de quelques mois pour MSF en zone de combats. Médecins Sans Frontières a réhabilité dans le nord du pays une ancienne ferme transformée en hôpital de campagne. C’est là que la psychologue liégeoise de 34 ans soigne les blessures de l’âme, auprès d’une population à bout.

Dans quel état se trouve la population syrienne après deux ans de guerre ?

Les Syriens sont exposés à des événements atroces, des tortures, des tensions, la mort, la violence. La plupart d’entre eux sont des réfugiés dans leur propre pays. Ils n’ont pas arrêté de bouger d’un endroit à l’autre. Certains n’ont plus de nouvelles de leur famille depuis des mois. Ils ont tout perdu sur le plan matériel. Tous les facteurs sont réunis pour que se développent des symptômes de stress, d’anxiété qui ont évidemment des effets sur le physique. C’est pourquoi MSF a décidé d’implanter la santé mentale dans le programme actuel car les personnes exposées à des traumatismes répétés vont développer des problèmes pendant des générations.

Quelles sont les principales pathologies que vous rencontrez ?

Ma spécialité consiste à réduire la souffrance psychologique. Il y en a énormément en temps de guerre. Je rencontre beaucoup de cas de dépression, d’anxiété, et surtout des cas de traumatisme.

Pourquoi est-il si important de soigner les blessures mentales ?

Les médecins se sont aperçus que beaucoup de personnes venaient à l’hôpital pour soigner des douleurs physiques très intenses, par exemple des maux de ventre ou de tête, et ils ne trouvaient pas de cause médicale. En fait, le stress qu’ils vivent depuis des années se répercute au niveau physique. C’est comme une pièce de monnaie : face, c’est la santé physique et pile, la santé mentale et les deux sont indissociables. Si un côté est affecté, il y a beaucoup de chance que l’autre le soit aussi. Un soutien psychologique est donc indispensable.

Les gens viennent-ils facilement vers vous ?

Généralement, il faut un long travail d’explication car, comme en Belgique, la psychologie reste un sujet tabou. En Syrie, par contre, j’ai vraiment eu porte ouverte. Ils ont eux-mêmes émis le souhait de se faire soigner. J’étais la bienvenue.

Vous soignez beaucoup d’enfants ?

Nous soignons toutes les tranches d’âge. Mais on essaye de cibler les populations vulnérables, c’est-à-dire, les enfants, les personnes âgées qui sont beaucoup plus exposées au traumatisme. Nous soignons aussi pas mal d’hommes, des anciens combattants, des hommes qui ne travaillent plus depuis deux ans, qui ont perdu leur place dans la famille, qui se sentent désemparés.

Les problèmes sociaux se multipliant en Syrie, les gens ne se reconnaissent plus. Ils vivent parfois à dix dans une pièce avec toutes les conséquences que cette promiscuité génère. Au début, ils viennent pour nous parler de leur agressivité vis-à-vis de leur épouse ou de leurs enfants qu’ils n’arrivent plus à contrôler. Dès qu’on creuse, on se rend compte qu’un drame se cache derrière cette violence, que la personne a, par exemple, vu son ami mourir.

Vous avez le temps de mener à bien les thérapies ?

De longues thérapies ne sont pas toujours utiles. Une ou deux séances sont parfois suffisantes car le simple fait qu’ils comprennent qu’ils ne deviennent pas fous les aide déjà beaucoup. Quand ils comprennent ce qui leur arrive, cette prise de conscience remet un peu de contrôle dans leur vie et ils ont automatiquement un moyen d’agir.

La souffrance mentale fait des ravages ?

La souffrance est énorme que ce soit au niveau économique, social, familial ou mental.

Des enfants ne vont plus à l’école depuis deux ans. Ils restent en permanence à la maison. Les mamans et les papas deviennent nerveux. Beaucoup d’enfants recommencent à faire pipi au lit à 10-12 ans. Tous les gros symptômes de traumatisme commencent à apparaître, auxquels s’ajoute l’angoisse parce que les gens ne savent pas du tout ce que leur réserve l’avenir. Ils sont très affectés et ont vraiment peur de perdre toutes leurs valeurs. Ils vivent dans un grand désarroi.

LIÈGE – Audrey Magis est psychologue. La Liégeoise de 34 ans rentre d’une mission pour MSF en Syrie où il est crucial de soigner les blessures mentales.

source : http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20130422_00299848#top

date : 22/04/2013